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J’arrive à la troisième. La chute avec Rodolphe avait été suivie d’une réaction religieuse, mais elle avait été courte ; madame Bovary va tomber, de nouveau. Le mari avait jugé le spectacle utile à la convalescence de sa femme, et il l’avait conduite à Rouen. Dans une loge, en face de celle qu’occupaient M. et Madame Bovary, se trouvait Léon Dupuis, ce jeune clerc de notaire qui fait son droit à Paris, et qui en est revenu singulièrement instruit, singulièrement expérimenté. Il va voir madame Bovary ; il lui propose un rendez-vous. Madame Bovary lui indique la cathédrale. Au sortir de la cathédrale, Léon lui propose de monter dans un

fiacre. Elle résiste d’abord, mais Léon lui dit que cela se fait ainsi à Paris et, alors, plus d’obstacle.

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La chute a lieu dans le fiacre ! Les rendez-vous se multiplient pour Léon comme pour Rodolphe, chez l’officier de santé et puis dans une chambre qu’on avait louée à Rouen. Enfin elle arriva jusqu’à la fatigue même de ce second amour, et c’est ici que commence la scène de détresse, c’est la dernière du roman.

Madame Bovary avait prodigué, jeté les cadeaux à la tête de Rodolphe et de Léon, elle avait mené une vie de luxe, et, pour faire face à tant de dépenses, elle avait souscrit de nombreux billets à ordre. Elle avait obtenu de son mari une procuration générale pour gérer le patrimoine commun ; elle avait rencontré un usurier qui se faisait souscrire des billets, lesquels n’étant pas payés à l’échéance, étaient renouvelés, sous le nom d’un compère. Puis étaient venus le papier timbré, les protêts, les jugements, la saisie, et enfin l’affiche de la vente du mobilier de M.

Bovary qui ignorait tout. Réduite aux plus cruelles extrémités, madame Bovary demande de l’argent à tout le monde et n’en obtient de personne, Léon n’en a pas, et il recule épouvanté à l’idée d’un crime qu’on lui suggère pour s’en 724

procurer. Parcourant tous les degrés de l’humiliation, madame Bovary va chez Rodolphe ; elle ne réussit pas, Rodolphe n’a pas 3000 francs. Il ne lui reste plus qu’une issue. De s’excuser auprès de son mari ? Non ; de s’expliquer avec lui ? Mais ce mari aurait la générosité de lui pardonner, et c’est là une humiliation qu’elle ne peut pas accepter : elle s’empoisonne. Viennent alors des scènes douloureuses. Le mari est là, à côté du corps glacé de sa femme. Il fait apporter sa robe de noces, il ordonne qu’on l’en enveloppe et qu’on enferme sa dépouille dans un triple cercueil.

Un jour, il ouvre le secrétaire et il y trouve le portrait de Rodolphe, ses lettres et celles de Léon.

Vous croyez que l’amour va tomber alors ? Non, non, il s’excite, au contraire, il s’exalte pour cette femme que d’autres ont possédée, en raison de ces souvenirs de volupté qu’elle lui a laissés ; et dès ce moment il néglige sa clientèle, sa famille, il laisse aller au vent les dernières parcelles de son patrimoine, et un jour on le trouve mort dans la tonnelle de son jardin, tenant dans ses mains une longue mèche de cheveux noirs.

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Voilà le roman ; je l’ai raconté tout entier en n’en supprimant aucune scène. On l’appelle

Madame Bovary; vous pouvez lui donner un autre titre, et l’appeler avec justesse : Histoire des adultères d’une femme de province.

Messieurs, la première partie de ma tâche est remplie ; j’ai raconté, je vais citer, et après les citations viendra l’incrimination qui porte sur deux délits : offense à la morale publique, offense à la morale religieuse. L’offense à la morale publique est dans les tableaux lascifs que je mettrai sous vos yeux, l’offense à la morale religieuse dans des images voluptueuses mêlées aux choses sacrées. J’arrive aux citations. Je serai court, car vous lirez le roman tout entier. Je me bornerai à vous citer quatre scènes, ou plutôt quatre tableaux. La première, ce sera celle des amours et de la chute avec Rodolphe ; la seconde, la transition religieuse entre les deux adultères ; la troisième, ce sera la chute avec Léon, c’est le deuxième adultère, et, enfin, la quatrième, que je veux citer, c’est la mort de madame Bovary.

