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Les colons se regardèrent et regardèrent l’ingénieur.

Ils ne pouvaient le comprendre.

« Expliquez-vous, Cyrus ! dit Gédéon Spilett.

– Je m’explique, répondit Cyrus Smith, ou plutôt, je ne ferai que vous transmettre l’explication que, pendant nos quelques minutes d’entretien secret, m’a donnée le capitaine Nemo.

– Le capitaine Nemo ! s’écrièrent les colons.

– Oui, et c’est le dernier service qu’il a voulu nous rendre avant de mourir !

– Le dernier service ! s’écria Pencroff ! Le dernier service ! Vous verrez que, tout mort qu’il est, il nous en rendra d’autres encore !

– Mais que vous a dit le capitaine Nemo ? demanda le reporter.

– Sachez-le donc, mes amis, répondit l’ingénieur. L’île Lincoln n’est pas dans les conditions où sont les autres îles du Pacifique, et une disposition particulière que m’a fait connaître le capitaine Nemo doit amener tôt ou tard la dislocation de sa charpente sous-marine.

– Une dislocation ! L’île Lincoln ! Allons donc ! s’écria Pencroff, qui, malgré tout le respect qu’il avait pour Cyrus Smith, ne put s’empêcher de hausser les épaules.

– Écoutez-moi, Pencroff, reprit l’ingénieur. Voici ce qu’avait constaté le capitaine Nemo, et ce que j’ai constaté moi-même, hier, pendant l’exploration que j’ai faite à la crypte Dakkar. Cette crypte se prolonge sous l’île jusqu’au volcan, et elle n’est séparée de la cheminée centrale que par la paroi qui en ferme le chevet. Or, cette paroi est sillonnée de fractures et de fentes qui laissent déjà passer les gaz sulfureux développés à l’intérieur du volcan.

– Eh bien ? demanda Pencroff, dont le front se plissait violemment.

– Eh bien, j’ai reconnu que ces fractures s’agrandissaient sous la pression intérieure, que la muraille de basalte se fendait peu à peu, et que, dans un temps plus ou moins court, elle livrerait passage aux eaux de la mer dont la caverne est remplie.

– Bon ! répliqua Pencroff, qui essaya de plaisanter encore une fois. La mer éteindra le volcan, et tout sera fini !

– Oui, tout sera fini ! répondit Cyrus Smith. Le jour où la mer se précipitera à travers la paroi et pénétrera par la cheminée centrale jusque dans les entrailles de l’île, où bouillonnent les matières éruptives, ce jour-là, Pencroff, l’île Lincoln sautera comme sauterait la Sicile si la Méditerranée se précipitait dans l’Etna ! »

Les colons ne répondirent rien à cette phrase si affirmative de l’ingénieur. Ils avaient compris quel danger les menaçait.

Il faut dire, d’ailleurs, que Cyrus Smith n’exagérait en aucune façon. Bien des gens ont déjà eu l’idée qu’on pourrait peut-être éteindre les volcans, qui, presque tous, s’élèvent sur les bords de la mer ou des lacs, en ouvrant passage à leurs eaux. Mais ils ne savaient pas qu’on se fût exposé ainsi à faire sauter une partie du globe, comme une chaudière dont la vapeur est subitement tendue par un coup de feu. L’eau, se précipitant dans un milieu clos dont la température peut être évaluée à des milliers de degrés, se vaporiserait avec une si soudaine énergie, qu’aucune enveloppe n’y pourrait résister.

Il n’était donc pas douteux que l’île, menacée d’une dislocation effroyable et prochaine, ne durerait que tant que la paroi de la crypte Dakkar durerait elle-même. Ce n’était même pas une question de mois, ni de semaines, mais une question de jours, d’heures peut-être !

Le premier sentiment des colons fut une douleur profonde ! Ils ne songèrent pas au péril qui les menaçait directement, mais à la destruction de ce sol qui leur avait donné asile, de cette île qu’ils avaient fécondée, de cette île qu’ils aimaient, qu’ils voulaient rendre si florissante un jour !

Tant de fatigues inutilement dépensées, tant de travaux perdus !

Pencroff ne put retenir une grosse larme qui glissa sur sa joue, et qu’il ne chercha point à cacher.

