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– C’est votre droit, je ne dis pas. Mais, moi, je ne connais que la consigne... Je suis seul, ici. Les hommes sont au fond pour jusqu’à trois heures, et ils y resteront jusqu’à trois heures.

Les derniers mots se perdirent dans des huées.

On le menaçait du poing, déjà les femmes l’assourdissaient, lui soufflaient leur haleine chaude à la face. Mais il tenait bon, la tête haute, avec sa barbiche et ses cheveux d’un blanc de neige ; et le courage enflait tellement sa voix, qu’on l’entendait distinctement, par-dessus le vacarme.

– Nom de Dieu ! vous ne passerez pas !...

Aussi vrai que le soleil nous éclaire, j’aime mieux crever que de laisser toucher aux câbles...

Ne poussez donc plus, je me fous dans le puits devant vous !

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Il y eut un frémissement, la foule recula, saisie. Lui, continuait :

– Quel est le cochon qui ne comprend pas ça ?... Moi, je ne suis qu’un ouvrier comme vous autres. On m’a dit de garder, je garde.

Et son intelligence n’allait pas plus loin, au père Quandieu, raidi dans son entêtement du devoir militaire, le crâne étroit, l’œil éteint par la tristesse noire d’un demi-siècle de fond. Les camarades le regardaient, remués, ayant quelque part en eux l’écho de ce qu’il leur disait, cette obéissance du soldat, la fraternité et la résignation dans le danger. Il crut qu’ils hésitaient encore, il répéta :

– Je me fous dans le puits devant vous !

Une grande secousse remporta la bande. Tous avaient tourné le dos, la galopade reprenait sur la route droite, filant à l’infini, au milieu des terres.

De nouveau, les cris s’élevaient :

– À Madeleine ! à Crèvecœur ! plus de travail ! du pain, du pain !

Mais, au centre, dans l’élan de la marche, une 636

bousculade avait lieu. C’était Chaval, disait-on, qui avait voulu profiter de l’histoire pour s’échapper. Étienne venait de l’empoigner par un bras, en menaçant de lui casser les reins, s’il méditait quelque traîtrise. Et l’autre se débattait, protestait rageusement :

– Pourquoi tout ça ? est-ce qu’on n’est plus libre ?... Moi, je gèle depuis une heure, j’ai besoin de me débarbouiller. Lâche-moi !

Il souffrait en effet du charbon collé à sa peau par la sueur, et son tricot ne le protégeait guère.

– File, ou c’est nous qui te débarbouillerons, répondait Étienne. Fallait pas renchérir en demandant du sang.

On galopait toujours, il finit par se tourner vers Catherine, qui tenait bon. Cela le désespérait, de la sentir près de lui, si misérable, grelottante sous sa vieille veste d’homme, avec sa culotte boueuse. Elle devait être morte de fatigue, elle courait tout de même pourtant.

– Tu peux t’en aller, toi, dit-il enfin.

Catherine parut ne pas entendre. Ses yeux, en 637

rencontrant ceux d’Étienne, avaient eu seulement une courte flamme de reproche. Et elle ne s’arrêtait point. Pourquoi voulait-il qu’elle abandonnât son homme ? Chaval n’était guère gentil, bien sûr ; même il la battait, des fois. Mais c’était son homme, celui qui l’avait eue le premier ; et cela l’enrageait qu’on se jetât à plus de mille contre lui. Elle l’aurait défendu, sans tendresse, pour l’orgueil.

– Va-t’en ! répéta violemment Maheu.

Cet ordre de son père ralentit un instant sa course. Elle tremblait, des larmes gonflaient ses paupières. Puis, malgré sa peur, elle reprit sa place, toujours courant. Alors, on la laissa.

La bande traversa la route de Joiselle, suivit un instant celle de Cron, remonta ensuite vers Cougny. De ce côté, des cheminées d’usine rayaient l’horizon plat, des hangars de bois, des ateliers de briques, aux larges baies poussiéreuses, défilaient le long du pavé. On passa coup sur coup près des maisons basses de deux corons, celui des Cent-Quatre-Vingts, puis celui des Soixante-Seize ; et, de chacun, à l’appel 638

de la corne, à la clameur jetée par toutes les bouches, des familles sortirent, des hommes, des femmes, des enfants, galopant eux aussi, se joignant à la queue des camarades. Quand on arriva devant Madeleine, on était bien quinze cents. La route dévalait en pente douce, le flot grondant des grévistes dut tourner le terri, avant de se répandre sur le carreau de la mine.

