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« Le feu est dans la cheminée, dit Gédéon Spilett.

– Et nous ne pourrons pas l’éteindre ! répondit Harbert.

– On devrait bien ramoner les volcans, fit observer Nab, qui sembla parler le plus sérieusement du monde.

– Bon, Nab, s’écria Pencroff. Est-ce toi qui te chargerais de ce ramonage-là ? »

Et Pencroff poussa un gros éclat de rire.

Cyrus Smith observait avec attention l’épaisse fumée projetée par le mont Franklin, et il prêtait même l’oreille, comme s’il eût voulu surprendre quelque grondement éloigné. Puis, revenant vers ses compagnons, dont il s’était écarté quelque peu :

« En effet, mes amis, une importante modification s’est produite, il ne faut pas se le dissimuler. Les matières volcaniques ne sont plus seulement à l’état d’ébullition, elles ont pris feu, et, très certainement, nous sommes menacés d’une éruption prochaine !

– Eh bien, Monsieur Smith, on la verra, l’éruption, s’écria Pencroff, et on l’applaudira si elle est réussie ! Je ne pense pas qu’il y ait là de quoi nous préoccuper !

– Non, Pencroff, répondit Cyrus Smith, car l’ancienne route des laves est toujours ouverte, et, grâce à sa disposition, le cratère les a jusqu’ici épanchées vers le nord. Et cependant…

– Et cependant, puisqu’il n’y a aucun avantage à retirer d’une éruption, mieux vaudrait que celle-ci n’eût pas lieu, dit le reporter.

– Qui sait ? répondit le marin. Il y a peut-être dans ce volcan quelque utile et précieuse matière qu’il vomira complaisamment, et dont nous ferons bon usage ! »

Cyrus Smith secoua la tête en homme qui n’attendait rien de bon du phénomène dont le développement était si subit. Il n’envisageait pas aussi légèrement que Pencroff les conséquences d’une éruption. Si les laves, par suite de l’orientation du cratère, ne menaçaient pas directement les parties boisées et cultivées de l’île, d’autres complications pouvaient se présenter. En effet, il n’est pas rare que les éruptions soient accompagnées de tremblements de terre, et une île, de la nature de l’île Lincoln, formée de matières si diverses, basaltes d’un côté, granit de l’autre, laves au nord, sol meuble au midi, matières qui, par conséquent, ne pouvaient être solidement liées entre elles, aurait couru le risque d’être désagrégée. Si donc l’épanchement des substances volcaniques ne constituait pas un danger très sérieux, tout mouvement dans la charpente terrestre qui eût secoué l’île pouvait entraîner des conséquences extrêmement graves.

« Il me semble, dit Ayrton, qui s’était couché de manière à poser son oreille sur le sol, il me semble entendre des roulements sourds, comme ferait un chariot chargé de barres de fer. »

Les colons écoutèrent avec une extrême attention et purent constater qu’Ayrton ne se trompait pas. Aux roulements se mêlaient parfois des mugissements souterrains qui formaient une sorte de « rinfordzando »

Et s’éteignaient peu à peu, comme si quelque brise violente eût passé dans les profondeurs du globe.

Mais aucune détonation proprement dite ne se faisait encore entendre. On pouvait donc en conclure que les vapeurs et les fumées trouvaient un libre passage à travers la cheminée centrale, et que, la soupape étant assez large, aucune dislocation ne se produirait, aucune explosion ne serait à craindre.

« Ah çà ! dit alors Pencroff, est-ce que nous n’allons pas retourner au travail ? Que le mont Franklin fume, braille, gémisse, vomisse feu et flammes tant qu’il lui plaira, ce n’est pas une raison pour ne rien faire ! Allons, Ayrton, Nab, Harbert, Monsieur Cyrus, Monsieur Spilett, il faut aujourd’hui que tout le monde mette la main à la besogne ! Nous allons ajuster les précintes, et une douzaine de bras ne seront pas de trop. Avant deux mois, je veux que notre nouveau Bonadventure – car nous lui conserverons ce nom, n’est-il pas vrai ? – flotte sur les eaux du port-ballon ! Donc, pas une heure à perdre ! »

Tous les colons, dont les bras étaient réclamés par Pencroff, descendirent au chantier de construction et procédèrent à la pose des précintes, épais bordages qui forment la ceinture d’un bâtiment et relient solidement entre eux les couples de sa carcasse. C’était là une grosse et pénible besogne, à laquelle tous durent prendre part.

