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– Quand vous voudrez…

– Prenez un fanal et un briquet, Ayrton, répondit l’ingénieur, et partons. »

Ayrton fit ce qui lui était commandé. Les onaggas, dételés, erraient dans le corral. La porte fut fermée extérieurement, et Cyrus Smith, précédant Ayrton, prit, vers l’ouest, l’étroit sentier qui conduisait à la côte.

Tous deux marchaient sur un sol ouaté par les matières pulvérulentes tombées du nuage. Aucun quadrupède n’apparaissait sous bois. Les oiseaux eux-mêmes avaient fui. Quelquefois, une brise qui passait soulevait la couche de cendre, et les deux colons, pris dans un tourbillon opaque, ne se voyaient plus. Ils avaient soin alors d’appliquer un mouchoir sur leurs yeux et leur bouche, car ils couraient le risque d’être aveuglés et étouffés.

Cyrus Smith et Ayrton ne pouvaient, dans ces conditions, marcher rapidement. En outre, l’air était lourd, comme si son oxygène eût été en partie brûlé et qu’il fût devenu impropre à la respiration.

Tous les cent pas, il fallait s’arrêter et reprendre haleine. Il était donc plus de dix heures, quand l’ingénieur et son compagnon atteignirent la crête de cet énorme entassement de roches basaltiques et porphyritiques qui formait la côte nord-ouest de l’île.

Ayrton et Cyrus Smith commencèrent à descendre cette côte abrupte, en suivant à peu près le chemin détestable qui, pendant cette nuit d’orage, les avait conduits à la crypte Dakkar. En plein jour, cette descente fut moins périlleuse, et, d’ailleurs, la couche de cendres, recouvrant le poli des roches, permettait d’assurer plus solidement le pied sur leurs surfaces déclives.

L’épaulement qui prolongeait le rivage, à une hauteur de quarante pieds environ, fut bientôt atteint. Cyrus Smith se rappelait que cet épaulement s’abaissait par une pente douce, jusqu’au niveau de la mer. Quoique la marée fût basse en ce moment, aucune grève ne découvrait, et les lames, salies par la poussière volcanique, venaient directement battre les basaltes du littoral.

Cyrus Smith et Ayrton retrouvèrent sans peine l’ouverture de la crypte Dakkar, et ils s’arrêtèrent sous la dernière roche, qui formait le palier inférieur de l’épaulement.

« Le canot de tôle doit être là ? dit l’ingénieur.

– Il y est, Monsieur Smith, répondit Ayrton, attirant à lui la légère embarcation, qui était abritée sous la voussure de l’arcade.

– Embarquons, Ayrton. »

Les deux colons s’embarquèrent dans le canot. Une légère ondulation des lames l’engagea plus profondément sous le cintre très surbaissé de la crypte, et là, Ayrton, après avoir battu le briquet, alluma le fanal. Puis, il saisit les deux avirons, et le fanal ayant été posé sur l’étrave du canot, de manière à projeter ses rayons en avant, Cyrus Smith prit la barre et se dirigea au milieu des ténèbres de la crypte.

Le Nautilus n’était plus là pour embraser de ses feux cette sombre caverne. Peut-être l’irradiation électrique, toujours nourrie par son foyer puissant, se propageait-elle encore au fond des eaux, mais aucun éclat ne sortait de l’abîme, où reposait le capitaine Nemo.

La lumière du fanal, quoique insuffisante, permit cependant à l’ingénieur de s’avancer, en suivant la paroi de droite de la crypte. Un silence sépulcral régnait sous cette voûte, du moins, dans sa portion antérieure, car bientôt Cyrus Smith entendit distinctement les grondements qui se dégageaient des entrailles de la montagne.

« C’est le volcan », dit-il.

Bientôt, avec ce bruit, les combinaisons chimiques se trahirent par une vive odeur, et des vapeurs sulfureuses saisirent à la gorge l’ingénieur et son compagnon.

« Voilà ce que craignait le capitaine Nemo ! murmura Cyrus Smith, dont la figure pâlit légèrement. Il faut pourtant aller jusqu’au bout.

– Allons ! » répondit Ayrton, qui se courba sur ses avirons et poussa le canot vers le chevet de la crypte.

Vingt-cinq minutes après avoir franchi l’ouverture, le canot arrivait à la paroi terminale et s’arrêtait.

Cyrus Smith, montant alors sur son banc, promena le fanal sur les diverses parties de la paroi, qui séparait la crypte de la cheminée centrale du volcan. Quelle était l’épaisseur de cette paroi ?

Était-elle de cent pieds ou de dix, on n’eût pu le dire. Mais les bruits souterrains étaient trop perceptibles pour qu’elle fût bien épaisse.

L’ingénieur, après avoir exploré la muraille suivant une ligne horizontale, fixa le fanal à l’extrémité d’un aviron, et il le promena de nouveau à une plus grande hauteur sur la paroi basaltique.

Là, par des fentes à peine visibles, à travers les prismes mal joints, transpirait une fumée âcre, qui infectait l’atmosphère de la caverne. Des fractures zébraient la muraille, et quelques-unes, plus vivement dessinées, s’abaissaient jusqu’à deux ou trois pieds seulement des eaux de la crypte.

Cyrus Smith resta d’abord pensif. Puis, il murmura encore ces paroles :

« Oui ! Le capitaine avait raison ! Là est le danger, et un danger terrible ! »

Ayrton ne dit rien, mais, sur un signe de Cyrus Smith, il reprit ses avirons, et, une demi-heure après, l’ingénieur et lui sortaient de la crypte Dakkar.


CHAPITRE XIX

Le lendemain matin, 8 janvier, après une journée et une nuit passées au corral, toutes choses étant en état, Cyrus Smith et Ayrton rentraient à Granite-House. Aussitôt, l’ingénieur rassembla ses compagnons, et il leur apprit que l’île Lincoln courait un immense danger, qu’aucune puissance humaine ne pouvait conjurer.

« Mes amis, dit-il, – et sa voix décelait une émotion profonde, – l’île Lincoln n’est pas de celles qui doivent durer autant que le globe lui-même. Elle est vouée à une destruction plus ou moins prochaine, dont la cause est en elle, et à laquelle rien ne pourra la soustraire ! »

Les colons se regardèrent et regardèrent l’ingénieur.

Ils ne pouvaient le comprendre.

« Expliquez-vous, Cyrus ! dit Gédéon Spilett.

– Je m’explique, répondit Cyrus Smith, ou plutôt, je ne ferai que vous transmettre l’explication que, pendant nos quelques minutes d’entretien secret, m’a donnée le capitaine Nemo.

– Le capitaine Nemo ! s’écrièrent les colons.

– Oui, et c’est le dernier service qu’il a voulu nous rendre avant de mourir !

– Le dernier service ! s’écria Pencroff ! Le dernier service ! Vous verrez que, tout mort qu’il est, il nous en rendra d’autres encore !

– Mais que vous a dit le capitaine Nemo ? demanda le reporter.

– Sachez-le donc, mes amis, répondit l’ingénieur. L’île Lincoln n’est pas dans les conditions où sont les autres îles du Pacifique, et une disposition particulière que m’a fait connaître le capitaine Nemo doit amener tôt ou tard la dislocation de sa charpente sous-marine.

– Une dislocation ! L’île Lincoln ! Allons donc ! s’écria Pencroff, qui, malgré tout le respect qu’il avait pour Cyrus Smith, ne put s’empêcher de hausser les épaules.

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