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– Très bien, mon cher mari, lui dit-elle, puisque tels sont tes ordres, j’obéirai et je ferai ce que tu dis. Elle se jeta dans ses bras et l’embrassa, en lui disant qu’avant de partir elle viendrait encore prendre congé de lui. Elle prépara bien vite une boisson fortement narcotique et la lui présenta comme le verre de l’adieu. Le roi en but une bonne dose, cependant qu’elle faisait mine d’y tremper les lèvres, et quand elle le vit succomber au sommeil, elle appela ses serviteurs et se fit apporter une belle et blanche toile de lin, dans laquelle elle l’enveloppa complètement ; puis elle leur fit porter ce lourd paquet jusqu’à sa voiture, devant la porte extérieure du palais. Elle emporta le dormeur jusque dans sa chaumière, où elle le coucha sur son petit lit de jeune fille, pour l’y laisser dormir jour et nuit aussi longtemps que se prolongea l’effet du narcotique. Lorsqu’il se réveilla, il regarda avec stupéfaction autour de lui, ne comprenant ni où il se trouvait, ni ce qu’il lui arrivait. Il appela ses serviteurs, après diverses exclamations de surprise, mais personne ne vint et nul ne répondit. Ce fut sa femme, pour finir, qui arriva devant son lit et qui lui dit : – Mon cher seigneur, vous m’avez commandé et permis d’emporter du château ce que j’aimais le plus et ce que je tenais comme le bien le plus précieux ; et comme je n’aime au monde rien plus que vous, comme je n’ai aucun bien qui me soit plus précieux, je vous ai pris avec moi pour vous garder dans ma chaumière ! Le roi en eut les larmes aux yeux. – Ma chère femme, lui dit-il, tu es mienne comme je suis tien ! Il la ramena dans le château royal pour y célébrer de nouvelles noces avec elle – et sans doute y vivent-ils encore à l’heure qu’il est.

Chapitre 3 Jean-le-Fidèle

Il était une fois un vieux roi malade qui, sentant la mort approcher fit appeler son plus dévoué serviteur. Il lui dit :

« Fidèle Jean, je vais bientôt quitter cette terre, et je n’emporte qu’un seul regret : laisser derrière moi un fils trop jeune pour savoir se conduire lui-même et gouverner son royaume. Si tu ne me promets pas de lui enseigner tout ce qu’il doit savoir et de lui servir de guide, je ne saurai mourir en paix. »

Le fidèle Jean était vieux, il répondit pourtant : « Je ne quitterai jamais le prince et je le servirai de toutes mes forces, même si je dois les épuiser à son service.

– Merci, fidèle Jean, dit le roi. Grâce à toi je mourrai en paix… Après ma mort, tu feras visiter à mon fils tout le château, depuis le sommet des tours jusqu’aux oubliettes les plus profondes ; tu lui montreras où sont les trésors et les réserves, mais tu ne le laisseras pas pénétrer dans la dernière chambre de la tour du nord. Là, se trouve le portrait de la princesse du Castel d’Or. S’il le voit, de grands malheurs en découleront et mieux vaut ignorer l’existence de cette princesse que de chercher à l’approcher. »

Le fidèle Jean s’engagea à respecter les volontés du roi mourant et peu après celui-ci rendit l’âme.

Quand le temps du deuil fut écoulé, le fidèle serviteur dit à son nouveau maître :

« Il est temps pour vous de connaître votre héritage. Venez avec moi, je vais vous faire visiter le château de vos pères. »

Il conduisit le jeune roi à travers les salles et les galeries, les escaliers et les tourelles, lui fit admirer bien des tapisseries et des meubles précieux, ouvrit de nombreux coffres pleins d’or ou de monnaies rares, mais laissa bien close la porte de la tour du nord, où se trouvait le portrait de la princesse du Castel d’Or.

Ce portrait se trouvait placé de telle sorte qu’on le voyait dès qu’on entrait dans la pièce, et il était peint de si merveilleuse façon qu’on croyait voir la princesse sourire et respirer, comme si elle se tenait là, vivante.

Le jeune roi, cependant, remarqua que le fidèle Jean passait devant cette porte sans l’ouvrir et lui en demanda la raison.

« Parce que, répondit le fidèle Jean, il y a dans cette pièce quelque chose qui vous ferait peur.

« Je veux le voir », répéta le jeune roi, cherchant à ouvrir la porte, mais Jean le retint.

« Non, dit-il, j’ai promis au roi votre père que vous ne verriez pas ce que contient cette pièce. Si vous y jetiez un seul coup d’œil, les plus grands malheurs pourraient en résulter et pour vous et pour votre royaume.

– Le plus grand malheur, dit le prince, serait plutôt que je ne puisse y entrer, car alors, de jour ni de nuit, je ne pourrai trouver le repos. Je ne bougerai pas d’ici tant que tu n’auras pas ouvert cette porte. » Le fidèle Jean comprit que le jeune roi ne changerait pas d’avis ; alors il prit son trousseau de clefs, en choisit une et, à regret, l’introduisit dans la serrure.

Il pénétra le premier dans la pièce, espérant avoir le temps de couvrir le tableau, mais il était déjà trop tard : le prince, entré sur ses talons, vit le portrait, son regard rencontra celui de la princesse et il tomba sur le plancher, évanoui.

« Le malheur est arrivé. Qu’allons-nous devenir, à présent ? » se dit le fidèle Jean avec angoisse.

