"Unleash your creativity and unlock your potential with MsgBrains.Com - the innovative platform for nurturing your intellect." » Français Books » "Germinal" de Émile Zola

Add to favorite "Germinal" de Émile Zola

Select the language in which you want the text you are reading to be translated, then select the words you don't know with the cursor to get the translation above the selected word!




Go to page:
Text Size:

service. Il y eut une débandade, la fosse déserte leur appartint. Et, dans leur rage de n’avoir pas une face de traître à gifler, ils s’attaquèrent aux choses. Une poche de rancune crevait en eux, une poche empoisonnée, grossie lentement. Des années et des années de faim les torturaient d’une fringale de massacre et de destruction.

Derrière un hangar, Étienne aperçut des chargeurs qui remplissaient un tombereau de charbon.

– Voulez-vous foutre le camp ! cria-t-il. Pas un morceau ne sortira !

Sous ses ordres, une centaine de grévistes accouraient ; et les chargeurs n’eurent que le temps de s’éloigner. Des hommes dételèrent les chevaux qui s’effarèrent et partirent, piqués aux cuisses ; tandis que d’autres, en renversant le tombereau, cassaient les brancards.

Levaque, à violents coups de hache, s’était jeté sur les tréteaux, pour abattre les passerelles. Ils résistaient, et il eut l’idée d’arracher les rails, de couper la voie, d’un bout à l’autre du carreau.

Bientôt, la bande entière se mit à cette besogne.

643

Maheu fit sauter des coussinets de fonte, armé de sa barre de fer, dont il se servait comme d’un levier. Pendant ce temps, la Brûlé, entraînant les femmes, envahissait la lampisterie, où les bâtons, à la volée, couvrirent le sol d’un carnage de lampes. La Maheude, hors d’elle, tapait aussi fort que la Levaque. Toutes se trempèrent d’huile, la Mouquette s’essuyait les mains à son jupon, en riant d’être si sale. Pour rigoler, Jeanlin lui avait vidé une lampe dans le cou.

Mais ces vengeances ne donnaient pas à manger. Les ventres criaient plus haut. Et la grande lamentation domina encore :

– Du pain ! du pain ! du pain !

Justement, à la Victoire, un ancien porion tenait une cantine. Sans doute il avait pris peur, sa baraque était abandonnée. Quand les femmes revinrent et que les hommes eurent achevé de défoncer la voie, ils assiégèrent la cantine, dont les volets cédèrent tout de suite. On n’y trouva pas de pain, il n’y avait là que deux morceaux de viande crue et un sac de pommes de terre.

Seulement, dans le pillage, on découvrit une 644

cinquantaine de bouteilles de genièvre, qui disparurent comme une goutte d’eau bue par du sable.

Étienne, ayant vidé sa gourde, put la remplir.

Peu à peu, une ivresse mauvaise, l’ivresse des affamés, ensanglantait ses yeux, faisait saillir des dents de loup, entre ses lèvres pâlies. Et, brusquement, il s’aperçut que Chaval avait filé, au milieu du tumulte. Il jura, des hommes coururent, on empoigna le fugitif, qui se cachait avec Catherine, derrière la provision des bois.

– Ah ! bougre de salaud, tu as peur de te compromettre ! hurlait Étienne. C’est toi, dans la forêt, qui demandais la grève des machineurs, pour arrêter les pompes, et tu cherches maintenant à nous chier du poivre !... Eh bien !

nom de Dieu ! nous allons retourner à Gaston-Marie, je veux que tu casses la pompe. Oui, nom de Dieu ! tu la casseras !

Il était ivre, il lançait lui-même ses hommes contre cette pompe, qu’il avait sauvée quelques heures plus tôt.

– À Gaston-Marie ! à Gaston-Marie !

645

Tous l’acclamèrent, se précipitèrent ; pendant que Chaval, saisi aux épaules, entraîné, poussé violemment, demandait toujours qu’on le laissait se laver.