On travailla donc assidûment pendant toute cette journée du 3 janvier, sans se préoccuper du volcan, qu’on ne pouvait apercevoir, d’ailleurs, de la grève de Granite-House. Mais, une ou deux fois, de grandes ombres, voilant le soleil, qui décrivait son arc diurne sur un ciel extrêmement pur, indiquèrent qu’un épais nuage de fumée passait entre son disque et l’île. Le vent, soufflant du large, emportait toutes ces vapeurs dans l’ouest. Cyrus Smith et Gédéon Spilett remarquèrent parfaitement ces assombrissements passagers, et causèrent à plusieurs reprises des progrès que faisait évidemment le phénomène volcanique, mais le travail ne fut pas interrompu.

Il était, d’ailleurs, d’un haut intérêt, à tous les points de vue, que le bâtiment fût achevé dans le plus bref délai. En présence d’éventualités qui pouvaient naître, la sécurité des colons n’en serait que mieux garantie. Qui sait si ce navire ne serait pas un jour leur unique refuge ?

Le soir, après souper, Cyrus Smith, Gédéon Spilett et Harbert remontèrent sur le plateau de Grande-vue. La nuit était déjà faite, et l’obscurité devait permettre de reconnaître si, aux vapeurs et aux fumées accumulées à la bouche du cratère, se mêlaient soit des flammes, soit des matières incandescentes, projetées par le volcan.

« Le cratère est en feu ! » s’écria Harbert, qui, plus leste que ses compagnons, était arrivé le premier au plateau.

Le mont Franklin, distant de six milles environ, apparaissait alors comme une gigantesque torche, au sommet de laquelle se tordaient quelques flammes fuligineuses. Tant de fumée, tant de scories et de cendres peut-être y étaient mêlées, que leur éclat, très atténué, ne tranchait pas au vif sur les ténèbres de la nuit. Mais une sorte de lueur fauve se répandait sur l’île et découpait confusément la masse boisée des premiers plans. D’immenses tourbillons obscurcissaient les hauteurs du ciel, à travers lesquels scintillaient quelques étoiles.

« Les progrès sont rapides ! dit l’ingénieur.

– Ce n’est pas étonnant, répondit le reporter. Le réveil du volcan date depuis un certain temps déjà. Vous vous rappelez, Cyrus, que les premières vapeurs ont apparu vers l’époque à laquelle nous avons fouillé les contreforts de la montagne pour découvrir la retraite du capitaine Nemo. C’était, si je ne me trompe, vers le 15 octobre ?

– Oui ! répondit Harbert, et voilà déjà deux mois et demi de cela !

– Les feux souterrains ont donc couvé pendant dix semaines, reprit Gédéon Spilett, et il n’est pas étonnant qu’ils se développent maintenant avec cette violence !

– Est-ce que vous ne sentez pas certaines vibrations dans le sol ? demanda Cyrus Smith.

– En effet, répondit Gédéon Spilett, mais de là à un tremblement de terre…

– Je ne dis pas que nous soyons menacés d’un tremblement de terre, répondit Cyrus Smith, et Dieu nous en préserve ! Non. Ces vibrations sont dues à l’effervescence du feu central. L’écorce terrestre n’est autre chose que la paroi d’une chaudière, et vous savez que la paroi d’une chaudière, sous la pression des gaz, vibre comme une plaque sonore. C’est cet effet qui se produit en ce moment.

– Les magnifiques gerbes de feu ! » s’écria Harbert.

En ce moment jaillissait du cratère une sorte de bouquet d’artifices dont les vapeurs n’avaient pu diminuer l’éclat. Des milliers de fragments lumineux et de points vifs se projetaient en directions contraires. Quelques-uns, dépassant le dôme de fumée, le crevaient d’un jet rapide et laissaient après eux une véritable poussière incandescente. Cet épanouissement fut accompagné de détonations successives comme le déchirement d’une batterie de mitrailleuses.

Cyrus Smith, le reporter et le jeune garçon, après avoir passé une heure au plateau de Grande-vue, redescendirent sur la grève et regagnèrent Granite-House. L’ingénieur était pensif, préoccupé même, à ce point que Gédéon Spilett crut devoir lui demander s’il pressentait quelque danger prochain, dont l’éruption serait la cause directe ou indirecte.

