- Vous êtes flic ? demandai-je.
- Sergent Perry Gahalowood. Brigade criminel e de la police d’État. Qu’est-ce que vous fabriquez ici ? C’est une scène de crime.
- Vous faites ça souvent, braquer les gens avec votre pétoire ? Et si j’étais de la police fédérale ? Vous auriez eu l’air malin, ha ! Je vous aurais fait virer sur-le-champ.
Il éclata de rire.
- Vous ? Un flic ? Ça fait dix minutes que je vous observe, à marcher sur la pointe des pieds pour ne pas salir vos mocassins. Et les fédéraux ne poussent pas de cris lorsqu’ils voient une arme. Ils sortent la leur et tirent sur tout ce qui bouge.
- J’ai cru que vous étiez un bandit.
- Parce que je suis noir ?
- Non, parce que vous avez une tête de bandit. C’est une cravate indienne que vous portez ?
- Oui.
- Complètement démodé.
- Allez-vous me dire ce que vous foutez ici ?
- J’habite ici.
- Comment ça, vous habitez ici ?
- Je suis un ami de Harry Quebert. Il m’a demandé de m’occuper de la maison pendant son absence.
- Vous êtes complètement fou ! Harry Quebert est accusé d’un double meurtre, sa maison a été perquisitionnée et est interdite d’accès ! Je vous embarque, mon vieux.
- Vous n’avez pas mis de scellés sur la maison.
Il resta perplexe un instant, puis il répondit :
- J’ai pas pensé qu’un écrivain du dimanche viendrait squatter.
- Il fallait penser. Même si c’est un exercice difficile pour un policier.
- Je vous embarque quand même.
- Vide juridique ! m’écriai-je. Pas de scellés, pas d’interdiction ! Je reste ici.
Sinon, je vous traîne devant la Cour suprême et je vous poursuis pour m’avoir menacé avec votre pétoire. Je vais demander des mil ions de dommages et intérêts. J’ai tout filmé.
- C’est un coup de Roth, hein ? soupira Gahalowood.
- Oui.
- Pffff. Quel diable. Il enverrait sa propre mère sur la chaise électrique si ça pouvait disculper un de ses clients.
- Vide juridique, sergent. Vide juridique. J’espère que vous ne m’en voulez pas.
- Si. Mais de toute façon la maison ne nous intéresse plus. Par contre, je vous interdis de remettre les pieds au-delà des banderoles de police. Vous ne savez pas lire ? Il est écrit SCÈNE DE CRIME. NE PAS FRANCHIR.
Ayant retrouvé de ma superbe, j’époussetai ma chemise et fis quelques pas en direction du trou.
- Figurez-vous, sergent, que j’enquête moi aussi, expliquai-je très sérieusement.
Dites-moi plutôt ce que vous savez sur l’affaire.
Il pouffa encore.
- Non mais je rêve : vous enquêtez ? En voilà une nouvelle. Vous me devez quinze dollars, d’ailleurs.
- Quinze dol ars ? Et pourquoi ça ?
- C’est ce que m’a coûté votre bouquin. Je l’ai lu l’année passée. Très mauvais bouquin. Sans doute le plus mauvais que j’aie lu de toute ma vie. J’aimerais être remboursé.
Je le regardai droit dans les yeux et lui dis :
- Allez vous faire voir, sergent.
Et comme j’avançais encore sans regarder où j’allais, je tombai dans le trou. Et je me mis à hurler de nouveau parce que j’étais là où Nola était morte.
- Mais vous êtes pas possible ! cria Gahalowood depuis le haut du talus de terre.
Il me tendit la main et m’aida à remonter. Nous allâmes nous asseoir sur la terrasse et je lui donnai son argent. Je n’avais qu’un billet de cinquante.
- Vous avez la monnaie ? demandai-je.