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Il y a des hommes qui travaillent à l'extraction de l'or; lui, il travaillait à l'extraction de la pitié. L'universelle misère était sa mine. La douleur partout n'était qu'une occasion de bonté toujours. Aimez-vous les uns les autres ; il déclarait cela complet, ne souhaitait rien de plus, et c'était là toute sa doctrine. Un jour, cet homme qui se croyait «philosophe», ce sénateur, déjà nommé, dit à l'évêque:

– Mais voyez donc le spectacle du monde; guerre de tous contre tous; le plus fort a le plus d'esprit. Votre aimez-vous les uns les autres est une bêtise.

– Eh bien, répondit monseigneur Bienvenu sans disputer, si c'est une bêtise, l'âme doit s'y enfermer comme la perle dans l'huître.

Il s'y enfermait donc, il y vivait, il s'en satisfaisait absolument, laissant de côté les questions prodigieuses qui attirent et qui épouvantent, les perspectives insondables de l'abstraction, les précipices de la métaphysique, toutes ces profondeurs convergentes, pour l'apôtre à Dieu, pour l'athée au néant: la destinée, le bien et le mal, la guerre de l'être contre l'être, la conscience de l'homme, le somnambulisme pensif de l'animal, la transformation par la mort, la récapitulation d'existences que contient le tombeau, la greffe incompréhensible des amours successifs sur le moi persistant, l'essence, la substance, le Nil et l'Ens [39], l'âme, la nature, la liberté, la nécessité; problèmes à pic, épaisseurs sinistres, où se penchent les gigantesques archanges de l'esprit humain; formidables abîmes que Lucrèce, Manou [40], saint Paul et Dante contemplent avec cet œil fulgurant qui semble, en regardant fixement l'infini, y faire éclore des étoiles.

Monseigneur Bienvenu était simplement un homme qui constatait du dehors les questions mystérieuses sans les scruter, sans les agiter, et sans en troubler son propre esprit, et qui avait dans l'âme le grave respect de l'ombre.


  1. <a l:href="#_Toc91584380">[1]</a> Très vite les commentateurs, et d'abord la famille du «modèle» ont reconnu Charles-François-Bienvenu de Miollis (1753-1843), évêque de Digne de 1806 à 1838, dans le personnage de Hugo. De fait celui-ci s'était, dès 1834, documenté avec précision sur la famille de ce prélat (en particulier sur son frère, le général Sextus de Miollis) dont la vie et la carrière offrent beaucoup d'analogies avec celles de Mgr Bienvenu. Sans doute l'attention de Hugo avait-elle été attirée sur lui par Montalembert qui, reçu à Digne en octobre 1831 par Mgr de Miollis, était revenu enthousiaste.

  2. <a l:href="#_ftnref2">[2]</a> Sur un revenu de quinze mille livres, L'évêque ne conserve donc que le dixième: dîme inversée; voir I, 1, 6: «Je paie ma dîme, disait-il».

  3. <a l:href="#_ftnref3">[3]</a> Hugo ne dit pas à quoi: manière d'inviter le lecteur à s'interroger. L'Église, gênée par cet évêque, évangélique et fort peu épiscopal, attaqua de diverses manières le personnage. Hugo n'avait guère de peine à répondre. Voir, en particulier, «Muse, un nommé Ségur…», Les Quatre Vents de l'esprit, «Le Livre satirique» XXIX (au volume Poésie III) et la lettre ouverte à Mgr de Ségur de décembre 1872 (Actes et Paroles III, Après l'exil, au volume Politique).

  4. <a l:href="#_ftnref4">[4]</a> J. de Maistre: Les Soirées de Saint-Pétersbourg (1821); César de Beccaria (1738-1794): Traité des délits et des peines (1754).

  5. <a l:href="#_ftnref5">[5]</a> Trait autobiographique. Il y en a beaucoup d'autres dans le personnage.

  6. <a l:href="#_ftnref6">[6]</a> Genèse, I, 2.