Avant de soulever ces quatre coins du tableau, 726

permettez-moi de me demander quelle est la couleur, le coup de pinceau de M. Flaubert, car, enfin, son roman est un tableau, et il faut savoir à quelle école il appartient, quelle est la couleur qu’il emploie, et quel est le portrait de son héroïne.

La couleur générale de l’auteur, permettez-moi de vous le dire c’est la couleur lascive, avant, pendant et après ces chutes ! Elle est enfant, elle a dix ou douze ans, elle est au couvent des Ursulines. À cet âge où la jeune fille n’est pas formée, où la femme ne peut pas sentir ces émotions premières qui lui révèlent un monde nouveau, elle se confesse.

« Quand elle allait à confesse (cette première citation de la première livraison est à la page 30

du numéro du 1er octobre1), quand elle allait à confesse, elle inventait de petits péchés afin de rester là plus longtemps, à genoux dans l’ombre, les mains jointes, le visage à la grille sous le chuchotement du prêtre. Les comparaisons de 1 Voyez chapitre VI de la première partie ; page 60 de la présente édition.

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fiancé, d’époux, d’amant céleste et de mariage éternel qui reviennent dans les sermons lui soulevaient au fond de l’âme des douceurs inattendues. »

Est-ce qu’il est naturel qu’une petite fille invente de petits péchés, quand on sait que, pour un enfant, ce sont les plus petits qu’on a le plus de peine à dire ? Et puis, à cet âge-là, quand une petite fille n’est pas formée, la montrer inventant de petits péchés dans l’ombre, sous le chuchotement du prêtre, en se rappelant ces comparaisons de fiancé, d’époux, d’amant céleste et de mariage éternel, qui lui faisaient éprouver comme un frisson de volupté, n’est-ce pas faire ce que j’ai appelé une peinture lascive ?

Voulez-vous madame Bovary dans ses

moindres actes, à l’état libre, sans l’amant, sans la faute ? Je passe sur ce mot du lendemain, et sur cette mariée qui ne laissait rien découvrir où l’on pût deviner quelque chose ; il y a là déjà un tour de phrase plus qu’équivoque, mais voulez-vous savoir comment était le mari ?

Ce mari du lendemain « que l’on eût pris pour 728

la vierge de la veille », et cette mariée « qui ne laissait rien découvrir où l’on pût deviner quelque chose ». Ce mari (p. 291) qui se lève et « part le cœur plein des félicités de la nuit, l’esprit tranquille, la chair contente », s’en allant

« ruminant son bonheur comme ceux qui mâchent encore après dîner le goût des truffes qu’ils digèrent ».

Je tiens, messieurs, à vous préciser le cachet de l’œuvre littéraire de M. Flaubert et ses coups de pinceau. Il a quelquefois des traits qui veulent beaucoup dire, et ces traits ne lui coûtent rien.

Et puis, au château de la Vaubyessard, savez-vous ce qui attire les regards de cette jeune femme, ce qui la frappe le plus ? C’est toujours la même chose, c’est le duc de Laverdière, amant,

« disait-on, de Marie-Antoinette, entre MM. de Coigny et de Lauzun », et sur lequel « les yeux d’Emma revenaient d’eux-mêmes, comme sur quelque chose d’extraordinaire et d’auguste ; il avait vécu à la cour et couché dans le lit des reines ! »

1 Page 50.

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Ce n’est là qu’une parenthèse historique, dira-t-on ? Triste et inutile parenthèse ! L’histoire a pu autoriser des soupçons, mais non le droit de les ériger en certitude. L’histoire a parlé du collier dans tous les romans, l’histoire a parlé de mille choses, mais ce ne sont là que des soupçons, et, je le répète, je ne sache pas qu’elle ait autorisé à transformer ces soupçons en certitude. Et quand Marie-Antoinette est morte avec la dignité d’une souveraine et le calme d’une chrétienne, ce sang versé pourrait effacer des fautes, à plus forte raison des soupçons. Mon Dieu, M. Flaubert a eu besoin d’une image frappante pour peindre son héroïne, et il a pris celle-là pour exprimer tout à la fois et les instincts pervers et l’ambition de madame Bovary !