La conversation continua pendant quelque temps encore. Les chances auxquelles les colons pouvaient encore se rattacher furent discutées ; mais, pour conclure, on reconnut qu’il n’y avait pas une heure à perdre, que la construction et l’aménagement du navire devaient être poussés avec une prodigieuse activité, et que là, maintenant, était la seule chance de salut pour les habitants de l’île Lincoln !

Tous les bras furent donc requis. À quoi eût servi désormais de moissonner, de récolter, de chasser, d’accroître les réserves de Granite-House ? Ce que contenaient encore le magasin et les offices suffirait, et au delà, à approvisionner le navire pour une traversée, si longue qu’elle pût être ! Ce qu’il fallait, c’était qu’il fût à la disposition des colons avant l’accomplissement de l’inévitable catastrophe.

Les travaux furent repris avec une fiévreuse ardeur. Vers le 23 janvier, le navire était à demi bordé. Jusqu’alors, aucune modification ne s’était produite à la cime du volcan. C’était toujours des vapeurs, des fumées mêlées de flammes et traversées de pierres incandescentes, qui s’échappaient du cratère. Mais, pendant la nuit du 23 au 24, sous l’effort des laves, qui arrivèrent au niveau du premier étage du volcan, celui-ci fut décoiffé du cône qui formait chapeau. Un bruit effroyable retentit. Les colons crurent d’abord que l’île se disloquait. Ils se précipitèrent hors de Granite-House.

Il était environ deux heures du matin.

Le ciel était en feu. Le cône supérieur – un massif haut de mille pieds, pesant des milliards de livres – avait été précipité sur l’île, dont le sol trembla.

Heureusement, ce cône inclinait du côté du nord, et il tomba sur la plaine de sables et de tufs qui s’étendait entre le volcan et la mer. Le cratère, largement ouvert alors, projetait vers le ciel une si intense lumière, que, par le simple effet de la réverbération, l’atmosphère semblait être incandescente. En même temps, un torrent de laves, se gonflant à la nouvelle cime, s’épanchait en longues cascades, comme l’eau qui s’échappe d’une vasque trop pleine, et mille serpents de feu rampaient sur les talus du volcan.

« Le corral ! Le corral ! » s’écria Ayrton.

C’était, en effet, vers le corral que se portaient les laves, par suite de l’orientation du nouveau cratère, et, conséquemment, c’étaient les parties fertiles de l’île, les sources du creek rouge, les bois de jacamar qui étaient menacés d’une destruction immédiate. Au cri d’Ayrton, les colons s’étaient précipités vers l’étable des onaggas. Le chariot avait été attelé. Tous n’avaient qu’une pensée ! Courir au corral et mettre en liberté les animaux qu’il renfermait.

Avant trois heures du matin, ils étaient arrivés au corral. D’effroyables hurlements indiquaient assez quelle épouvante terrifiait les mouflons et les chèvres. Déjà un torrent de matières incandescentes, de minéraux liquéfiés, tombait du contrefort sur la prairie et rongeait ce côté de la palissade. La porte fut brusquement ouverte par Ayrton, et les animaux, affolés, s’échappèrent en toutes directions. Une heure après, la lave bouillonnante emplissait le corral, volatilisait l’eau du petit rio qui le traversait, incendiait l’habitation, qui flamba comme un chaume, et dévorait jusqu’au dernier poteau l’enceinte palissadée. Du corral il ne restait plus rien !

Les colons avaient voulu lutter contre cet envahissement, ils l’avaient essayé, mais follement et inutilement, car l’homme est désarmé devant ces grands cataclysmes.

Le jour était venu, – 24 janvier. – Cyrus Smith et ses compagnons, avant de revenir à Granite-House, voulurent observer la direction définitive qu’allait prendre cette inondation de laves. La pente générale du sol s’abaissait du mont Franklin à la côte est, et il était à craindre que, malgré les bois épais de Jacamar, le torrent ne se propageât jusqu’au plateau de Grande-vue.

« Le lac nous couvrira, dit Gédéon Spilett.

– Je l’espère ! » répondit Cyrus Smith, et ce fut là toute sa réponse.

