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Encore une citation de la page 781.

« Ils se connaissaient trop pour avoir ces ébahissements de possession qui en centuplent la joie. Elle était aussi dégoûtée de lui qu’il était 1 Page 480.

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fatigué d’elle. Emma retrouvait dans l’adultère toutes les platitudes du mariage. »

Platitudes du mariage, poésie de l’adultère !

Tantôt, c’est la souillure du mariage, tantôt ce sont ses platitudes, mais c’est toujours la poésie de l’adultère. Voilà, messieurs, les situations que M. Flaubert aime à peindre, et malheureusement il ne les peint que trop bien.

J’ai raconté trois scènes : la scène avec Rodolphe, et vous y avez vu la chute dans la forêt, la glorification de l’adultère, et cette femme dont la beauté devient plus grande avec cette poésie. J’ai parlé de la transition religieuse, et vous y avez vu la prière emprunter à l’adultère son langage. J’ai parlé de la seconde chute, je vous ai déroulé les scènes qui se passent avec Léon. Je vous ai montré la scène du fiacre –

supprimée – mais je vous ai montré le tableau de la chambre et du lit. Maintenant que nous croyons nos convictions faites, arrivons à la dernière scène ; à celle du supplice.

Des coupures nombreuses y ont été faites, à ce qu’il paraît, par la Revue de Paris. Voici en quels 751

termes M. Flaubert s’en plaint :

« Des considérations que je n’ai pas à apprécier ont contraint la Revue de Paris à faire une suppression dans le numéro du 1er décembre.

Ses scrupules s’étant renouvelés à l’occasion du présent numéro, elle a jugé convenable d’enlever encore plusieurs passages. En conséquence, je déclare dénier la responsabilité des lignes qui suivent ; le lecteur est donc prié de n’y voir que des fragments et non pas un ensemble. »

Passons donc sur ces fragments et arrivons à la mort. Elle s’empoisonne. Elle s’empoisonne, pourquoi ? « Ah ! c’est bien peu de chose, la mort, pensa-t-elle ; je vais m’endormir et tout sera fini. » Puis, sans un remords, sans un aveu, sans une larme de repentir sur ce suicide qui s’achève et les adultères de la veille, elle va recevoir le sacrement des mourants. Pourquoi le sacrement, puisque, sans sa pensée de tout à l’heure, elle va au néant ? Pourquoi, quand il n’y a pas une larme, pas un soupir de Madeleine sur son crime d’incrédulité, sur son suicide, sur ses adultères ?

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Après cette scène, vient celle de l’extrême-onction. Ce sont des paroles saintes et sacrées pour tous. C’est avec ces paroles-là que nous avons endormi nos aïeux, nos pères et nos proches, et c’est avec elles qu’un jour nos enfants nous endormiront. Quand on veut les reproduire, il faut le faire exactement ; il ne faut pas du moins les accompagner d’une image voluptueuse sur la vie passée.

Vous le savez, le prêtre fait les onctions saintes sur le front, sur les oreilles, sur la bouche, sur les pieds, en prononçant ces phrases liturgiques : quidquid per pedes, per aures, per pectus, etc., toujours suivies des mots misericordia... péché d’un côté, miséricorde de l’autre. Il faut les reproduire exactement, ces paroles saintes et sacrées ; si vous ne les reproduisez pas exactement, au moins n’y mettez rien de voluptueux.

« Elle tourna sa figure lentement et parut saisie de joie à voir tout à coup l’étole violette, sans doute retrouvant au milieu d’un apaisement extraordinaire la volupté perdue de ses premiers 753

élancements mystiques, avec des visions de béatitude éternelle qui commençaient.

« Le prêtre se releva pour prendre le crucifix ; alors elle allongea le cou comme quelqu’un qui a soif, et collant ses lèvres sur le corps de l’Homme-Dieu, elle y déposa de toute sa force expirante le plus grand baiser d’amour qu’elle eût jamais donné. Ensuite il récita le Misereatur et l’ Indulgentiam, trempa son pouce droit dans l’huile et commença les onctions : d’abord sur les yeux, qui avaient tant convoité toutes les somptuosités terrestres ; puis sur les narines, friandes de brises tièdes et de senteurs amoureuses ; puis sur la bouche, qui s’était ouverte pour le mensonge, qui avait gémi d’orgueil et crié dans la luxure ; puis sur les mains, qui se délectaient aux contacts suaves, et enfin sur la plante des pieds, si rapides autrefois quand elle courait à l’assouvissance de ses désirs, et qui maintenant ne marchaient plus. »

Maintenant, il y a les prières des agonisants que le prêtre récite tout bas, où à chaque verset se trouvent les mots : « Âme chrétienne, partez pour 754

une région plus haute. » On les murmure au moment où le dernier souffle du mourant s’échappe de ses lèvres. Le prêtre les récite, etc.

« À mesure que le râle devenait plus fort, l’ecclésiastique précipitait ses oraisons ; elles se mêlaient aux sanglots étouffés de Bovary, et quelquefois tout semblait disparaître dans le sourd murmure des syllabes latines qui tintaient comme un glas lugubre. »

L’auteur a jugé à propos d’alterner ces paroles, de leur faire une sorte de réplique. Il fait intervenir sur le trottoir un aveugle qui entonne une chanson dont les paroles profanes sont une sorte de réponse aux prières des agonisants.

