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t’es-tu converti ? Parle, inexprimable ! »

« Ô Zarathoustra, répondit le plus laid des hommes, tu es un coquin !

Si celui-là vit encore, ou bien s’il vit de nouveau, ou bien s’il est complètement mort, –

qui de nous deux sait cela le mieux ? C’est ce que je te demande.

Mais il y a une chose que je sais, – c’est de toi-même que je l’ai apprise jadis, ô Zarathoustra : celui qui veut tuer le plus complètement se met à rire.

« Ce n’est pas par la colère, c’est par le rire que l’on tue » – ainsi parlais-tu jadis. Ô

Zarathoustra, toi qui restes caché, destructeur sans colère, saint dangereux, – tu es un coquin ! »

2.

Mais alors il arriva que Zarathoustra, étonné de pareilles réponses de coquins, s’élança

de nouveau à la porte de sa caverne et, s’adressant à tous ses convives, se mit à crier d’une voix forte :

« Ô vous tous, fols espiègles, pantins ! pourquoi dissimuler et vous cacher devant moi !

Le cœur de chacun de vous tressaillait pourtant de joie et de méchanceté, parce que vous êtes enfin redevenus comme de petits enfants, c’est-à-dire pieux, – parce que vous avez enfin agi de nouveau comme font les petits enfants, parce que vous avez prié, joint

les mains et dit « cher bon Dieu » !

Mais maintenant quittez cette chambre d’enfants, ma propre caverne, où aujourd’hui tous les enfantillages ont droit de cité. Rafraîchissez dehors votre chaude impétuosité d’enfants et le battement de votre cœur !

Il est vrai, que si vous ne redevenez pas comme de petits enfants, vous ne pourrez pas

entrer dans ce royaume des cieux. (Et Zarathoustra montra le ciel du doigt.)

Mais nous ne voulons pas du tout entrer dans le royaume des cieux : nous sommes devenus des hommes, – c’est pourquoi nous voulons le royaume de la terre. »

3.

Et de nouveau Zarathoustra commença à parler. « Ô mes nouveaux amis, dit-il, –

hommes singuliers, vous qui êtes les hommes supérieurs, comme vous me plaisez bien maintenant, –

– depuis que vous êtes redevenus joyeux. Vous êtes en vérité tous épanouis : il me semble que pour des fleurs comme vous il faut des fêtes nouvelles,

– une brave petite folie, un culte ou une fête de l’âne, un vieux fou, un joyeux Zarathoustra, un tourbillon qui, par son souffle, vous éclaire l’âme.

N’oubliez pas cette nuit et cette fête de l’âne, ô hommes supérieurs. C’est ce que vous avez inventé chez moi et c’est pour moi un bon signe, – il n’y a que les convalescents pour inventer de pareilles choses !

Et si vous fêtez de nouveau cette fête de l’âne, faites-le par amour pour vous, faites-le

aussi par amour pour moi ! Et faites cela en mémoire de moi. »

Ainsi parlait Zarathoustra.

Le chant d’ivresse

1.

Mais pendant qu’il parlait, ils étaient tous sortis l’un après l’autre, en plein air et dans la nuit fraîche et pensive ; et Zarathoustra lui-même conduisait le plus laid des hommes par

la main, pour lui montrer son monde nocturne, la grande lune ronde et les cascades argentées auprès de sa caverne. Enfin ils s’arrêtèrent là les uns près des autres, tous ces hommes vieux, mais le cœur consolé et vaillant, s’étonnant dans leur for intérieur de se sentir si bien sur la terre ; la quiétude de la nuit, cependant, s’approchait de plus en plus de leurs cœurs. Et de nouveau Zarathoustra pensait à part lui : « Ô comme ils me plaisent bien maintenant, ces hommes supérieurs ! » – mais il ne le dit pas, car il respectait leur bonheur et leur silence. –

Mais alors il arriva ce qui pendant ce jour stupéfiant et long fut le plus stupéfiant : le plus laid des hommes commença derechef, et une dernière fois, à gargouiller et à souffler

et, lorsqu’il eut fini par trouver ses mots, voici une question sortit de sa bouche, une question précise et nette, une question bonne, profonde et claire qui remua le cœur de tous ceux qui l’entendaient.

