Il était une fois un sorcier entouré d’une grande foule, devant laquelle il exécutait ses tours et faisait ses prodiges. Entre autres choses, il fit avancer un coq, qui avait une énorme poutre sur le dos et qui la portait aussi facilement qu’un fétu de paille. Mais il y avait là une jeune fille qui venait de trouver un trèfle à quatre feuilles et qui, grâce à cela, possédait un esprit de sagesse et ne pouvait être suggestionnée, ni sujette aux fantasmagories. Voyant donc que la poutre n’était, en réalité, qu’un brin de paille, elle s’écria.- « Braves gens ! Ne voyez-vous pas que c’est un simple bout de paille et non pas une poutre que porte le coq ? » Le prestige s’évanouit aussitôt, et tous les gens virent effectivement les choses telles qu’elles étaient, de sorte que le sorcier fut couvert d’injures et chassé honteusement. « Attends un peu, se dit-il en contenant difficilement sa colère, je saurai bien me venger, et plus tôt que tu ne penses ! » À quelque temps de là, la jeune fille fêtait ses noces et s’acheminait vers l’église, en grande toilette, à la tête du cortège nuptial, coupant à travers champs. Tout à coup, le cortège fut arrêté par un ruisseau dont les eaux s’étaient gonflées et sur lequel il n’y avait ni pont, ni passerelle. La fiancée n’hésita pas et releva ses jupes d’un geste leste, s’avançant pour traverser. Elle allait mettre le pied dans l’eau quand un grand rire éclata à côté d’elle, suivi d’une voix moqueuse qui lui disait : « Alors, tu ne vois donc pas clair ? Qu’as-tu fait de tes yeux pour voir de l’eau où il n’y en a pas ? » C’était le sorcier, dont les paroles eurent pour effet de dessiller les yeux de la mariée, qui se vit soudain les jupes haut levées, au beau milieu d’un champ de lin fleuri, d’un bleu tendre et beau. Toute la noce se moqua d’elle et la mit en fuite, à son tour, sous les quolibets et les sarcasmes.
Chapitre 16 Le Pêcheur et sa femme
Il y avait une fois un pêcheur et sa femme ; ils vivaient dans une misérable hutte près du bord de la mer. Le pêcheur, qui se nommait Pierre, allait tous les jours jeter son hameçon, mais il restait souvent bien des heures avant de prendre quelque poisson.
Un jour qu’il se tenait sur la plage, regardant sans cesse les mouvements du hameçon, voilà qu’il le voit disparaître et aller au fond ; il tire, et au bout de la ligne se montre un gros cabillaud.
– Je t’en supplie, dit l’animal, laisse-moi la vie, je ne suis pas un vrai poisson, mais bien un prince enchanté. Relâche-moi, je t’en prie ; rends-moi la liberté, le seul bien qui me reste.
– Pas besoin de tant de paroles, répondit le brave Pierre. Un poisson, qui sait parler, il mérite bien qu’on le laisse nager à son aise.
Et il détacha la bête, qui s’enfuit de nouveau au fond de l’eau, laissant derrière elle une traînée de sang. De retour dans sa cahute, il raconta à sa femme quel beau poisson il avait pris et comment il lui avait rendu la liberté.
– Et tu ne lui as rien demandé en retour ? dit la femme.
– Mais non, qu’aurais-je donc dû souhaiter ? répondit Pierre.
– Comment, n’est-ce pas un supplice, que de demeurer toujours dans cette vilaine cabane, sale et infecte ; tu aurais bien pu demander une gentille chaumière.
L’homme ne trouvait pas que le service qu’il avait rendu bien volontiers au pauvre prince valût une si belle récompense. Cependant, il alla sur la plage, et, arrivé au bord de la mer, qui était toute verte, il s’écria :
– Cabillaud, cher cabillaud, ma femme, mon Isabelle, malgré moi, elle veut absolument quelque chose.
Aussitôt apparut le poisson, et il dit :
– Eh bien, que lui faut-il ?
