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Les colons se trouvaient alors à mi-chemin de Granite-House et du corral. Il leur restait donc encore deux milles et demi à franchir. Ils prirent le pas de course. En effet, on devait craindre que quelque grave événement ne se fût accompli au corral. Sans doute, Ayrton avait pu envoyer un télégramme qui n’était pas arrivé, et ce n’était pas là la raison qui devait inquiéter ses compagnons, mas, circonstance plus inexplicable, Ayrton, qui avait promis de revenir la veille au soir, n’avait pas reparu. Enfin, ce n’était pas sans motif que toute communication avait été interrompue entre le corral et Granite-House, et quels autres que les convicts avaient intérêt à interrompre cette communication ?

Les colons couraient donc, le cœur serré par l’émotion. Ils s’étaient sincèrement attachés à leur nouveau compagnon. Allaient-ils le trouver frappé de la main même de ceux dont il avait été autrefois le chef ?

Bientôt ils arrivèrent à l’endroit où la route longeait ce petit ruisseau dérivé du creek rouge, qui irriguait les prairies du corral. Ils avaient alors modéré leur pas, afin de ne pas se trouver essoufflés au moment où la lutte allait peut-être devenir nécessaire. Les fusils n’étaient plus au cran de repos, mais armés. Chacun surveillait un côté de la forêt. Top faisait entendre quelques sourds grognements qui n’étaient pas de bon augure. Enfin, l’enceinte palissadée apparut à travers les arbres. On n’y voyait aucune trace de dégâts. La porte en était fermée comme à l’ordinaire. Un silence profond régnait dans le corral. Ni les bêlements accoutumés des mouflons, ni la voix d’Ayrton ne se faisaient entendre.

« Entrons ! » dit Cyrus Smith.

Et l’ingénieur s’avança, pendant que ses compagnons, faisant le guet à vingt pas de lui, étaient prêts à faire feu.

Cyrus Smith leva le loquet intérieur de la porte, et il allait repousser un des battants, quand Top aboya avec violence. Une détonation éclata au-dessus de la palissade, et un cri de douleur lui répondit.

Harbert, frappé d’une balle, gisait à terre !


CHAPITRE VII

Au cri d’Harbert, Pencroff, laissant tomber son arme, s’était élancé vers lui.

« Ils l’ont tué ! s’écria-t-il ! Lui, mon enfant ! Ils l’ont tué ! »

Cyrus Smith, Gédéon Spilett s’étaient précipités vers Harbert. Le reporter écoutait si le cœur du pauvre enfant battait encore.

« Il vit, dit-il. Mais il faut le transporter…

– À Granite-House ? C’est impossible ! répondit l’ingénieur.

– Au corral, alors ! s’écria Pencroff.

– Un instant », dit Cyrus Smith.

Et il s’élança sur la gauche de manière à contourner l’enceinte. Là, il se vit en présence d’un convict qui, l’ajustant, lui traversa le chapeau d’une balle. Quelques secondes après, avant même qu’il eût eu le temps de tirer son second coup, il tombait, frappé au cœur par le poignard de Cyrus Smith, plus sûr encore que son fusil.

Pendant ce temps, Gédéon Spilett et le marin se hissaient aux angles de la palissade, ils en enjambaient le faîte, ils sautaient dans l’enceinte, ils renversaient les étais qui maintenaient la porte intérieurement, ils se précipitaient dans la maison qui était vide, et, bientôt, le pauvre Harbert reposait sur le lit d’Ayrton. Quelques instants après, Cyrus Smith était près de lui.

À voir Harbert inanimé, la douleur du marin fut terrible. Il sanglotait, il pleurait, il voulait se briser la tête contre la muraille. Ni l’ingénieur ni le reporter ne purent le calmer. L’émotion les suffoquait eux-mêmes. Ils ne pouvaient parler.

Toutefois, ils firent tout ce qui dépendait d’eux pour disputer à la mort le pauvre enfant qui agonisait sous leurs yeux. Gédéon Spilett, après tant d’incidents dont sa vie avait été semée, n’était pas sans avoir quelque pratique de médecine courante.