– Va-t’en donc ! cria Maheu à Catherine, qui elle aussi avait repris sa course.

Cette fois, elle ne recula même pas, elle leva sur son père des yeux ardents, et continua de courir.

La bande, de nouveau, sillonna la plaine rase.

Elle revenait sur ses pas, par les longues routes droites, par les terres sans cesse élargies. Il était quatre heures, le soleil, qui baissait à l’horizon, allongeait sur le sol glacé les ombres de cette horde, aux grands gestes furieux.

On évita Montsou, on retomba plus haut dans la route de Joiselle ; et, pour s’épargner le détour de la Fourche-aux-Bœufs, on passa sous les murs de la Piolaine. Les Grégoire, précisément, venaient d’en sortir, ayant à rendre une visite au notaire, avant d’aller dîner chez les Hennebeau, où ils devaient retrouver Cécile. La propriété semblait dormir, avec son avenue de tilleuls 646

déserte, son potager et son verger dénudés par l’hiver. Rien ne bougeait dans la maison, dont les fenêtres closes se ternissaient de la chaude buée intérieure ; et, du profond silence, sortait une impression de bonhomie et de bien-être, la sensation patriarcale des bons lits et de la bonne table, du bonheur sage, où coulait l’existence des propriétaires.

Sans s’arrêter, la bande jetait des regards sombres à travers les grilles, le long des murs protecteurs, hérissés de culs de bouteilles. Le cri recommença :

– Du pain ! du pain ! du pain !

Seuls les chiens répondirent par des abois féroces, une paire de grands danois au poil fauve, qui se dressaient debout, la gueule ouverte. Et, derrière une persienne fermée, il n’y avait que les deux bonnes, Mélanie, la cuisinière, et Honorine, la femme de chambre, attirées par ce cri, suant la peur, toutes pâles de voir défiler ces sauvages.

Elles tombèrent à genoux, elles se crurent mortes, en entendant une pierre, une seule, qui cassait un carreau d’une fenêtre voisine. C’était une farce de 647

Jeanlin : il avait fabriqué une fronde avec un bout de corde, il laissait en passant un petit bonjour aux Grégoire. Déjà, il s’était remis à souffler dans sa corne, la bande se perdait au loin, avec le cri affaibli :

– Du pain ! du pain ! du pain !

On arriva à Gaston-Marie, en une masse grossie encore, plus de deux mille cinq cents forcenés, brisant tout, balayant tout, avec la force accrue du torrent qui roule. Des gendarmes y avaient passé une heure plus tôt, et s’en étaient allés du côté de Saint-Thomas, égarés par des paysans, sans même avoir la précaution, dans leur hâte, de laisser un poste de quelques hommes, pour garder la fosse. En moins d’un quart d’heure, les feux furent renversés, les chaudières vidées, les bâtiments envahis et dévastés. Mais c’était surtout la pompe qu’on menaçait. Il ne suffisait pas qu’elle s’arrêtât au dernier souffle expirant de la vapeur, on se jetait sur elle comme sur une personne vivante, dont on voulait la vie.

– À toi le premier coup ! répétait Étienne, en mettant un marteau au poing de Chaval. Allons !

648

tu as juré avec les autres !

Chaval tremblait, se reculait ; et, dans la bousculade, le marteau tomba, pendant que les camarades, sans attendre, massacraient la pompe à coups de barres de fer, à coups de briques, à coups de tout ce qu’ils rencontraient sous leurs mains. Quelques-uns même brisaient sur elle des bâtons. Les écrous sautaient, les pièces d’acier et de cuivre se disloquaient, ainsi que des membres arrachés. Un coup de pioche à toute volée fracassa le corps de fonte, et l’eau s’échappa, se vida, et il y eut un gargouillement suprême, pareil à un hoquet d’agonie.

C’était la fin, la bande se retrouva dehors, folle, s’écrasant derrière Étienne, qui ne lâchait point Chaval.

– À mort, le traître ! au puits ! au puits !

Are sens

Copyright 2023-2059 MsgBrains.Com