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- La police m’a demandé ce que je faisais le soir du 30 août 1975, et j’ai dit que j’étais en déplacement hors de la ville. J’ai menti. C’est le seul point à propos duquel je n’ai pas dit la vérité. Cette nuit-là, je me trouvais à proximité d’Aurora, dans la chambre d’un motel situé au bord de la route 1, en direction du Vermont. Le Sea Side Motel. Il existe toujours. J’étais dans la chambre 8, assis sur le lit, à attendre, parfumé comme un adolescent, avec une brassée d’hortensias bleus, ses fleurs préférées. Nous avions rendez-vous à dix-neuf heures, et je me souviens que j’attendais et qu’elle ne venait pas. À vingt et une heures, el e avait deux heures de retard. Elle n’avait jamais été en retard. Jamais. Je mis les hortensias à tremper dans le lavabo, j’allumai la radio pour me distraire. C’était une nuit lourde, orageuse, j’avais trop chaud, j’étouffais dans mon costume. Je sortis le bil et de ma poche et le relus dix fois, peut-être cent. Ce bil et qu’elle m’avait écrit quelques jours plus tôt, ce petit mot d’amour que je ne pourrai jamais oublier et qui disait :

Ne vous en faites pas, Harry, ne vous en faites pas pour moi, je me débrouilleraipour vous retrouver là-bas. Attendez-moi dans la chambre 8, j’aime ce chiffre, c’estmon chiffre préféré. Attendez-moi dans cette chambre à 19 heures. Ensuite nouspartirons pour toujours.

Je vous aime tant.

Très tendrement.

Nola

Je me souviens que le speaker de la radio annonça vingt-deux heures. Vingt-deux heures, et toujours pas de Nola. Et je finis par m’endormir, tout habillé, étendu sur le lit. Lorsque je rouvris les yeux, la nuit avait passé. La radio marchait toujours, c’était le bul etin de sept heures du matin : …Alerte générale dans la région d’Aurora après la disparition d’une adolescente de quinze ans, Nola Kellergan, hier soir, aux environs de dix-neuf heures. La police recherche toute personne susceptible de lui fournir des

informations […] Au moment de sa disparition, Nola Kel ergan portait une robe rouge

[…] Je me levai d’un bond, paniqué. Je m’empressai de me débarrasser des fleurs et je partis aussitôt pour Aurora, débraillé et les cheveux en bataille. La chambre était payée d’avance.

Je n’avais jamais vu autant de policiers à Aurora. Il y avait des véhicules de tous les comtés. Sur la route 1, un grand barrage contrôlait les voitures qui entraient et sortaient de la ville. Je vis le chef de la police, Gareth Pratt, un fusil à pompe à la main :

- Chef, je viens d’entendre à la radio, dis-je.

- Saloperie, saloperie, répondit-il.

- Que s’est-il passé ?

- Personne ne le sait : Nola Kellergan a disparu de chez el e. Elle a été vue près de Side Creek Lane hier soir et depuis, plus la moindre trace d’el e. Toute la région est bouclée, la forêt est fouillée.

À la radio, on donnait en boucle sa description : Jeune fille, blanche, 5,2 pieds de haut, cent livres, cheveux longs blonds, yeux verts, vêtue d’une robe rouge. Elle porte un col ier en or avec le prénom NOLA inscrit dessus. Robe rouge, robe rouge, robe rouge, répétait la radio. La robe rouge était sa préférée. Elle l’avait mise pour moi. Voilà.

Voilà ce que je faisais la nuit du 30 août 1975.

Roth et moi restâmes interdits.

- Vous deviez vous enfuir ensemble ? dis-je. Le jour de sa disparition, vous deviez fuir ensemble ?

- Oui.

- C’est pour ça que vous avez dit que c’était de votre faute, lorsque vous m’avez téléphoné, l’autre jour ? Vous aviez fixé un rendez-vous ensemble et elle a disparu en s’y rendant…

Il hocha la tête, consterné :

- Je pense que, sans ce rendez-vous, el e serait peut-être encore en vie…

Lorsque nous sortîmes de la salle, Roth me dit que cette histoire de fuite organisée était une catastrophe et qu’elle ne devait filtrer sous aucun prétexte. Si l’accusation l’apprenait, Harry était foutu. Nous nous séparâmes sur le parking et j’attendis d’être dans ma voiture pour ouvrir mon carnet et lire ce que Harry y avait écrit :

- Marcus, sur mon bureau, il y a un pot en porcelaine. Tout au fond, vous trouverez une clé. C’est la clé de mon vestiaire au fitness de Montburry. Casier 201.

Tout est là. Brûlez tout. Je suis en danger.