  7. <a l:href="#_ftnref6">[7]</a> Cette parenté avec Charles-Louis Hugo (1667-1739), évêque in partibus de Ptolémaïs, historien lorrain, semble romanesque. Elle appartient néanmoins à la légende familiale. V. Hugo à A. Caise, le 20 mars 1867: «La parenté de l'évêque de Ptolémaïs est une tradition dans ma famille, je n'ai jamais su que ce que mon père m'en a dit. […] Les Hugo dont je descends sont, je crois, une branche cadette, et peut-être bâtarde, déchue par indigence et misère.»

  8. <a l:href="#_ftnref8">[8]</a> Outre que l'exactitude des références témoigne de la lecture assidue de ces textes par Hugo (en 1846 notamment), on notera que Dieu partage ici avec les misérables cette forme d'anonymat qui résulte de la multiplicité des noms.

  9. <a l:href="#_ftnref9">[9]</a> Ce n'est que lorsque le Christ s'ajoute aux douze apôtres qu'on est treize à table.

  10. <a l:href="#_ftnref10">[10]</a> Quelque chose comme la salle du conseil municipal. Siège des libertés bourgeoises, hôpital, logis d'un évêque qui est un juste, l'histoire de cette maison, comme celle de la famille de Mgr Bienvenu, résume le côté lumineux de l'histoire des temps modernes. Par antithèse, voir I, 7, 7.

  11. <a l:href="#_ftnref11">[11]</a> «Ceux-là veillent en vain qui gardent la demeure que Dieu ne garde pas.» Ce psaume 126, traduit par Hugo sur un de ses albums de voyage de 1839, éclaire l'énigme du titre.

  12. <a l:href="#_ftnref12">[12]</a> Lors de son voyage dans le Midi d'octobre 1839, Hugo passant par les gorges d'Ollioules près de Toulon, avait enregistré ce que la tradition locale disait de Gaspard Bes, bandit exécuté à Aix en 1781. Mais aucun Cravatte n'apparaît dans ses notes.

  13. <a l:href="#_ftnref13">[13]</a> L'ébauche de ce dialogue, et notamment de cette phrase, a été notée par Hugo sur un album de voyage de 1839.

  14. <a l:href="#_ftnref14">[14]</a> Pigault-Lcbrun (1753-1835), comédien, dramaturge, militaire, auteur enfin de romans licencieux et antireligieux. A travers ce polygraphe voltairien, Hugo vise le scepticisme médiocre des gens en place après la Révolution. Il sera l'un des auteurs favoris de Thénardier, voir I, 4, 2.

  15. <a l:href="#_ftnref15">[15]</a> Juxtaposition surprenante de grands penseurs (Pyrrhon, Hobbes) et de deux obscurs «philosophes» du XVIIIe siècle.

  16. <a l:href="#_ftnref16">[16]</a> Needham (1713-1781), raillé par Voltaire dans son Dictionnaire philosophique, article Dieu, pour avoir établi et concilié génération spontanée et croyance en Dieu.

  17. <a l:href="#_ftnref16">[17]</a> «Le favorable et le funeste» ou «le permis et le défendu».

  18. <a l:href="#_ftnref16">[18]</a> Équivalent, au XIXe siècle, de notre Journal officiel, Le Moniteur publiait les débats des Assemblées mais aussi des articles d'actualité, ou d'idées. Un mixte donc du J.O. et du Monde.

  19. <a l:href="#_ftnref16">[19]</a> «Entre les coupes», ce qui se comprend soit comme «en buvant», soit «avant et après boire».

  20. <a l:href="#_Toc91584389">[20]</a> Ce chapitre, ajouté en exil, fit scandale dans les milieux catholiques et bien-pensants. J. Seebacher en a donné un brillant commentaire: «Évêques et conventionnels ou La critique en présence d'une lumière inconnue», Centenaire des Misérables- 1862-1962 – Hommage à V. Hugo, Strasbourg, 1962.

  21. <a l:href="#_ftnref21">[21]</a> Le demi-anonymat de l'initiale accrédite la valeur historique du personnage dont les conventionnels Grégoire et Sergent-Marceau (première initiale choisie par Hugo: S) furent sans doute les modèles, sans l'exposer aux critiques d'inexactitude.