« Oui et non, répondit Cyrus Smith.

– Cependant, reprit le reporter, le plus grand malheur qui pourrait nous arriver, ne serait-ce pas un tremblement de terre qui bouleverserait l’île ? Or, je ne crois pas que cela soit à redouter, puisque les vapeurs et les laves ont trouvé un libre passage pour s’épancher au dehors.

– Aussi, répondit Cyrus Smith, ne crains-je pas un tremblement de terre dans le sens que l’on donne ordinairement aux convulsions du sol provoquées par l’expansion des vapeurs souterraines. Mais d’autres causes peuvent amener de grands désastres.

– Lesquels, mon cher Cyrus ?

– Je ne sais trop… il faut que je voie… que je visite la montagne… avant quelques jours, je serai fixé à cet égard. »

Gédéon Spilett n’insista pas, et bientôt, malgré les détonations du volcan, dont l’intensité s’accroissait et que répétaient les échos de l’île, les hôtes de Granite-House dormaient d’un profond sommeil.

Trois jours s’écoulèrent, les 4, 5 et 6 janvier. On travaillait toujours à la construction du bateau, et, sans s’expliquer autrement, l’ingénieur activait le travail de tout son pouvoir. Le mont Franklin était alors encapuchonné d’un sombre nuage d’aspect sinistre, et avec les flammes il vomissait des roches incandescentes, dont les unes retombaient dans le cratère même. Ce qui faisait dire à Pencroff, qui ne voulait considérer le phénomène que par ses côtés amusants :

« Tiens ! Le géant qui joue au bilboquet ! Le géant qui jongle ! »

Et, en effet, les matières vomies retombaient dans l’abîme, et il ne semblait pas que les laves, gonflées par la pression intérieure, se fussent encore élevées jusqu’à l’orifice du cratère. Du moins, l’égueulement du nord-est, qui était en partie visible, ne versait aucun torrent sur le talus septentrional du mont.

Cependant, quelque pressés que fussent les travaux de construction, d’autres soins réclamaient la présence des colons sur divers points de l’île.

Avant tout, il fallait aller au corral, où le troupeau de mouflons et de chèvres était renfermé, et renouveler la provision de fourrage de ces animaux. Il fut alors convenu qu’Ayrton s’y rendrait le lendemain 7 janvier, et comme il pouvait suffire seul à cette besogne, dont il avait l’habitude, Pencroff et les autres manifestèrent une certaine surprise, quand ils entendirent l’ingénieur dire à Ayrton :

« Puisque vous allez demain au corral, je vous y accompagnerai.

– Eh ! Monsieur Cyrus ! s’écria le marin, nos jours de travail sont comptés, et, si vous partez aussi, cela va nous faire quatre bras de moins !

– Nous serons revenus le lendemain, répondit Cyrus Smith, mais j’ai besoin d’aller au corral… je désire reconnaître où en est l’éruption.

– L’éruption ! L’éruption ! répondit Pencroff d’un air peu satisfait. Quelque chose d’important que cette éruption, et voilà qui ne m’inquiète guère ! »

Quoi qu’en eût le marin, l’exploration, projetée par l’ingénieur, fut maintenue pour le lendemain. Harbert aurait bien voulu accompagner Cyrus Smith, mais il ne voulut pas contrarier Pencroff en s’absentant.

Le lendemain, dès le lever du jour, Cyrus Smith et Ayrton, montant le chariot attelé des deux onaggas, prenaient la route du corral et y couraient au grand trot. Au-dessus de la forêt passaient de gros nuages auxquels le cratère du mont Franklin fournissait incessamment des matières fuligineuses. Ces nuages, qui roulaient pesamment dans l’atmosphère, étaient évidemment composés de substances hétérogènes. Ce n’était pas à la fumée seule du volcan qu’ils devaient d’être si étrangement opaques et lourds. Des scories à l’état de poussière, telles que de la pouzzolane pulvérisée et des cendres grisâtres aussi fines que la plus fine fécule, se tenaient en suspension au milieu de leurs épaisses volutes. Ces cendres sont si ténues, qu’on les a vues se maintenir quelquefois dans l’air durant des mois entiers. Après l’éruption de 1783, en Islande, pendant plus d’une année, l’atmosphère fut ainsi chargée de poussières volcaniques que les rayons du soleil perçaient à peine.

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