À ce moment, il n’était guère plus de deux heures. Mais les porions, avertis, venaient de hâter la remonte ; et, comme la bande arrivait, la sortie s’achevait, il restait au fond une vingtaine d’hommes, qui débarquèrent de la cage. Ils s’enfuirent, on les poursuivit à coups de pierres.

Deux furent battus, un autre y laissa une manche de sa veste. Cette chasse à l’homme sauva le matériel, on ne toucha ni aux câbles ni aux chaudières. Déjà le flot s’éloignait, roulait sur la fosse voisine.

Celle-ci, Crèvecœur, ne se trouvait qu’à cinq cents mètres de Madeleine.

Là, également, la bande tomba au milieu de la sortie. Une herscheuse y fut prise et fouettée par 639

les femmes, la culotte fendue, les fesses à l’air, devant les hommes qui riaient. Les galibots recevaient des gifles, des haveurs se sauvèrent, les côtes bleues de coups, le nez en sang. Et, dans cette férocité croissante, dans cet ancien besoin de revanche dont la folie détraquait toutes les têtes, les cris continuaient, s’étranglaient, la mort des traîtres, la haine du travail mal payé, le rugissement du ventre voulant du pain. On se mit à couper les câbles, mais la lime ne mordait pas, c’était trop long, maintenant qu’on avait la fièvre d’aller en avant, toujours en avant. Aux chaudières, un robinet fut cassé ; tandis que l’eau, jetée à pleins seaux dans les foyers, faisait éclater les grilles de fonte.

Dehors, on parla de marcher sur Saint-Thomas. Cette fosse était la mieux disciplinée, la grève ne l’avait pas atteinte, près de sept cents hommes devaient y être descendus ; et cela exaspérait, on les attendrait à coups de trique, en bataille rangée, pour voir un peu qui resterait par terre. Mais la rumeur courut qu’il y avait des gendarmes à Saint-Thomas, les gendarmes du matin, dont on s’était moqué. Comment le savait-640

on ? personne ne pouvait le dire. N’importe ! la peur les prenait, ils se décidèrent pour Feutry-Cantel. Et le vertige les remporta, tous se retrouvèrent sur la route, claquant des sabots, se ruant : à Feutry-Cantel ! à Feutry-Cantel ! les lâches y étaient bien encore quatre cents, on allait rire ! Située à trois kilomètres, la fosse se cachait dans un pli de terrain, près de la Scarpe. Déjà, l’on montait la pente des Plâtrières, au-delà du chemin de Beaugnies, lorsqu’une voix, demeurée inconnue, lança l’idée que les dragons étaient peut-être là-bas, à Feutry-Cantel. Alors, d’un bout à l’autre de la colonne, on répéta que les dragons y étaient. Une hésitation ralentit la marche, la panique peu à peu soufflait, dans ce pays endormi par le chômage, qu’ils battaient depuis des heures. Pourquoi n’avaient-ils pas buté contre des soldats ? Cette impunité les troublait, à la pensée de la répression qu’ils sentaient venir.

Sans qu’on sût d’où ils partaient, un nouveau mot d’ordre les lança sur une autre fosse.

– À la Victoire ! à la Victoire !

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Il n’y avait donc ni dragons ni gendarmes, à la Victoire ? On l’ignorait. Tous semblaient rassurés. Et, faisant volte-face, ils descendirent du côté de Beaumont, ils coupèrent à travers champs, pour rattraper la route de Joiselle. La voie du chemin de fer leur barrait le passage, ils la traversèrent en renversant les clôtures.

Maintenant, ils se rapprochaient de Montsou, l’ondulation lente des terrains s’abaissait, élargissait la mer des pièces de betteraves, très loin, jusqu’aux maisons noires de Marchiennes.

C’était, cette fois, une course de cinq grands kilomètres. Un élan tel les charriait, qu’ils ne sentaient pas la fatigue atroce, leurs pieds brisés et meurtris. Toujours la queue s’allongeait, s’augmentait des camarades racolés en chemin, dans les corons. Quand ils eurent passé le canal au pont Magache, et qu’ils se présentèrent devant la Victoire, ils étaient deux mille. Mais trois heures avaient sonné, la sortie était faite, plus un homme ne restait au fond. Leur déception s’exhala en menaces vaines, ils ne purent que recevoir à coups de briques cassées les ouvriers de la coupe à terre, qui arrivaient prendre leur 642

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