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je te recommande le mien. Regarde, c’est là-haut qu’est la caverne de Zarathoustra.

Ma caverne est grande et profonde et elle a beaucoup de recoins ; le plus caché y trouve

sa cachette. Et prÚs de là il y a cent crevasses et cent réduits pour les animaux qui rampent, qui voltigent et qui sautent.

Ô banni qui t’es bannis toi-mĂȘme, tu ne veux plus vivre au milieu des hommes et de la

pitié des hommes ? Eh bien ! fais comme moi ! Ainsi tu apprendras aussi de moi ; seul celui qui agit apprend.

Commence tout d’abord par t’entretenir avec mes animaux ! L’animal le plus fier et l’animal le plus rusĂ© – qu’ils soient pour nous deux les vĂ©ritables conseillers ! » –

Ainsi parlait Zarathoustra et il continua son chemin, plus pensif qu’auparavant et plus

lentement, car il se demandait beaucoup de choses et ne trouvait pas aisément de réponses.

« Comme l’homme est misĂ©rable ! pensait-il en son cƓur, comme il est laid, gonflĂ© de

fiel et plein de honte cachée !

On me dit que l’homme s’aime soi-mĂȘme : hĂ©las, combien doit ĂȘtre grand cet amour de

soi ! Combien de mĂ©pris n’a-t-il pas Ă  vaincre !

Celui-lĂ  aussi s’aimait en se mĂ©prisant, – il est pour moi un grand amoureux et un grand

mépriseur.

Je n’ai jamais rencontrĂ© personne qui se mĂ©prisĂąt plus profondĂ©ment : cela aussi est de la hauteur. HĂ©las ! celui-lĂ  Ă©tait-il peut-ĂȘtre l’homme supĂ©rieur, dont j’ai entendu le cri de dĂ©tresse ?

J’aime les hommes du grand mĂ©pris. L’homme cependant est quelque chose qui doit ĂȘtre surmontĂ©. » –

Le mendiant volontaire

Lorsque Zarathoustra eut quittĂ© le plus laid des hommes, il se sentit glacĂ© et solitaire : car bien des pensĂ©es glaciales solitaires lui passĂšrent par l’esprit, en sorte que ses membres, Ă  cause de cela, devinrent froids eux aussi. Mais comme il grimpait toujours plus loin, par

monts et par vaux, tantĂŽt le long de verts pĂąturages, parfois aussi sur de ravins pierreux et sauvages, dont un torrent impĂ©tueux avait jadis fait son lit : son cƓur finit par se rĂ©chauffer et par se rĂ©conforter.

« Que m’est-il donc arrivĂ© ? se demanda-t-il, quelque chose de chaud et de vivant me

réconforte, il faut que ce soit dans mon voisinage.

Déjà je suis moins seul ; je pressens des compagnons, des frÚres inconnus qui rÎdent autour de moi, leur chaude haleine émeut mon ùme. »

Mais comme il regardait autour de lui cherchant des consolateurs de sa solitude : voici,

il aperçut des vaches rassemblĂ©es sur une hauteur ; c’étaient elles dont le voisinage et l’odeur avaient rĂ©chauffĂ© son cƓur. Ces vaches cependant semblaient suivre avec attention

un discours qu’on leur tenait et elles ne prenaient point garde au nouvel arrivant.

Mais quand Zarathoustra fur arrivĂ© tout prĂšs d’elles, il entendit distinctement qu’une voix d’hommes s’élevait de leur milieu ; et il Ă©tait visible qu’elles avaient toutes la tĂȘte tournĂ©e du cĂŽtĂ© de leur interlocuteur.

Alors Zarathoustra gravit en toute hĂąte la hauteur et il dispersa les animaux, car il craignait qu’il ne fĂ»t arrivĂ© lĂ  quelque malheur que la compassion des vaches aurait difficilement pu rĂ©parer. Mais en cela il s’était trompĂ© ; car, voici, un homme Ă©tait assis par terre et semblait vouloir persuader aux bĂȘtes de n’avoir point peur de lui. C’était un homme pacifique, un doux prĂ©dicateur de montagnes, dont les yeux prĂȘchaient la bontĂ© mĂȘme. « Que cherches-tu ici ? » s’écria Zarathoustra avec stupĂ©faction.

« Ce que je cherche ici ? rĂ©pondit-il : la mĂȘme chose que toi, trouble-fĂȘte ! c’est-Ă -dire

le bonheur sur la terre.

C’est pourquoi je voudrais que ces vaches m’enseignassent leur sagesse. Car, sache-le,

voici bien une demie matinée que je leur parle et elles allaient me répondre. Pourquoi les

troubles-tu ?

Si nous ne retournons en arriĂšre et ne devenons comme les vaches, nous ne pouvons pas

entrer dans le royaume des cieux. Car il y a une chose que nous devrions apprendre d’elles : c’est de ruminer.

Et, en vĂ©ritĂ©, quand bien mĂȘme l’homme gagnerait le monde entier, s’il n’apprenait pas

cette seule chose, je veux dire de ruminer, à quoi tout le reste lui servirait-il ! Car il ne se déferait point de sa grande affliction,

– de sa grande affliction qui s’appelle aujourd’hui dĂ©goĂ»t : et qui donc n’a pas aujourd’hui du dĂ©goĂ»t plein le cƓur, plein la bouche, plein les yeux ? Toi aussi ! Toi aussi ! Mais vois donc ces vaches ! » –

Ainsi parla le prĂ©dicateur de la montagne, puis il tourna son regard vers Zarathoustra, –

car jusqu’ici ses yeux Ă©taient restĂ©s attachĂ©s avec amour sur les vaches : – mais soudain son visage changea. « Quel est celui Ă  qui je parle ? s’écria-t-il effrayĂ© en se levant soudain de terre.

C’est ici l’homme sans dĂ©goĂ»t, c’est Zarathoustra lui-mĂȘme, celui qui a surmontĂ© le grand dĂ©goĂ»t, c’est bien l’Ɠil, c’est bien la bouche, c’est bien le cƓur de Zarathoustra lui-mĂȘme. »

Are sens

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