Enfin le roi ouvrit les yeux. Ses premières paroles furent pour demander qui était cette ravissante princesse, et quand le fidèle serviteur eut répondu à sa question, il dit :

« Si toutes les feuilles de tous les arbres étaient des langues parlant nuit et jour, elles ne sauraient assez dire à quel point je l’aime. Ma vie dépend d’elle et je pars immédiatement à sa recherche. Toi, qui es mon fidèle Jean, tu m’accompagneras. »

Le fidèle serviteur essaya de raisonner son maître, mais ce fut bien inutile. Il comprit qu’il fallait lui céder et, après avoir longuement réfléchi, il mit au point un projet qui devait lui permettre d’arriver auprès de l’inaccessible princesse.

« Tout ce qui entoure le roi et sa fille est en or, dit-il enfin à son maître, et elle n’aime que ce qui est en or. Dans votre trésor il y a cinq tonnes de ce métal précieux, mettez-les à la disposition de vos orfèvres afin qu’ils les transforment en objets de toutes sortes, qu’ils les décorent d’oiseaux et de bêtes sauvages ; je sais que cela lui plaira. Dès que tout sera prêt, nous embarquerons et tenterons notre chance. »

Tout fut fait comme Jean l’avait proposé.

Les orfèvres travaillèrent nuit et jour, ciselèrent des merveilles par centaines, un navire fut équipé, le fidèle Jean et le roi revêtirent des costumes de marchands, afin de n’être pas reconnus, puis les voiles furent hissées et le navire cingla vers le large, en direction du lointain point sur l’horizon où s’élevait le Castel d’Or.

Quand ils abordèrent cette île lointaine, le fidèle Jean recommanda au roi de rester à bord, tandis que lui-même chercherait à approcher la princesse. Il descendit à terre, emportant de précieuses coupes d’or, escalada une falaise et arriva près d’une rivière. Là, une jeune servante puisait de l’eau dans deux seaux d’or et, quand elle vit paraître cet étranger, elle lui demanda ce qu’il désirait.

« Je suis un marchand », lui répondit Jean, laissant entrevoir le contenu des ballots qu’il avait apportés.

« Oh ! s’écria la servante, si la fille du roi voyait ces merveilles, elle vous les achèterait certainement », et entraînant le faux marchand, elle le conduisit au château dont de hauts remparts et d’innombrables gardiens défendaient l’accès.

Quand la princesse eut aperçu les coupes d’or, elle les prit une à une, les admira et dit : « Je vous les achète. » Mais le fidèle Jean répondit : « Je ne suis que le serviteur d’un riche marchand. Ce que je vous montre ici n’est rien en comparaison de ce qu’il transporte à bord de son navire.

– Alors qu’il apporte ici toute sa cargaison, ordonna la princesse.

« Cela demanderait des jours et des jours, répondit Jean, et votre palais, si grand qu’il soit, ne l’est pas assez pour contenir tant de merveilles. »

Ces mots ne firent qu’exciter davantage la convoitise de la princesse qui demanda à Jean de la conduire jusqu’au bateau.

Il obéit avec la plus grande joie, et le roi, quand il vit paraître la princesse, reconnut que sa beauté était encore plus grande qu’il ne l’avait cru en voyant le tableau. Il la fit descendre dans les cales de son navire où, sur des brocarts tissés d’or, il avait disposé des coffres débordant de bijoux, de plats, de statuettes et de candélabres. Tout était de l’or le plus pur, et les fines ciselures brillaient au soleil ou luisaient dans les coins d’ombre, d’un insoutenable éclat.

Pendant ce temps, le fidèle Jean était resté sur le pont, auprès du timonier. Sur ses ordres, l’ancre fut levée sans bruit, les voiles hissées en silence et, seul, le léger clapotement des vagues contre la coque et la houle maintenant un peu plus forte trahirent le moment où le navire, tournant sur son erre, prit le large et alla vers d’autres cieux.

Mais la princesse était bien trop absorbée dans sa contemplation pour remarquer quoi que ce soit. Plusieurs heures s’écoulèrent avant qu’elle eût achevé de tout voir, de tout admirer, et lorsque, enfin, elle prit congé du marchand, la nuit était presque venue.

Elle remonta sur le pont, vit les matelots à la manœuvre, les voiles gonflées par le vent et, à l’horizon, la terre comme un mince et lointain fil, maintenant hors d’atteinte.

« Ah ! s’écria-t-elle, je suis trahie ! Un vil marchand m’a prise au piège et m’emporte loin de mon père.

– Rassurez-vous, lui dit le roi en la prenant par la main, il est vrai que je vous ai enlevée par ruse, mais je ne suis pas un vil marchand. Mon père était un roi aussi puissant que le vôtre et je suis votre égal par la naissance. J’ai agi par ruse, mais l’amour est mon excuse : je ne pense qu’à vous depuis ce jour où j’ai découvert votre portrait, et ne saurais plus vivre sans vous. »

Quand la princesse entendit ces mots, son cœur changea, elle regarda le roi avec plus de complaisance et accepta de devenir sa femme.

Le voyage se poursuivit dans le calme et le bonheur, mais un jour où le fidèle Jean, assis sur le pont, jouait de la flûte, il vit voler trois corbeaux. Il écouta ce qu’ils disaient, car il comprenait le langage des bêtes.

Le premier croassait : « Le roi croit avoir conquis la princesse du Castel d’Or.

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