« Bon chasseur, laisse-moi la vie,
Et je te donnerai deux petits en récompense. »
Et les chasseurs firent pour les deux petits ours ce qu’ils avaient déjà fait pour les autres animaux. Enfin, devinez qui vint encore ? Un lion. L’un des chasseurs le mit en joue, mais le lion cria aussitôt :
« Bon chasseur, laisse-moi la vie,
Et je te donnerai deux petits en récompense. »
Nos chasseurs avaient donc maintenant deux lions, deux ours, deux loups, deux renards et deux lièvres qui les suivaient et qui étaient prêts à les servir. Ils ne continuaient pas moins pour cela à avoir faim ; aussi dirent-ils aux renards :
– Çà, messieurs les sournois, procurez-nous quelque chose à manger, car vous êtes rusés et adroits. Ils répondirent :
– Non loin d’ici se trouve un village où nous avons déjà dérobé plus d’une poule ; nous voulons vous enseigner le chemin qui y conduit.
Ils allèrent de la sorte dans le village, achetèrent quelque nourriture, n’oublièrent pas de faire aussi rafraîchir leurs bêtes, et continuèrent leur route. Les renards étaient en outre parfaitement renseignés sur les endroits où se trouvaient les basses cours, et ne manquaient pas de donner aux chasseurs les meilleures indications. Ils circulèrent ainsi quelque temps, mais sans trouver un service où ils pussent entrer ensemble. En conséquence, ils se dirent :
– La nécessité l’exige, il faut nous séparer.
Après s’être partagé les animaux, de manière à avoir chacun un lion, un ours, un renard, et un lièvre, ils se quittèrent, en se promettant une amitié fraternelle jusqu’à leur mort ; mais ils ne se dirent point adieu sans avoir d’abord enfoncé dans un arbre le couteau que leur père nourricier leur avait donné. Cela fait, ils se dirigèrent l’un vers l’orient, l’autre vers le couchant. Or, l’aînée des deux frères arriva bientôt dans une ville qui était toute couverte de crêpe noir. Il entra dans une auberge, et demanda à l’hôte de rafraîchir ses bêtes. L’aubergiste mit à sa disposition une écurie où on apercevait un trou dans le mur. Grâce à ce trou, le lièvre put aller chercher un chou, et le renard une poule, qu’ils mangèrent de bon appétit ; mais quant au loup, à l’ours et au lion, leur taille les empêcha de passer. Heureusement pour eux, que l’aubergiste les fit conduire dans une prairie où une génisse était étendue sur l’herbe : ce fut pour eux un bon régal. Après avoir ainsi pris soin de ses bêtes, le chasseur demanda à l’hôte pourquoi la ville était ainsi couverte d’un crêpe noir.
– Parce que, répondit celui-ci, la fille du roi doit mourir demain.
– Elle est donc bien gravement malade, reprit le chasseur.
– Non, répondit l’aubergiste, sa santé est excellente, mais elle n’en doit pas moins mourir.
– Expliquez-moi donc comment cela est possible, demanda le chasseur.
– À peu de distance de la ville, dit l’aubergiste, se dresse une montagne habitée par un dragon ; il faut tous les ans à ce dragon le tribut d’une vierge innocente, sinon il ravage, dans sa colère, tout le pays. Toutes les jeunes filles de la ville ont déjà eu leur tour, et il ne reste plus que la fille du roi ; il n’y a point de rémission : elle doit lui être livrée.
– Et c’est demain que ce sacrifice doit être consommé ? demanda la chasseur ; pourquoi donc ne tue t-on pas ce dragon ?
– Hélas répondit l’aubergiste, bien des cavaliers l’ont tenté, mais tous y ont perdu la vie ; le roi a donné sa parole que celui qui dompterait le dragon obtiendrait la main de sa fille, et hériterait de son royaume après sa mort.
Le chasseur n’ajouta pas un mot, mais le lendemain matin, accompagné de ces animaux, il gravit la montagne du dragon. Il y avait au sommet une petite église, et sur l’autel se trouvaient trois gobelets remplis, et au-dessous d’eux cette inscription : « Celui qui videra ces gobelets deviendra l’homme le plus fort de la terre, et pourra porter l’épée qui est enterrée devant le seuil de la porte. » Le chasseur ne voulut point boire, il sortit de l’église et chercha l’épée dans la terre, mais il n’eut point la force de la soulever. Il revint sur ses pas, vida les gobelets, et se sentit aussitôt assez fort pour saisir l’épée qui se porta dès lors très facilement. Quand vint l’heure où la jeune fille devait être livrée au dragon, le roi, le maréchal et les courtisans l’accompagnèrent jusqu’à la sortie de la ville. Elle aperçut de loin le chasseur sur le sommet de la montagne, elle crut que c’était le dragon, et elle suspendit sa marche tant son épouvante était grande ; mais à la fin, la pensée qu’il y allait du salut de toute la ville lui donna le courage de poursuivre cet affreux voyage. Le roi et les courtisans retournèrent au palais, en proie à une grande douleur, mais le maréchal dut rester là pour assister de loin à cet horrible spectacle. Cependant, lorsque la princesse fut arrivée au haut de la montagne, elle trouva non pas le dragon, mais le jeune chasseur qui lui adressa des paroles de consolation, lui promit de la sauver, et la conduisit dans l’église où il l’enferma. À peine cela était-il fait que le dragon aux sept têtes arriva en poussant d’affreux hurlements. Lorsqu’il aperçut le chasseur, il parut étonné et dit :
– Que viens-tu faire sur cette montagne ? Le chasseur répondit :
– Je viens combattre contre toi. Le dragon répondit :
– De même que maint chevalier a déjà perdu la vie en ces lieux, ainsi serai-je bientôt débarrassé de toi.
