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l’homme qui pense, s’il a de l’énergie et de la nouveauté dans ses saillies, vous l’appelez cynique. N’est-ce pas ce nom-là qu’un de vos 643

juges a donné à Courier ? Vous l’avez mis en prison, ainsi que Béranger. Tout ce qui vaut quelque chose, chez vous, par l’esprit, la congrégation le jette à la police correctionnelle ; et la bonne compagnie applaudit.

C’est que votre société vieillie prise avant tout les convenances... Vous ne vous élèverez jamais au-dessus de la bravoure militaire ; vous aurez des Murat et jamais de Washington. Je ne vois en France que de la vanité. Un homme qui invente en parlant arrive facilement à une saillie imprudente, et le maître de la maison se croit déshonoré.

À ces mots, la voiture du comte, qui ramenait Julien, s’arrêta devant l’hôtel de La Mole. Julien était amoureux de son conspirateur. Altamira lui avait fait ce beau compliment, évidemment échappé à une profonde conviction : Vous n’avez pas la légèreté française, et comprenez le principe de l’utilité. Il se trouvait que, justement l’avant-veille, Julien avait vu Marino Faliero, tragédie de M. Casimir Delavigne.

Israël Bertuccio n’a-t-il pas plus de caractère 644

que tous ces nobles Vénitiens ? se disait notre plébéien révolté ; et cependant ce sont des gens dont la noblesse prouvée remonte à l’an 700, un siècle avant Charlemagne, tandis que tout ce qu’il y avait de plus noble ce soir au bal de M. de Retz ne remonte, et encore clopin-clopant, que jusqu’au XIIIe siècle. Eh bien ! au milieu de ces nobles de Venise, si grands par la naissance, c’est d’Israël Bertuccio qu’on se souvient.

Une conspiration anéantit tous les titres donnés par les caprices sociaux. Là, un homme prend d’emblée le rang que lui assigne sa manière d’envisager la mort. L’esprit lui-même perd de son empire...

Que serait Danton aujourd’hui, dans ce siècle des Valenod et des Rênal ? pas même substitut du procureur du roi...

Que dis-je

? il se serait vendu à la

congrégation ; il serait ministre, car enfin ce grand Danton a volé. Mirabeau aussi s’est vendu.

Napoléon avait volé des millions en Italie, sans quoi il eût été arrêté tout court par la pauvreté, comme Pichegru. La Fayette seul n’a jamais volé.

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Faut-il voler, faut-il se vendre ? pensa Julien.

Cette question l’arrêta tout court. Il passa le reste de la nuit à lire l’histoire de la Révolution.

Le lendemain, en faisant ses lettres dans la bibliothèque, il ne songeait encore qu’à la conversation du comte Altamira.

Dans le fait, se disait-il après une longue rêverie, si ces Espagnols libéraux avaient compromis le peuple par des crimes, on ne les eût pas balayés avec cette facilité. Ce furent des enfants orgueilleux et bavards... comme moi !

s’écria tout à coup Julien comme se réveillant en sursaut.

Qu’ai-je fait de difficile qui me donne le droit de juger de pauvres diables qui enfin, une fois en la vie, ont osé, ont commencé à agir ? Je suis comme un homme qui au sortir de table s’écrie : Demain je ne dînerai pas

; ce qui ne

m’empêchera point d’être fort et allègre comme je le suis aujourd’hui. Qui sait ce qu’on éprouve à moitié chemin d’une grande action ?... Ces hautes pensées furent troublées par l’arrivée imprévue de mademoiselle de La Mole, qui entrait dans la 646

bibliothèque. Il était tellement animé par son admiration pour les grandes qualités de Danton, de Mirabeau, de Carnot, qui ont su n’être pas vaincus, que ses yeux s’arrêtèrent sur mademoiselle de La Mole, mais sans songer à elle, sans la saluer, sans presque la voir. Quand enfin ses grands yeux si ouverts s’aperçurent de sa présence, son regard s’éteignit. Mademoiselle de La Mole le remarqua avec amertume.