– Voilà, dit le pêcheur ; parce que je t’ai rendu la liberté, elle prétend que tu devrais m’accorder un souhait ; elle en a assez de notre hutte, elle voudrait habiter une gentille chaumière.
– Soit, répondit le cabillaud, retourne chez toi, et tu verras son vœu accompli.
En effet, Pierre aperçut sa femme sur la porte d’une chaumière coquette et proprette.
– Viens donc vite, lui cria-t-elle, viens voir comme c’est charmant ici ; il y a deux belles chambres, et une cuisine, derrière nous avons une cour avec des poules et des canards, et un petit jardin avec des légumes et quelques fleurs.
– Oh ! quelle joyeuse existence nous allons mener maintenant, dit Pierre.
– Oui, dit-elle, je suis au comble de mes vœux !
Pendant une quinzaine de jours ce fut un enchantement continuel ; puis tout à coup la femme dit :
– Écoute, Pierre, cette chaumière est par trop étroite et son jardin n’est pas plus grand que la main. je ne serai heureuse que dans un grand château en pierres de taille. Va trouver le cabillaud et fais-lui savoir que tel est mon désir.
– Mais, répondit le pêcheur, voilà quinze jours à peine que cet excellent prince nous a fait cadeau d’une si jolie chaumière, comme nous n’aurions jamais osé en rêver une pareille. Et tu veux que j’aille l’importuner de nouveau ! Il m’enverra promener, et il aura raison.
– Du tout, dit la femme ; je le sais mieux que toi, il ne demande pas mieux que de nous faire plaisir. Va le trouver, comme je te le dis.
Le brave homme s’en fut sur la plage ; la mer était bleu foncé, presque violette, mais calme. Le pêcheur s’écria :
– Cabillaud, mon cher cabillaud ! ma femme, mon Isabelle, malgré moi, elle veut absolument quelque chose.
– Que lui faut-il donc ? répondit le poisson, qui apparut sur-le-champ, la tête hors de l’eau.
– Imagine-toi, répondit Pierre tout confus, que la belle chaumière ne lui convient plus, et qu’elle désire un palais en pierres de taille !
– Retourne chez toi, dit le cabillaud, son souhait est déjà accompli.
En effet, le pêcheur trouva sa femme se promenant dans la vaste cour d’un splendide château.
– Oh ! ce gentil cabillaud, dit-elle ; regarde donc comme tout est magnifique !
Ils entrèrent à travers un vestibule en marbre ; une foule de domestiques galonnés d’or leur ouvrirent les portes des riches appartements, garnis de meubles dorés et recouverts des plus précieuses étoffes. Derrière le château s’étendait un immense jardin où poussaient les fleurs les plus rares puis, venait un grandissime parc, où folâtraient des cerfs, des daims et toute espèce d’oiseaux ; sur le côté se trouvaient de vastes écuries, avec des chevaux de luxe et une étable, qui contenait une quantité de belles vaches.
– Quel sort digne d’envie, que le nôtre, dit le brave pêcheur, écarquillant les yeux à l’aspect de ces merveilles ; j’espère que tes vœux les plus téméraires sont satisfaits.
– C’est ce que je me demande, répondit la femme ; mais j’y réfléchirai mieux demain.
Puis, après avoir goûté des mets délicieux qui leur furent servis pour le souper, ils allèrent se coucher.
Le lendemain matin, qu’il faisait à peine jour, la femme, éveillant son mari, en le poussant du coude, lui dit :
– Maintenant que nous avons ce palais, il faut que nous soyons maîtres et seigneurs de tout le pays à l’entour.
– Comment, répondit Pierre, tu voudrais porter une couronne ? quant à moi, je ne veux pas être roi.
– Eh bien, moi je tiens à être reine. Allons, habille-toi, et cours faire savoir mon désir à ce cher cabillaud.
Le pêcheur haussa les épaules, mais il n’en obéit pas moins. Arrivé sur la plage, il vit la mer couleur gris sombre, et assez houleuse ; il se mit à crier :