Montburry était une ville voisine d’Aurora, située à une dizaine de miles plus à l’intérieur des terres. Je m’y rendis l’après-midi même, après être passé par Goose Cove et avoir trouvé la clé dans le pot, dissimulée parmi des trombones. Il n’y avait qu’un seul fitness à Montburry, instal é dans un bâtiment moderne tout en vitres sur l’artère principale de la ville. Dans le vestiaire désert, je trouvai le casier 201, que la clé ouvrit. À l’intérieur, il y avait un survêtement, des sucres de raisin, des gants pour les haltères et la fameuse boîte en bois découverte quelques mois auparavant dans le bureau de Harry. Tout y était : les photos, les articles, le mot écrit de la main de Nola.

J’y trouvai également un paquet de feuilles jaunies et reliées ensemble. La page de

couverture était blanche, sans titre. Je parcourus les suivantes : c’était un texte écrit à la main, dont il me suffit de lire les premières lignes pour comprendre qu’il s’agissait du manuscrit des Origines du mal. Ce manuscrit que j’avais tant cherché quelques mois plus tôt, dormait dans le vestiaire d’un fitness. Je m’assis sur un banc et je pris un moment pour en parcourir chaque page, émerveillé, fébrile : l’écriture était parfaite, sans ratures. Des hommes entrèrent pour se changer, je n’y pris même pas garde : je ne pouvais pas détacher mes yeux du texte. Le chef-d’œuvre que j’aurais tant voulu pouvoir écrire, Harry l’avait fait. Il s’était assis à la table d’un café et il avait écrit ces mots absolument géniaux, ces phrases sublimes, qui avaient touché l’Amérique entière, prenant le soin de cacher à l’intérieur son histoire d’amour avec Nola Kellergan.

De retour à Goose Cove, j’obéis scrupuleusement à Harry. J’allumai un feu dans l’âtre du salon et j’y jetai le contenu de la boîte : la lettre, les photos, les coupures de presse et enfin le manuscrit. Je suis en danger, m’avait-il écrit. Mais de quel danger parlait-il ? Les flammes redoublèrent : la lettre de Nola ne devint plus que poussière, les photos se trouèrent en leur centre jusqu’à disparaître complètement sous l’effet de la chaleur. Le manuscrit s’embrasa en une immense flamme orange et les pages se décomposèrent en d’immenses scories. Assis devant la cheminée, je regardais disparaître l’histoire de Harry et Nola.

Mardi 3 juin 1975

C’était un jour de mauvais temps. L’après-midi touchait à sa fin et la plage était déserte. Jamais depuis son arrivée à Aurora, le ciel n’avait été aussi noir et menaçant.

La tourmente déchaînait l’océan, gonflé d’écume et de colère : il n’allait pas tarder à pleuvoir. C’était le mauvais temps qui l’avait encouragé à sortir : il avait descendu l’escalier en bois qui menait de la terrasse de la maison à la plage et il s’était assis sur le sable. Son carnet sur les genoux, il laissait son stylo glisser sur le papier : la tempête imminente l’inspirait, il avait des idées de grand roman. Ces dernières semaines, il avait déjà eu plusieurs bonnes idées pour son nouveau livre, mais aucune n’avait abouti; il les avait mal commencées ou mal terminées.

Les premières gouttes tombèrent du ciel. Sporadiquement d’abord, puis soudain ce fut une averse. Il voulut s’enfuir pour al er se mettre à l’abri mais c’est alors qu’il la vit : elle marchait pieds nus, ses sandales à la main, au bord de l’océan, dansant sous la pluie et jouant avec les vagues. Il resta stupéfait et la contempla, émerveillé : elle suivait le dessin des remous, veillant à ne pas mouil er les pans de sa robe. Inattentive un bref instant, el e laissa l’eau lui monter jusqu’aux chevilles; surprise, elle éclata de rire. Elle s’enfonça encore un peu plus dans l’océan gris, tournoyant sur el e-même et s’offrant à l’immensité. C’était comme si le monde lui appartenait. Dans ses cheveux blonds emportés par le vent, une barrette jaune en forme de fleurs empêchait les mèches de lui battre le visage. Le ciel déversait des torrents d’eau à présent.

Lorsqu’elle se rendit compte de sa présence à une dizaine de mètres d’elle, elle s’arrêta net. Gênée qu’on l’ait vue, elle s’écria :

- Désolée… Je ne vous avais pas remarqué.

Il sentit son cœur battre.

- Surtout, ne vous excusez pas, répondit-il. Continuez. Je vous en prie, continuez ! C’est la première fois que je vois quelqu’un apprécier à ce point la pluie.

Elle rayonnait.

- Vous l’aimez aussi ? demanda-t-el e, enthousiaste.

- Quoi donc ?

- La pluie.

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