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dieu, pas un enfer de dieu : profonde est sa douleur.

8.

La douleur de Dieu est plus profonde, ô monde singulier ! Saisis la douleur de Dieu, ne

me saisis pas, moi ! Que suis-je ? Une douce lyre pleine d’ivresse, –

– une lyre de minuit, une cloche-crapaud que personne ne comprend, mais qui doit parler devant des sourds, ô hommes supérieurs ! Car vous ne me comprenez pas !

C’en est fait ! C’en est fait ! Ô jeunesse ! Ô midi ! Ô après-midi ! Maintenant le soir est venu et la nuit et l’heure de minuit, – le chien hurle, et le vent :

– le vent n’est-il pas un chien ? Il gémit, il aboie, il hurle. Hélas ! Hélas ! Comme elle

soupire, comme elle rit, comme elle râle et geint, l’heure de minuit !

Comme elle parle sèchement, cette poétesse ivre ! A-t-elle dépassé son ivresse ? a-t-elle

prolongé sa veille, se met-elle à remâcher ?

– Elle remâche sa douleur en rêve, la vieille et profonde heure de minuit, et plus encore

sa joie. Car la joie, quand déjà la douleur est profonde : la joie est plus profonde que la peine.

9.

Vigne, que me joues-tu ? Ne t’ai-je pas coupée ? Je suis si cruel, tu saignes : que veut la louange que tu adresses à ma cruauté ivre ?

« Tout ce qui s’est accompli, tout ce qui est mûr – veut mourir ! » ainsi parles-tu. Béni

soit, béni soit le couteau du vigneron ! Mais tout ce qui n’est pas mûr veut vivre : hélas !

La douleur dit : « Passe ! va-t’en douleur ! » Mais tout ce qui souffre veut vivre, pour

mûrir, pour devenir joyeux et plein de désirs,

– plein de désirs de ce qui est plus lointain, plus haut, plus clair. « Je veux des héritiers, ainsi parle tout ce qui souffre, je veux des enfants, je ne me veux pas moi. » –

Mais la joie ne veut ni héritiers ni enfants, – la joie se veut elle-même, elle veut l’éternité, le retour des choses, tout ce qui se ressemble éternellement.

La douleur dit : « Brise-toi, saigne, cœur ! Allez jambes ! Volez ailes ! Au loin ! Là-

haut, douleur ! » Eh bien ! Allons ! Ô mon vieux cœur : la douleur dit : passe et finis !

10.

Ô hommes supérieurs, que vous en semble ? Suis-je un devin ? suis-je un rêveur ? suis-

je un homme ivre ? un interprète des songes ? une cloche de minuit ?

Une goutte de rosée ? une vapeur et un parfum de l’éternité ! Ne l’entendez-vous pas ?

Ne le sentez-vous pas ? Mon monde vient de s’accomplir, minuit c’est aussi midi.

La douleur est aussi une joie, la malédiction est aussi une bénédiction, la nuit est aussi

un soleil, – éloignez-vous, ou bien l’on vous enseignera qu’un sage est aussi un fou.

Avez-vous jamais approuvé une joie ? Ô mes amis, alors vous avez aussi approuvé toutes les douleurs. Toutes les choses sont enchaînées, enchevêtrées, amoureuses, –

– vouliez-vous jamais qu’une même fois revienne deux fois ? Avez-vous jamais dit :

« Tu me plais, bonheur ! Moment ! Clin d’œil ! » C’est ainsi que vous voudriez que tout revienne !

– tout de nouveau, tout éternellement, tout enchaîné, enchevêtré, amoureux, ô c’est ainsi

que vous avez aimé le monde, –

– vous qui êtes éternels, vous l’aimez éternellement et toujours : et vous dites aussi à la douleur : passe, mais reviens : car toute joie veut – l’éternité !

11.

Toute joie veut l’éternité de toutes choses, elle veut du miel, du levain, une heure de minuit pleine d’ivresse, elle veut la consolation des larmes versées sur les tombes, elle veut le couchant doré –

que ne veut-elle pas, la joie ! Elle est plus assoiffée, plus cordiale, plus affamée, plus épouvantable, plus secrète que toute douleur, elle se veut elle même, elle se mord ellemême, la volonté de l’anneau lutte en elle, –

– elle veut de l’amour, elle veut de la haine, elle est dans l’abondance, elle donne, elle

jette loin d’elle, elle mendie pour que quelqu’un veuille la prendre, elle remercie celui qui la prend. Elle aimerait être haïe, –

– la joie est tellement riche qu’elle à soif de douleur, d’enfer, de haine, de honte, de ce qui est estropié, soif du monde, – car ce monde, oh vous le connaissez !

Ô hommes supérieurs, c’est après vous qu’elle languit, la joie, l’effrénée, la

bienheureuse, – elle languit, après votre douleur, vous qui êtes manqués ! Toute joie éternelle languit après les choses manquées.

Car toute joie se veut elle-même, c’est pourquoi elle veut la peine ! Ô bonheur, ô douleur ! Oh brise-toi, cœur ! Hommes supérieurs, apprenez-le donc, la joie veut l’éternité, – la joie veut l’éternité de toutes choses , veut la profonde éternité !

12.

Avez-vous maintenant appris mon chant ? Avez-vous deviné ce qu’il veut dire ? Eh bien ! Allons ! Hommes supérieurs, chantez mon chant, chantez à la ronde !

Chantez maintenant vous-mêmes le chant, dont le nom est « encore une fois », dont le

sens est « dans toute éternité » ! – chantez, ô hommes supérieurs, chantez à la ronde le chant de Zarathoustra !

Ô homme ! Prends garde !

Que dit minuit profond ?

Are sens