« Tout à coup on entendit sur le trottoir un bruit de gros sabots, avec le frôlement d’un bâton, et une voix s’éleva, une voie rauque, qui chantait :

« Souvent la chaleur d’un beau jour

« Fait rêver fillette à l’amour.

« Il souffla bien fort ce jour-là,

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« Et le jupon court s’envola. »

C’est à ce moment que madame Bovary meurt.

Ainsi voilà le tableau : d’un côté, le prêtre qui récite les prières des agonisants ; de l’autre, le joueur d’orgue, qui excite chez la mourante « un rire atroce, frénétique, désespéré, croyant voir la face hideuse du misérable qui se dressait dans les ténèbres éternelles comme un épouvantement...

Une convulsion la rabattit sur le matelas. Tous s’approchèrent. Elle n’existait plus. »

Et puis ensuite, lorsque le corps est froid, la chose qu’il faut respecter par-dessus tout, c’est le cadavre que l’âme a quitté. Quand le mari est là, à genoux, pleurant sa femme, quand il a étendu sur elle le linceul, tout autre se serait arrêté, et c’est le moment où M. Flaubert donna le dernier coup de pinceau :

« Le drap se creusait depuis ses seins jusqu’à ses genoux, se relevant ensuite à la pointe des orteils. »

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Voilà la scène de la mort. Je l’ai abrégée, je l’ai groupée en quelque sorte. C’est à vous de juger et d’apprécier si c’est là le mélange du sacré au profane, ou si ce ne serait pas plutôt le mélange du sacré au voluptueux.

J’ai raconté le roman, je l’ai incriminé ensuite et, permettez-moi de le dire, le genre que M.

Flaubert cultive, celui qu’il réalise sans les ménagements de l’art, mais avec toutes les ressources de l’art, c’est le genre descriptif, la peinture réaliste. Voyez jusqu’à quelle limite il arrive. Dernièrement un numéro de l’ Artiste me tombait sous la main ; il ne s’agit pas d’incriminer l’ Artiste, mais de savoir quel est le genre de M. Flaubert, et je vous demande la permission de vous citer quelques lignes de l’écrit qui n’engagent en rien l’écrit poursuivi contre M. Flaubert, et j’y voyais à quel degré M.

Flaubert excelle dans la peinture ; il aime à peindre les tentations, surtout les tentations auxquelles a succombé madame Bovary. Eh bien ! je trouve un modèle du genre dans les quelques lignes qui suivent de l’ Artiste du mois de janvier, signées Gustave Flaubert, sur la 757

tentation de saint Antoine. Mon Dieu ! c’est un sujet sur lequel on peut dire beaucoup de choses, mais je ne crois pas qu’il soit possible de donner plus de vivacité à l’image, plus de trait à la peinture apollinaire1 à saint Antoine : – « Est-ce la science ? Est-ce la gloire ? Veux-tu rafraîchir tes yeux sur des jasmins humides ? Veux-tu sentir ton corps s’enfoncer comme dans une onde dans la chair douce des femmes pâmées ? »

Eh bien ! c’est la même couleur, la même énergie de pinceau, la même vivacité d’expression !

Il faut se résumer. J’ai analysé le livre, j’ai raconté, sans oublier une page. J’ai incriminé ensuite, c’était la seconde partie de ma tâche : j’ai précisé quelques portraits, j’ai montré madame Bovary au repos, vis-à-vis de son mari, vis-à-vis de ceux qu’elle ne devait pas tenter, et je vous ai fait toucher les couleurs lascives de ce portrait !

Puis, j’ai analysé quelques grandes scènes : la chute avec Rodolphe, la transition religieuse, les amours avec Léon, la scène de la mort, et dans 1 Apollinaire, sic, pour Apollonius de Thyanes !

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toutes j’ai trouvé le double délit d’offense à la morale publique et à la religion.

Je n’ai besoin que de deux scènes : l’outrage à la morale, est-ce que vous ne le verrez pas dans la chute avec Rodolphe ? Est-ce que vous ne le verrez pas dans cette glorification de l’adultère ?

Est-ce que vous ne le verrez pas surtout dans ce qui se passe avec Léon ? Et puis, l’outrage à la morale religieuse, je le trouve dans le trait sur la confession, p. 301 de la 1re livraison, n° du 1er octobre, dans la transition religieuse, p. 8542 et

5503 du 15 novembre, et enfin dans la dernière scène de la mort.

Vous avez devant vous, messieurs, trois inculpés : M. Flaubert, l’auteur du livre, M.

Pichat qui l’a accueilli et M. Pillet qui l’a imprimé. En cette matière, il n’y a pas de délit sans publicité, et tous ceux qui ont concouru à la publicité doivent être également atteints. Mais nous nous hâtons de le dire, le gérant de la Revue et l’imprimeur ne sont qu’en seconde ligne. Le 1 Page 66.

Are sens