Madame Bovary doit très bien valser, et la voici valsant :

« Ils commencèrent lentement, puis allèrent plus vite. Ils tournaient ; tout tournait autour d’eux, les lampes, les meubles, les lambris et le parquet, comme un disque sur un pivot. En passant auprès des portes, la robe d’Emma par le 730

bas s’ériflait au pantalon ; leurs jambes entraient l’une dans l’autre, il baissait ses regards vers elle, elle levait les siens vers lui ; une torpeur la prenait, elle s’arrêta. Ils repartirent, et, d’un mouvement plus rapide, le vicomte l’entraînant, disparut avec elle, jusqu’au bout de la galerie où, haletante, elle faillit tomber et, un instant, s’appuya la tête sur sa poitrine. Et puis, tournant toujours, mais plus doucement, il la reconduisit à sa place ; elle se renversa contre la muraille et mit la main devant ses yeux. »

Je sais bien qu’on valse un peu de cette manière, mais cela n’en est pas plus moral !

Prenez madame Bovary dans les actes les plus simples, c’est toujours le même coup de pinceau, il est à toutes les pages. Aussi Justin, le domestique du pharmacien voisin, a-t-il des émerveillements subits quand il est initié dans le secret du cabinet de toilette de cette femme. Il poursuit sa voluptueuse admiration jusqu’à la cuisine.

« Le coude sur la longue planche où elle (Félicité, la femme de chambre) repassait, il 731

considérait avidement toutes ces affaires de femme étalées autour de lui, les jupons, les fichus, les collerettes et les pantalons à coulisse, vastes de hanches et qui se rétrécissaient par le bas.

« – À quoi cela sert-il ? demandait le jeune garçon, en pausant la main sur la crinoline ou les agrafes.

« – Tu n’as donc jamais rien vu ? répondait en riant Félicité. »

Aussi le mari se demande-t-il, en présence de cette femme sentant frais, si l’odeur vient de la peau ou de la chemise.

« Il trouvait tous les soirs des meubles souples et une femme en toilette fine, charmante et sentant frais, à ne savoir même d’où venait cette odeur, ou si ce n’était pas la femme qui parfumait la chemise. »

Assez de citations de détail ! Vous connaissez maintenant la physionomie de madame Bovary au repos, quand elle ne provoque personne, quand elle ne pèche pas, quand elle est encore 732

complètement innocente, quand, au retour d’un rendez-vous, elle n’est pas encore à côté d’un mari qu’elle déteste ; vous connaissez maintenant la couleur générale du tableau, la physionomie générale de madame Bovary. L’auteur a mis le plus grand soin, employé tous les prestiges de son style pour peindre cette femme. A-t-il essayé de la montrer du côté de l’intelligence ? Jamais. Du côté du cœur ? Pas davantage. Du côté de l’esprit ? Non. Du côté de la beauté physique ?

Pas même. Oh ! je sais bien qu’il y a un portrait de madame Bovary après l’adultère des plus étincelants ; mais le tableau est avant tout lascif, les poses sont voluptueuses, la beauté de madame Bovary est une beauté de provocation.

J’arrive maintenant aux quatre citations importantes ; je n’en ferai que quatre ; je tiens à restreindre mon cadre. J’ai dit que la première serait sur les amours de Rodolphe, la seconde sur la transition religieuse, la troisième sur les amours de Léon, la quatrième sur la mort.

Voyons la première. Madame Bovary est près

de la chute, près de succomber.

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