En vain elle lui demanda un volume de l’ Histoire de France de Vély, placé au rayon le plus élevé, ce qui obligeait Julien à aller chercher la plus grande des deux échelles. Julien avait approché l’échelle ; il avait cherché le volume, il le lui avait remis, sans encore pouvoir songer à elle. En remportant l’échelle, dans sa préoccupation il donna un coup de coude dans une des glaces de la bibliothèque ; les éclats, en tombant sur le parquet, le réveillèrent enfin. Il se hâta de faire des excuses à mademoiselle de La Mole ; il voulut être poli, mais il ne fut que poli.

Mathilde vit avec évidence qu’elle l’avait troublé, et qu’il eût mieux aimé songer à ce qui l’occupait avant son arrivée, que lui parler. Après l’avoir 647

beaucoup regardé, elle s’en alla lentement. Julien la regardait marcher. Il jouissait du contraste de la simplicité de sa toilette actuelle avec l’élégance magnifique de celle de la veille. La différence entre les deux physionomies était presque aussi frappante. Cette jeune fille, si altière au bal du duc de Retz, avait presque en ce moment un regard suppliant. Réellement, se dit Julien, cette robe noire fait briller encore mieux la beauté de sa taille. Elle a un port de reine ; mais pourquoi est-elle en deuil ?

Si je demande à quelqu’un la cause de ce deuil, il se trouvera que je commets encore une gaucherie. Julien était tout à fait sorti des profondeurs de son enthousiasme. Il faut que je relise toutes les lettres que j’ai faites ce matin ; Dieu sait les mots sautés et les balourdises que j’y trouverai. Comme il lisait avec une attention forcée la première de ces lettres, il entendit tout près de lui le bruissement d’une robe de soie ; il se retourna rapidement ; mademoiselle de La Mole était à deux pas de sa table, elle riait. Cette seconde interruption donna de l’humeur à Julien.

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Pour Mathilde, elle venait de sentir vivement qu’elle n’était rien pour ce jeune homme ; ce rire était fait pour cacher son embarras, elle y réussit.

– Évidemment, vous songez à quelque chose de bien intéressant, monsieur Sorel. N’est-ce point quelque anecdote curieuse sur la conspiration qui nous a envoyé à Paris M. le comte Altamira ? Dites-moi ce dont il s’agit ; je brûle de le savoir ; je serai discrète, je vous le jure ! Elle fut étonnée de ce mot en se l’entendant prononcer. Quoi donc, elle suppliait un subalterne ! Son embarras augmentant, elle ajouta d’un petit air léger :

Qu’est-ce qui a pu faire de vous,

ordinairement si froid, un être inspiré, une espèce de prophète de Michel-Ange ?

Cette vive et indiscrète interrogation, blessant Julien profondément, lui rendit toute sa folie.

– Danton a-t-il bien fait de voler ? lui dit-il brusquement et d’un air qui devenait de plus en plus farouche. Les révolutionnaires du Piémont, de l’Espagne, devaient-ils compromettre le peuple par des crimes ? Donner à des gens même 649

sans mérite toutes les places de l’armée, toutes les croix ? Les gens qui auraient porté ces croix n’eussent-ils pas redouté le retour du roi ? Fallait-il mettre le trésor de Turin au pillage ? En un mot, mademoiselle, dit-il en s’approchant d’elle d’un air terrible, l’homme qui veut chasser l’ignorance et le crime de la terre doit-il passer comme la tempête et faire le mal comme au hasard ?

Mathilde eut peur, ne put soutenir son regard, et recula deux pas. Elle le regarda un instant ; puis, honteuse de sa peur, d’un pas léger elle sortit de la bibliothèque.

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X

La reine Marguerite

Amour ! dans quelle folie ne

Are sens

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