Il savait un peu de tout, et maintes circonstances s’étaient déjà rencontrées dans lesquelles il avait dû soigner des blessures produites soit par une arme blanche, soit par une arme à feu. Aidé de Cyrus Smith, il procéda donc aux soins que réclamait l’état d’Harbert.

Tout d’abord, le reporter fut frappé de la stupeur générale qui l’accablait, stupeur due soit à l’hémorragie, soit même à la commotion, si la balle avait heurté un os avec assez de force pour déterminer une secousse violente.

Harbert était extrêmement pâle, et son pouls d’une faiblesse telle que Gédéon Spilett ne le sentit battre qu’à de longs intervalles, comme s’il eût été sur le point de s’arrêter. En même temps, il y avait une résolution presque complète des sens et de l’intelligence. Ces symptômes étaient très graves.

La poitrine d’Harbert fut mise à nu, et, le sang ayant été étanché à l’aide de mouchoirs, elle fut lavée à l’eau froide.

La contusion, ou plutôt la plaie contuse apparut. Un trou ovalisé existait sur la poitrine entre la troisième et la quatrième côte. C’est là que la balle avait atteint Harbert.

Cyrus Smith et Gédéon Spilett retournèrent alors le pauvre enfant, qui laissa échapper un gémissement si faible, qu’on eût pu croire que c’était son dernier soupir. Une autre plaie contuse ensanglantait le dos d’Harbert, et la balle qui l’avait frappé s’en échappa aussitôt.

« Dieu soit loué ! dit le reporter, la balle n’est pas restée dans le corps, et nous n’aurons pas à l’extraire.

– Mais le cœur ?… demanda Cyrus Smith.

– Le cœur n’a pas été touché, sans quoi Harbert serait mort !

– Mort ! » s’écria Pencroff, qui poussa un rugissement !

Le marin n’avait entendu que les derniers mots prononcés par le reporter.

« Non, Pencroff, répondit Cyrus Smith, non ! Il n’est pas mort. Son pouls bat toujours ! Il a fait même entendre un gémissement. Mais, dans l’intérêt même de votre enfant, calmez-vous. Nous avons besoin de tout notre sang-froid. Ne nous le faites pas perdre, mon ami. »

Pencroff se tut, mais, une réaction s’opérant en lui, de grosses larmes inondèrent son visage.

Cependant, Gédéon Spilett essayait de rappeler ses souvenirs et de procéder avec méthode. D’après son observation, il n’était pas douteux, pour lui, que la balle, entrée par devant, ne fût sortie par derrière.

Mais quels ravages cette balle avait-elle causés dans son passage ? Quels organes essentiels étaient atteints ? Voilà ce qu’un chirurgien de profession eût à peine pu dire en ce moment, et, à plus forte raison, le reporter.

Cependant, il savait une chose : c’est qu’il aurait à prévenir l’étranglement inflammatoire des parties lésées, puis à combattre l’inflammation locale et la fièvre qui résulteraient de cette blessure, – blessure mortelle peut-être ! Or, quels topiques, quels antiphlogistiques employer ? Par quels moyens détourner cette inflammation ? En tout cas, ce qui était important, c’était que les deux plaies fussent pansées sans retard. Il ne parut pas nécessaire à Gédéon Spilett de provoquer un nouvel écoulement du sang, en les lavant à l’eau tiède et en en comprimant les lèvres. L’hémorragie avait été très abondante, et Harbert n’était déjà que trop affaibli par la perte de son sang.

Le reporter crut donc devoir se contenter de laver les deux plaies à l’eau froide.

Harbert était placé sur le côté gauche, et il fut maintenu dans cette position.

« Il ne faut pas qu’il remue, dit Gédéon Spilett. Il est dans la position la plus favorable pour que les plaies du dos et de la poitrine puissent suppurer à l’aise, et un repos absolu est nécessaire.

– Quoi ! Nous ne pouvons le transporter à Granite-House ? demanda Pencroff.

– Non, Pencroff, répondit le reporter.

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