  22. <a l:href="#_ftnref22">[22]</a> Une loi de janvier 1816, dite d'amnistie, permettait de bannir à perpétuité les anciens conventionnels régicides.

  23. <a l:href="#_ftnref23">[23]</a> Début de la phrase du Christ: «Sinite parvulos ad me ventre» (Marc, X, 14): «Laissez venir à moi les tout-petits.»

  24. <a l:href="#_ftnref24">[24]</a> «Je suis un ver» (Psaume 21, 7): «Ego autem sum vermis, et non homo.»

  25. <a l:href="#_ftnref25">[25]</a> Allusion à l'attitude de Bossuet qui, après la révocation de l'édit de Nantes (1685), félicitait le roi des «conversions» opérées par l'armée, les «dragons». Après chaque abjuration de ville protestante, on chantait un Te Deum («Toi Seigneur…»: début d'un hymne d'action de grâces) solennel.

  26. <a l:href="#_ftnref26">[26]</a> Aux violences de la Terreur révolutionnaire (Carrier à Nantes, Fouquier-Tinville, Maillard, le Père Duchêne, Martin Jouve dit Jourdan-Coupe-Tête) le conventionnel oppose les «terroristes» de l'Ancien Régime, dont le célèbre marquis de Louvois qui ordonna l'incendie du Palatinat. Voir déjà la Lettre XXVII du Rhin.

  27. <a l:href="#_ftnref26">[27]</a> Hugo réécrit ici une scène de supplice racontée par Michelet (Louis XIV et la Révocation de l'édit de Nantes, chap. XX): «On liait la mère qui allaitait, et on lui tenait à distance son nourrisson qui pleurait, languissait, se mourait. Rien ne fut plus terrible; toute la nature se soulevait; la douleur, la pléthore du sein qui brûlait d'allaiter, le violent transport au cerveau qui se faisait, c'était trop. […] la tête échappait. Elle ne se connaissait plus et disait tout ce qu'on voulait pour être déliée, aller à lui et le nourrir. Mais dans ce bonheur, quels regrets! L'enfant, avec le lait, recevait des torrents de larmes.»

  28. <a l:href="#_ftnref28">[28]</a> On nomme urbanistes les clarisses qui ont adopté la règle mitigée du pape Urbain IV (1263). Sainte Claire avait fondé les clarisses en 1212.

  29. <a l:href="#_ftnref29">[29]</a> Ce synode, que Napoléon appelait le «concile d'Occident», fut ouvert le 17 juin 1811. Mgr Miollis, en manifestant son ultramontanisme, s*y trouva en opposition avec la plupart des évêques présents.

  30. <a l:href="#_ftnref30">[30]</a> C'est, presque mot pour mot, ce que Royer-Collard dit à Hugo qui sollicitait sa voix pour l'Académie française en 1836: «Nous sommes là sept ou huit vieilles gens du même âge, nous causons de notre passé. En entrant à l'Académie, vous, jeune homme, vous y apporteriez de l'air extérieur, et vous changeriez la température. Nous autres vieux, vous le savez, nous n'aimons pas les changements de température.» (Victor Hugo raconté par Adèle Hugo, Plon, 1985, p. 618.)

  31. <a l:href="#_ftnref31">[31]</a> Ce détail est emprunté à la biographie de Mgr de Miollis.

  32. <a l:href="#_ftnref32">[32]</a> Loi du 9 novembre 1815, votée par la Chambre «introuvable», qui réprimait sévèrement les cris, discours et écrits «séditieux».

  33. <a l:href="#_ftnref32">[33]</a> Sous la Restauration, les républicains et bonapartistes appelaient la fleur de lys «crapaud» et «salsifis» la mèche nouée de la perruque réapparue en 1815.

  34. <a l:href="#_ftnref34">[34]</a> Pallium: bande de laine blanche, garnie de croix, insigne des archevêques. Rote: tribunal du Saint-Siège, composé de douze auditeurs.

  35. <a l:href="#_ftnref35">[35]</a> Tragédie jouée en 1691 de Campistron («faux Corneille»), déjà raillé par Hugo dans Les Contemplations (I, 5, Réponse à un acte d'accusation):Sur le Racine mort le campistron pullule.

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