Le misérable, livide, bégayait, en revenait, avec l’obstination imbécile de l’idée fixe, à son besoin de se débarbouiller.
– Attends, si ça te gêne, dit la Levaque. Tiens !
voilà le baquet !
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Il y avait là une mare, une infiltration des eaux de la pompe. Elle était blanche d’une épaisse couche de glace ; et on l’y poussa, on cassa cette glace, on le força à tremper sa tête dans cette eau si froide.
– Plonge donc ! répétait la Brûlé. Nom de Dieu ! si tu ne plonges pas, on te fout dedans...
Et, maintenant, tu vas boire un coup, oui, oui !
comme les bêtes, la gueule dans l’auge !
Il dut boire, à quatre pattes. Tous riaient, d’un rire de cruauté. Une femme lui tira les oreilles, une autre lui jeta au visage une poignée de crottin, trouvée fraîche sur la route. Son vieux tricot ne tenait plus, en lambeaux. Et, hagard, il butait, il donnait des coups d’échine pour fuir.
Maheu l’avait poussé, la Maheude était parmi celles qui s’acharnaient, satisfaisant tous les deux leur rancune ancienne ; et la Mouquette elle-même, qui restait d’ordinaire la bonne camarade de ses galants, s’enrageait après celui-là, le traitait de bon à rien, parlait de le déculotter, pour voir s’il était encore un homme.
Étienne la fit taire.
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– En voilà assez ! Il n’y a pas besoin de s’y mettre tous... Si tu veux, toi, nous allons vider ça ensemble.
Ses poings se fermaient, ses yeux s’allumaient d’une fureur homicide, l’ivresse se tournait chez lui en un besoin de tuer.
– Es-tu prêt ? Il faut que l’un de nous deux y reste... Donnez-lui un couteau. J’ai le mien.
Catherine, épuisée, épouvantée, le regardait.
Elle se souvenait de ses confidences, de son envie de manger un homme, lorsqu’il buvait, empoisonné dès le troisième verre, tellement ses soûlards de parents lui avaient mis de cette saleté dans le corps. Brusquement, elle s’élança, le souffleta de ses deux mains de femme, lui cria sous le nez, étranglée d’indignation :
– Lâche ! lâche ! lâche !... Ce n’est donc pas de trop, toutes ces abominations ? Tu veux l’assassiner, maintenant qu’il ne tient plus debout !
Elle se tourna vers son père et sa mère, elle se tourna vers les autres.
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– Vous êtes des lâches ! des lâches !... Tuez-moi donc avec lui. Je vous saute à la figure, moi !
si vous le touchez encore. Oh ! les lâches !
Et elle s’était plantée devant son homme, elle le défendait, oubliant les coups, oubliant la vie de misère, soulevée dans l’idée qu’elle lui appartenait, puisqu’il l’avait prise, et que c’était une honte pour elle, quand on l’abîmait ainsi.
Étienne, sous les claques de cette fille, était devenu blême. Il avait failli d’abord l’assommer.
Puis, après s’être essuyé la face, dans un geste d’homme qui se dégrise, il dit à Chaval, au milieu d’un grand silence :
– Elle a raison, ça suffit... Fous le camp !
Tout de suite, Chaval prit sa course, et Catherine galopa derrière lui. La foule, saisie, les regardait disparaître au coude de la route. Seule, la Maheude murmura :
– Vous avez tort, fallait le garder. Il va pour sûr faire quelque traîtrise. Mais la bande s’était remise en marche. Cinq heures allaient sonner, le soleil d’une rougeur de braise, au bord de 652
l’horizon, incendiait la plaine immense. Un colporteur qui passait leur apprit que les dragons descendaient du côté de Crèvecœur. Alors, ils se replièrent, un ordre courut.
– À Montsou ! à la Direction !... Du pain ! du pain ! du pain !
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V
Monsieur Hennebeau s’était mis devant la fenêtre de son cabinet, pour voir partir la calèche qui emmenait sa femme déjeuner à Marchiennes.
Il avait suivi un instant Négrel trottant près de la portière ; puis, il était revenu tranquillement s’asseoir à son bureau. Quand ni sa femme ni son neveu ne l’animaient du bruit de leur existence, la maison semblait vide. Justement, ce jour-là, le cocher conduisait Madame ; Rose, la nouvelle femme de chambre, avait congé jusqu’à cinq heures ; et il ne restait qu’Hippolyte, le valet de chambre, se traînant en pantoufles par les pièces, et que la cuisinière, occupée depuis l’aube à se battre avec ses casseroles, tout entière au dîner que ses maîtres donnaient le soir. Aussi, monsieur Hennebeau se promettait-il une journée de gros travail, dans ce grand calme de la maison déserte.
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Vers neuf heures, bien qu’il eût reçu l’ordre de renvoyer tout le monde, Hippolyte se permit d’annoncer, Dansaert, qui apportait des nouvelles. Le directeur apprit seulement alors la réunion tenue la veille, dans la forêt ; et les détails étaient d’une telle netteté, qu’il l’écoutait en songeant aux amours avec la Pierronne, si connus, que deux ou trois lettres anonymes par semaine dénonçaient les débordements du maître-porion : évidemment, le mari avait causé, cette police-là sentait le traversin. Il saisit même l’occasion, il laissa entendre qu’il savait tout, et se contenta de recommander la prudence, dans la crainte d’un scandale. Effaré de ces reproches, au travers de son rapport, Dansaert niait, bégayait des excuses, tandis que son grand nez avouait le crime, par sa rougeur subite. Du reste, il n’insista pas, heureux d’en être quitte à si bon compte ; car, d’ordinaire, le directeur se montrait d’une sévérité implacable d’homme pur, dès qu’un employé se passait le régal d’une jolie fille, dans une fosse. L’entretien continua sur la grève, cette réunion de la forêt n’était encore qu’une fanfaronnade de braillards, rien ne menaçait 655
sérieusement. En tout cas, les corons ne bougeraient sûrement pas de quelques jours, sous l’impression de peur respectueuse que la promenade militaire du matin devait avoir produite.
Lorsque monsieur Hennebeau se retrouva seul, il fut pourtant sur le point d’envoyer une dépêche au préfet. La crainte de donner inutilement cette preuve d’inquiétude le retint. Il ne se pardonnait déjà pas d’avoir manqué de flair, au point de dire partout, d’écrire même à la Régie, que la grève durerait au plus une quinzaine. Elle s’éternisait depuis près de deux mois, à sa grande surprise ; et il s’en désespérait, il se sentait chaque jour diminué, compromis, forcé d’imaginer un coup d’éclat, s’il voulait rentrer en grâce près des régisseurs. Il leur avait justement demandé des ordres, dans l’éventualité d’une bagarre. La réponse tardait, il l’attendait par le courrier de l’après-midi. Et il se disait qu’il serait temps alors de lancer des télégrammes, pour faire occuper militairement les fosses, si telle était l’opinion de ces messieurs. Selon lui, ce serait la bataille, du sang et des morts, à coup sûr. Une responsabilité 656
pareille le troublait, malgré son énergie habituelle.
Jusqu’à onze heures, il travailla paisiblement, sans autre bruit, dans la maison morte, que le bâton à cirer d’Hippolyte, qui, très loin, au premier étage, frottait une pièce. Puis, coup sur coup, il reçut deux dépêches, la première annonçant l’envahissement de Jean-Bart par la bande de Montsou, la seconde racontant les câbles coupés, les feux renversés, tout le ravage.