« Mes amis, vous tous qui êtes réunis ici, dit le plus laid des hommes, que vous en semble ? À cause de cette journée – c’est la première fois de ma vie que je suis content,

que j’ai vécu la vie tout entière.

Et il ne me suffit pas d’avoir témoigné cela. Il vaut la peine de vivre sur la terre : Un jour, une fête en compagnie de Zarathoustra a suffi pour m’apprendre à aimer la terre.

« Est-ce là – la vie ! » dirai-je à la mort. « Eh bien ! Encore une fois ! »

Mes amis, que vous en semble ? Ne voulez-vous pas, comme moi, dire à la mort : « Est-

ce là la vie, eh bien, pour l’amour de Zarathoustra, encore une fois ! » –

Ainsi parlait le plus laid des hommes ; mais il n’était pas loin de minuit. Et que pensez-

vous qui se passa alors ? Dès que les hommes supérieurs entendirent sa question, ils eurent soudain conscience de leur transformation et de leur guérison, et ils comprirent quel était celui qui la leur avait procurée : alors ils s’élancèrent vers Zarathoustra, pleins de reconnaissance, de respect et d’amour, en luis baisant la main, selon la particularité de chacun : de sort que quelques-uns riaient et que d’autres pleuraient. Le vieil enchanteur cependant dansait de plaisir ; et si, comme le croient certains conteurs, il était alors ivre de vin doux, il était certainement plus ivre encore de la vie douce, et il avait abdiqué toute lassitude. Il y en a même quelques-uns qui racontent qu’alors l’âne se mit à danser : car ce n’est pas en vain que le plus laid des hommes lui avait donné du vin à boire. Que cela se

soit passé, ainsi ou autrement, peu importe ; si l’âne n’a pas vraiment dansé ce soir-là, il se passa pourtant alors des choses plus grandes et plus étranges que ne le serait la danse d’un âne. En un mot, comme dit le proverbe de Zarathoustra : « Qu’importe ! »

2.

Lorsque ceci se passa avec le plus laid des hommes, Zarathoustra était comme un

homme ivre : son regard s’éteignait, sa langue balbutiait, ses pieds chancelaient. Et qui saurait deviner quelles étaient les pensées qui agitaient alors l’âme de Zarathoustra ? Mais on voyait que son esprit reculait en arrière et qu’il volait en avant, qu’il était dans le plus grand lointain, en quelque sorte « sur une haute crête, comme il est écrit, entre deux mers,

– qui chemine entre le passé et l’avenir, comme un lourd nuage ». Peu à peu, cependant,

tandis que les hommes supérieurs le tenaient dans leurs bras, il revenait un peu à lui-même, se défendant du geste de la foule de ceux qui voulaient l’honorer et qui étaient préoccupés à cause de lui ; mais il ne parlait pas. Tout à coup, pourtant, il tourna la tête, car il semblait entendre quelque chose : alors il mit son doigt sur la bouche et dit :

« Venez ! »

Et aussitôt il se fit un silence et une quiétude autour de lui ; mais de la profondeur on

entendait monter lentement le son d’une cloche. Zarathoustra prêtait l’oreille, ainsi que les hommes supérieurs ; puis il mit une seconde fois son doigt sur la bouche et il dit de nouveau : « Venez ! Venez ! il est près de minuit ! » – et sa voix s’était transformée. Mais il ne bougeait toujours pas de place : alors il y eut un silence encore plus grand et une plus grande quiétude, et tout le monde écoutait, même l’âne et les animaux d’honneur de Zarathoustra, l’aigle et le serpent, et aussi la caverne de Zarathoustra et la grande lune froide et la nuit elle-même. Zarathoustra, cependant, mit une troisième fois sa main sur la bouche et dit :

Venez ! Venez ! Venez ! Allons ! Maintenant il est l’heure : allons dans la nuit !

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