Très absurde
! dit Mathilde, comme se
parlant à elle-même, mais il a agi. Je veux voir un homme ; amenez-le-moi, dit-elle au marquis très choqué.
Le comte Altamira était un des admirateurs les plus déclarés de l’air hautain et presque impertinent de mademoiselle de La Mole ; elle était suivant lui l’une des plus belles personnes de Paris.
– Comme elle serait belle sur un trône ! dit-il à M. de Croisenois ; et il se laissa amener sans difficultés.
Il ne manque pas de gens dans le monde qui veulent établir que rien n’est de mauvais ton comme une conspiration, cela sent le jacobin. Et quoi de plus laid que le jacobin sans succès ?
Le regard de Mathilde se moquait du
libéralisme d’Altamira avec M. de Croisenois, mais elle l’écoutait avec plaisir.
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Un conspirateur au bal, c’est un joli contraste, pensait-elle. Elle trouvait à celui-ci, avec ses moustaches noires, la figure du lion quand il se repose ; mais elle s’aperçut bientôt que son esprit n’avait qu’une attitude : l’utilité, l’admiration pour l’utilité.
Excepté ce qui pouvait donner à son pays le gouvernement des deux Chambres, le jeune comte trouvait que rien n’était digne de son attention. Il quitta avec plaisir Mathilde, la plus séduisante personne du bal, parce qu’il vit entrer un général péruvien.
Désespérant de l’Europe, le pauvre Altamira en était réduit à penser que, quand les États de l’Amérique méridionale seront forts et puissants, ils pourront rendre à l’Europe la liberté que Mirabeau leur a envoyée1.
Un tourbillon de jeunes gens à moustaches s’était approché de Mathilde. Elle avait bien vu qu’Altamira n’était pas séduit, et se trouvait 1 Cette feuille, composée le 25 juillet 1830, a été imprimée le 4 août. Note de l’éditeur.
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piquée de son départ ; elle voyait son œil noir briller en parlant au général péruvien.
Mademoiselle de La Mole regardait les jeunes Français avec ce sérieux profond qu’aucune de ses rivales ne pouvait imiter. Lequel d’entre eux, pensait-elle, pourrait se faire condamner à mort, en lui supposant même toutes les chances favorables ?
Ce regard singulier flattait ceux qui avaient peu d’esprit, mais inquiétait les autres. Ils redoutaient l’explosion de quelque mot piquant et de réponse difficile.
Une haute naissance donne cent qualités dont l’absence m’offenserait : je le vois par l’exemple de Julien, pensait Mathilde ; mais elle étiole ces qualités de l’âme qui font condamner à mort.
En ce moment quelqu’un disait près d’elle : Ce comte Altamira est le second fils du prince de San Nazaro-Pimentel, c’est un Pimentel qui tenta de sauver Conradin, décapité en 1268. C’est l’une des plus nobles familles de Naples.
Voilà, se dit Mathilde, qui prouve joliment ma maxime : La haute naissance ôte la force de 628
caractère sans laquelle on ne se fait point condamner à mort ! Je suis donc prédestinée à déraisonner ce soir. Puisque je ne suis qu’une femme comme une autre, eh bien ! il faut danser.
Elle céda aux instances du marquis de Croisenois, qui depuis une heure sollicitait une galope. Pour se distraire de son malheur en philosophie, Mathilde voulut être parfaitement séduisante, M.
de Croisenois fut ravi.
Mais ni la danse, ni le désir de plaire à l’un des plus jolis hommes de la cour, rien ne put distraire Mathilde. Il était impossible d’avoir plus de succès. Elle était la reine du bal, elle le voyait, mais avec froideur.
Quelle vie effacée je vais passer avec un être tel que Croisenois ! se disait-elle, comme il la ramenait à sa place une heure après... Où est le plaisir pour moi, ajouta-t-elle tristement, si, après six mois d’absence, je ne le trouve pas au milieu d’un bal qui fait l’envie de toutes les femmes de Paris
? Et encore, j’y suis environnée des hommages d’une société que je ne puis pas imaginer mieux composée. Il n’y a ici de 629
bourgeois que quelques pairs et un ou deux Julien peut-être. Et cependant, ajoutait-elle avec une tristesse croissante, quels avantages le sort ne m’a-t-il pas donnés
: illustration, fortune,
jeunesse ! hélas ! tout, excepté le bonheur.
Les plus douteux de mes avantages sont encore ceux dont ils m’ont parlé toute la soirée.
L’esprit, j’y crois, car je leur fais peur évidemment à tous. S’ils osent aborder un sujet sérieux, au bout de cinq minutes de conversation ils arrivent tout hors d’haleine, et comme faisant une grande découverte à une chose que je leur répète depuis une heure. Je suis belle, j’ai cet avantage pour lequel madame de Staël eût tout sacrifié, et pourtant il est de fait que je meurs d’ennui. Y a-t-il une raison pour que je m’ennuie moins quand j’aurai changé mon nom pour celui du marquis de Croisenois ?
Mais, mon Dieu ! ajouta-t-elle presque avec l’envie de pleurer, n’est-ce pas un homme parfait ? C’est le chef-d’œuvre de l’éducation de ce siècle ; on ne peut le regarder sans qu’il trouve une chose aimable et même spirituelle à vous 630
dire ; il est brave... Mais ce Sorel est singulier, se dit-elle, et son œil quittait l’air morne pour l’air fâché. Je l’ai averti que j’avais à lui parler, et il ne daigne pas reparaître !
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IX
Le bal
Le luxe des toilettes, l’éclat des
bougies, les parfums : tant de jolis bras, de belles épaules
! des
bouquets ! des airs de Rossini qui