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Mon dieu inconnu ! ma douleur !

mon dernier bonheur !

2.

– Mais en cet endroit Zarathoustra ne put se contenir plus longtemps, il prit sa canne et

frappa de toutes ses forces sur celui qui se lamentait. « ArrĂȘte-toi ! lui cria-t-il, avec un rire courroucĂ©, arrĂȘte-toi, histrion ! Faux monnayeur ! Menteur incarnĂ© ! Je te reconnais bien !

Je veux te mettre le feu aux jambes, sinistre enchanteur, je sais trop bien en faire cuire à ceux de ton espÚce ! »

– « Cesse, dit le vieillard en se levant d’un bond, ne me frappe plus, ĂŽ Zarathoustra !

Tout cela n’a Ă©tĂ© qu’un jeu !

Ces choses-lĂ  font partie de mon art ; j’ai voulu te mettre Ă  l’épreuve, en te donnant cette preuve ! Et, en vĂ©ritĂ©, tu as bien pĂ©nĂ©trĂ© mes pensĂ©es !

Mais toi aussi – ce n’est pas une petite preuve que tu m’as donnĂ©e de toi-mĂȘme. Tu es dur, sage Zarathoustra ! Tu frappes durement avec tes « vĂ©ritĂ©s », ton bĂąton noueux me force Ă  confesser – cette vĂ©ritĂ© ! »

– « Ne me flatte point, rĂ©pondit Zarathoustra, toujours irritĂ© et le visage sombre, histrion dans l’ñme ! Tu es un faux-semblant : pourquoi parles-tu – de vĂ©ritĂ© ?

Toi le paon des paons, mer de vanitĂ©, qu’est-ce que tu jouais devant moi, sinistre enchanteur ? En qui devais-je croire lorsque tu te lamentais ainsi ? »

« C’est l’expiateur de l’esprit que je reprĂ©sentais, rĂ©pondit le vieillard : tu as toi-mĂȘme inventĂ© ce mot jadis – le poĂšte, l’enchanteur qui finit par tourner son esprit contre lui-mĂȘme, celui qui est transformĂ© et que glace sa mauvaise science et sa mauvaise conscience.

Et avoue-le franchement : tu as pris du temps, ĂŽ Zarathoustra, pour dĂ©couvrir mes artifices et mes mensonges ! Tu croyais Ă  ma misĂšre, lorsque tu me tenais la tĂȘte des deux

mains, – je t’ai entendu gĂ©mir : « On l’a trop peu aimĂ©, trop peu aimĂ© ! » Que je t’aie trompĂ© jusque-lĂ , c’est ce qui faisait intĂ©rieurement jubiler ma mĂ©chancetĂ©. »

« Tu dois en avoir trompé de plus fins que moi, répondit durement Zarathoustra. Je ne

suis pas sur mes gardes devant les trompeurs, il faut que je m’abstienne de prendre des prĂ©cautions : ainsi le veut mon sort.

Mais toi – il faut que tu trompes : je te connais assez pour le savoir ! Il faut toujours que tes mots aient un double, un triple, un quadruple sens. MĂȘme ce que tu viens de me confesser maintenant n’était ni assez vrai, ni assez faux pour moi !

MĂ©chant faux monnayeur, comment saurais-tu faire autrement ! Tu farderais mĂȘme ta maladie, si tu te montrais nu devant ton mĂ©decin.

C’est ainsi que tu viens de farder devant moi ton mensonge, lorsque tu disais : « Je ne

l’ai fait que par jeu ! » Il y avait aussi du sĂ©rieux lĂ -dedans, tu es quelque chose comme un expiateur de l’esprit !

Je te devine bien : tu es devenu l’enchanteur de tout le monde, mais Ă  l’égard de toi-mĂȘme il ne te reste plus ni mensonge ni ruse, – pour toi-mĂȘme tu es dĂ©senchantĂ© !

Tu as moissonnĂ© le dĂ©goĂ»t comme ta seule vĂ©ritĂ©. Aucune parole n’est plus vraie chez

toi, mais ta bouche est encore vraie : c’est-Ă -dire le dĂ©goĂ»t qui colle Ă  ta bouche. » –

– « Qui es-tu donc ! s’écria en cet endroit le vieil enchanteur d’une voix hautaine. Qui a

le droit de me parler ainsi, Ă  moi qui suis le plus grand des vivants d’aujourd’hui ? » – et un regard vert fondit de ses yeux sur Zarathoustra. Mais aussitĂŽt il se transforma et il dit tristement :

« Ô Zarathoustra, je suis fatiguĂ© de tout cela, mes arts me dĂ©goĂ»tent, je ne suis pas grand, que sert-il de feindre ! Mais tu le sais bien – j’ai cherchĂ© la grandeur !

Je voulais reprĂ©senter un grand homme et il y en a beaucoup que j’ai convaincus : mais

ce mensonge a dĂ©passĂ© ma force. C’est contre lui que je me brise.

Ô Zarathoustra, chez moi tout est mensonge ; mais que je me brise – cela est vrai chez

moi ! » –

« C’est Ă  ton honneur, reprit Zarathoustra, l’air sombre et le regard dĂ©tournĂ© vers le sol, c’est Ă  ton honneur d’avoir cherchĂ© la grandeur, mais cela te trahit aussi. Tu n’es pas grand.

Vieil enchanteur sinistre, ce que tu as de meilleur et de plus honnĂȘte, ce que j’honore en

toi c’est que tu te sois fatiguĂ© de toi-mĂȘme et que tu te sois Ă©criĂ© : « Je ne suis pas grand. »

C’est en cela que je t’honore comme un expiateur de l’esprit : si mĂȘme cela n’a Ă©tĂ© que pour un clin d’Ɠil, dans ce moment tu as Ă©tĂ© – vrai.

Mais, dis-moi, que cherches-tu ici dans mes forĂȘts et parmi mes rochers. Et si c’est pour

moi que tu t’es couchĂ© dans mon chemin, quelle preuve voulais-tu de moi ?

– en quoi voulais-tu me tenter ? »

Ainsi parlait Zarathoustra et ses yeux Ă©tincelaient. Le vieil enchanteur fit une pause, puis il dit : « Est-ce que je t’ai tentĂ© ? Je ne fais que – chercher.

Ô Zarathoustra, je cherche quelqu’un de vrai, de droit, de simple, quelqu’un qui soit sans feinte, un homme de toute probitĂ©, un vase de sagesse, un saint de la connaissance, un grand homme !

Are sens

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