- Ça, je voudrais bien le savoir, et je dois dire qu’il y a beaucoup de questions que je me pose depuis trente-trois ans à propos de cette affaire. Tu sais, il n’y a pas un jour qui passe sans qu’en montant dans ma voiture de police, je me demande ce qui se serait passé si on avait rattrapé cette saloperie de Chevrolet. Peut-être qu’on aurait pu sauver la petite.
- Alors tu penses qu’elle était à bord ?
- Maintenant qu’on a retrouvé son corps à deux miles d’ici, je dirais que c’est certain.
- Et tu penses aussi que c’était Harry qui conduisait cette Chevrolet noire, hein ?
Il haussa les épaules.
- Disons simplement qu’au vu des récents événements, je ne vois pas qui ça pourrait être d’autre.
L’ancien chef de la police Gareth Pratt, que j’allai trouver le même jour, semblait être du même avis que son adjoint de l’époque quant à la culpabilité de Harry. Il me reçut sous son porche, en pantalons de golf. Sa femme, Amy, après nous avoir servi à boire, fit semblant de s’occuper des bacs de plantes ornant sa marquise pour écouter notre conversation, ce dont el e ne se cachait pas puisqu’el e commentait ce que disait son mari.
- Je vous ai déjà vu, non ? me demanda Pratt.
- Oui, je viens souvent à Aurora.
- C’est ce gentil jeune homme qui a écrit ce livre, lui indiqua sa femme.
- Vous êtes pas ce type qui a écrit un livre ? répéta-t-il.
- Si, répondis-je. Entre autres.
- Gareth, je viens de te le dire, coupa Amy.
- Ma chérie, ne nous interromps pas, s’il te plaît : c’est moi qui reçois du monde, merci beaucoup. Alors, Monsieur Goldman, qu’est-ce qui me vaut le plaisir de votre visite ?
- À vrai dire, j’essaie de répondre à quelques questions que je me pose à propos de l’assassinat de Nola Kellergan. J’ai parlé avec Travis Dawn qui m’a indiqué que vous aviez déjà des soupçons sur Harry à l’époque.
- C’est vrai.
- Sur quel e base ?
- Quelques éléments nous avaient mis la puce à l’oreil e. Notamment la tournure de la poursuite : elle impliquait que le meurtrier soit un type du coin. Il fallait connaître parfaitement la région pour parvenir à disparaître comme ça alors que toutes les polices du comté étaient sur les dents. Et puis il y avait cette Monte Carlo noire. Vous vous en doutez, on a fait la liste de tous les propriétaires de ce modèle habitant dans la région : le seul parmi eux à ne pas avoir d’alibi était Quebert.
- Pourtant, vous n’avez finalement pas suivi la piste Harry Quebert.
- Non, parce que hormis cette histoire de voiture, nous n’avions aucun véritable élément à charge contre lui. On l’a d’ailleurs très rapidement écarté de notre liste de suspects. La découverte du corps de cette pauvre petite dans son jardin prouve que nous avons eu tort. C’est fou, j’ai toujours eu tel ement de sympathie pour ce type… Au fond, peut-être que ça a faussé mon jugement. Il a toujours été tellement charmant,
amical, convaincant… Je veux dire, vous-même, Monsieur Goldman, qui, si j’ai bien compris, le connaissez bien : maintenant que vous savez pour la gamine dans le jardin, vous ne repensez pas à quelque chose qu’il aurait fait ou dit un jour et qui aurait pu éveiller en vous le moindre soupçon ?
- Non, Chef. Rien dont je me souvienne.
De retour à Goose Cove, je vis, au-delà des banderoles de police, les plants d’hortensias qui se mouraient au bord du trou, toutes racines dehors. Je me rendis alors dans la petite annexe qui servait de garage et j’y dénichai une bêche. Puis, pénétrant dans la zone interdite, je creusai dans un carré de terre molle, face à l’océan, et j’y plantai les fleurs.
30 août 2002
- Harry ?
Il était six heures matin. Il était sur la terrasse de Goose Cove, une tasse de café à la main. Il se retourna.
- Marcus ? Vous en sueur… Ne me dites pas que vous êtes déjà allé courir ?
- Si. J’ai fait mes huit miles.
- À quelle heure vous êtes-vous levé ?
- Tôt. Vous vous souvenez, il y a deux ans, quand j’ai commencé à venir ici et que vous me forciez à me lever à l’aube ? J’ai pris le pli désormais. Je me lève tôt, pour que le monde m’appartienne. Et vous, que faites-vous dehors ?
- J’observe, Marcus.
- Qu’observez-vous ?
- Vous voyez ce petit coin d’herbe coincé entre les pins et qui domine la plage ?
Il y a longtemps que je veux en faire quelque chose. C’est la seule parcelle de la propriété qui soit plane et utilisable pour aménager un petit jardin. Je voudrais me créer un joli petit endroit, avec deux bancs, une table en fer et tout autour des hortensias.
Beaucoup d’hortensias.
- Pourquoi les hortensias ?
- J’ai connu quelqu’un qui aimait ça. Je voudrais avoir des massifs d’hortensias pour me souvenir d’el e toujours.
- C’est quelqu’un que vous avez aimé ?
- Oui.
- Vous avez l’air triste, Harry.