Et en disant ces mots, ses sept gueules lancèrent des flammes. Ces flammes devaient allumer l’herbe sèche et le chasseur aurait été suffoqué par le feu et la fumée, mais ses animaux accoururent et éteignirent le feu sous leurs pattes. Alors le dragon s’élança contre le chasseur, qui brandissant son épée, fit siffler l’air et abattit trois têtes du monstre. Cette blessure rendit le dragon furieux il se dressa de toute sa hauteur, vomit des flots de flammes contre le chasseur et voulut se précipiter sur lui mais celui-ci fit de nouveau jouer son épée et lui coupa encore trois têtes. Le monstre était à bout de ses forces ; il tomba en faisant mine encore de vouloir s’élancer sur le chasseur mais le jeune homme, concentrant tout ce qui lui restait de force dans un dernier coup, lui coupa la queue, et comme il était désormais trop fatigué pour continuer le combat, il appela à lui ses bêtes, qui achevèrent de mettre le dragon en pièces. La lutte terminée, le chasseur ouvrit la porte de l’église, et il trouva la princesse étendue par terre, car elle s’était évanouie d’inquiétude et d’effroi pendant le combat. Le jeune homme la porta au grand air, et quand elle eut repris ses esprits et rouvert les yeux, il lui montra le dragon en lambeaux, il lui annonça que désormais elle était libre ; elle s’abandonna à sa joie et lui dit :
– Maintenant, tu vas devenir mon époux, car mon père m’a promise à celui qui tuerait le dragon.
Cela dit, elle détacha de son cou son collier de corail et le partagea entre les animaux, et le lion reçut pour sa part le fermoir d’or. Quant à son mouchoir, où son nom était brodé, elle en fit cadeau au chasseur, qui s’éloigna un moment, coupa les langues des sept têtes du dragon, les roula dans le mouchoir et les mit soigneusement dans sa poche. Cela fait, comme les flammes et le combat l’avaient excessivement fatigué, il dit à la jeune fille :
– Nous sommes tous deux si las que nous ferons bien de prendre un peu de repos. La princesse y consentit ; ils s’étendirent sur l’herbe, et le chasseur dit au lion :
– Tu vas veiller à ce que personne ne nous surprenne pendant notre sommeil.
Et ils s’endormirent. Le lion se plaça près d’eux pour faire sentinelle, mais lui aussi était fatigué du combat, de sorte qu’il appela l’ours et lui dit :
– Place-toi près de moi, j’ai besoin de faire un petit somme, et si quelque chose arrive, aie soin de m’éveiller. L’ours se plaça donc près de lui, mais lui aussi était fatigué il appela le loup et lui dit :
– Place-toi près de moi, j’ai besoin de faire un petit somme, et si quelque chose arrive, hâte-toi de m’éveiller. Le loup se plaça donc près de lui, mais lui aussi était fatigué ; il appela le renard et lui dit :
– Place-toi près de moi, j’ai besoin de faire un petit somme, et si quelque chose arrive, hâte-toi de m’éveiller. Le renard se plaça près de lui, mais lui aussi était fatigué ; il appela le lièvre et lui dit :
– Place-toi près de moi, j’ai besoin de faire un petit somme, et si quelque chose arrive, hâte-toi de me réveiller.
Le lièvre se plaça donc près de lui, mais le pauvre lièvre aussi était fatigué ; il n’avait personne qu’il pût charger de faire sentinelle, et il s’endormit. Ainsi dormaient donc la princesse, le chasseur, le lion, l’ours, le renard et le lièvre et tous dormaient d’un profond sommeil. Cependant le maréchal qui avait été chargé de regarder tout de loin, n’ayant point vu le dragon s’enfuir avec la jeune fille, et remarquant que tout était tranquille sur la montagne, s’enhardit et se mit à la gravir. Quand il fut arrivé au sommet, il aperçut le monstre dont les membres épars gisaient à terre, et non loin de là, la princesse et le chasseur avec ses bêtes, tous plongés dans un sommeil profond. Et comme il était méchant et cruel, il prit son épée, coupa la tête du chasseur, saisit la jeune fille dans ses bras et la porta au bas de la montagne. Arrivés au pied, celle-ci s’éveilla et fut saisie d’effroi ; mais le maréchal lui dit :
– Tu es en mon pouvoir, il faut que tu dises que c’est moi qui ai tué le dragon.
– Je ne le puis, répondit-elle, car c’est un chasseur qui l’a fait avec le secours de ses bêtes.
– Alors le maréchal tira son épée et la menaça de l’en frapper si elle ne consentait pas à lui obéir.
La jeune fille céda à cette violence ; il la conduisit en présence du roi qui fut au comble de la joie, de revoir en vie sa chère enfant qu’il croyait devenue la proie du dragon. Le maréchal lui dit :
– J’ai tué le monstre et délivré ainsi la princesse et le pays tout entier ; en conséquence, je la réclame pour mon épouse, suivant votre parole royale. Le roi dit à la jeune fille :
– Est-ce la vérité que je viens d’entendre ?
– Hélas ! oui, répondit-elle, mais je mets pour condition que le mariage ne se célébrera qu’après un an et un jour.