Les colons auraient voulu s’avancer jusqu’à la plaine sur laquelle s’était abattu le cône supérieur du mont Franklin, mais les laves leur barraient alors le passage. Elles suivaient, d’une part, la vallée du creek rouge, et, de l’autre, la vallée de la rivière de la chute, en vaporisant ces deux cours d’eau sur leur passage. Il n’y avait aucune possibilité de traverser ce torrent ; il fallait, au contraire, reculer devant lui. Le volcan, découronné, n’était plus reconnaissable. Une sorte de table rase le terminait alors et remplaçait l’ancien cratère. Deux égueulements, creusés à ses bords sud et est, versaient incessamment les laves, qui formaient ainsi deux courants distincts. Au-dessus du nouveau cratère, un nuage de fumée et de cendres se confondait avec les vapeurs du ciel, amassées au-dessus de l’île. De grands coups de tonnerre éclataient et se confondaient avec les grondements de la montagne. De sa bouche s’échappaient des roches ignées qui, projetées à plus de mille pieds, éclataient dans la nue et se dispersaient comme une mitraille. Le ciel répondait à coups d’éclairs à l’éruption volcanique.

Vers sept heures du matin, la position n’était plus tenable pour les colons, qui s’étaient réfugiés à la lisière du bois de jacamar. Non seulement les projectiles commençaient à pleuvoir autour d’eux, mais les laves, débordant du lit du creek rouge, menaçaient de couper la route du corral. Les premiers rangs d’arbres prirent feu, et leur sève, subitement transformée en vapeur, les fit éclater comme des boîtes d’artifice, tandis que d’autres, moins humides, restèrent intacts au milieu de l’inondation.

Les colons avaient repris la route du corral. Ils marchaient lentement, à reculons pour ainsi dire.

Mais, par suite de l’inclinaison du sol, le torrent gagnait rapidement dans l’est, et, dès que les couches inférieures des laves s’étaient durcies, d’autres nappes bouillonnantes les recouvraient aussitôt.

Cependant, le principal courant de la vallée du creek rouge devenait de plus en plus menaçant. Toute cette partie de la forêt était embrasée, et d’énormes volutes de fumée roulaient au-dessus des arbres, dont le pied crépitait déjà dans la lave.

Les colons s’arrêtèrent près du lac, à un demi-mille de l’embouchure du creek rouge. Une question de vie ou de mort allait se décider pour eux.

Cyrus Smith habitué à chiffrer les situations graves, et sachant qu’il s’adressait à des hommes capables d’entendre la vérité, quelle qu’elle fût, dit alors :

« Ou le lac arrêtera ce courant, et une partie de l’île sera préservée d’une dévastation complète, ou le courant envahira les forêts du Far-West, et pas un arbre, pas une plante ne restera à la surface du sol. Nous n’aurons plus en perspective sur ces rocs dénudés qu’une mort que l’explosion de l’île ne nous fera pas attendre !

– Alors, s’écria Pencroff, en se croisant les bras et en frappant la terre du pied, inutile de travailler au bateau, n’est-ce pas ?

– Pencroff, répondit Cyrus Smith, il faut faire son devoir jusqu’au bout ! »

En ce moment, le fleuve de laves, après s’être frayé un passage à travers ces beaux arbres qu’il dévorait, arriva à la limite du lac. Là existait un certain exhaussement du sol qui, s’il eût été plus considérable, eût peut-être suffi à contenir le torrent.

« À l’œuvre ! » s’écria Cyrus Smith.

La pensée de l’ingénieur fut aussitôt comprise.

Ce torrent, il fallait l’endiguer, pour ainsi dire, et l’obliger ainsi à se déverser dans le lac.

Les colons coururent au chantier. Ils en rapportèrent des pelles, des pioches, des haches, et là, au moyen de terrassements et d’arbres abattus, ils parvinrent, en quelques heures, à élever une digue haute de trois pieds sur quelques centaines de pas de longueur. Il leur semblait, quand ils eurent fini, qu’ils n’avaient travaillé que quelques minutes à peine !

Il était temps. Les matières liquéfiées atteignirent presque aussitôt la partie inférieure de l’épaulement. Le fleuve se gonfla comme une rivière en pleine crue qui cherche à déborder et menaça de dépasser le seul obstacle qui pût l’empêcher d’envahir tout le Far-West… Mais la digue parvint à le contenir, et, après une minute d’hésitation qui fut terrible, il se précipita dans le lac Grant par une chute haute de vingt pieds.

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