Ne le sais-tu donc pas, ô Zarathoustra ? Je cherche Zarathoustra. »
Alors il y eut un long silence entre les deux ; Zarathoustra, cependant, tomba dans une
profonde méditation, en sorte qu’il ferma les yeux. Puis, revenant à son interlocuteur, il saisit la main de l’enchanteur et dit plein de politesse et de ruse :
« Eh bien ! Là-haut est le chemin qui mène à la caverne de Zarathoustra. C’est dans ma
caverne que tu peux chercher celui que tu désirerais trouver.
Et demande conseil à mes animaux, mon aigle et mon serpent : ils doivent t’aider à chercher. Ma caverne cependant est grande.
Il est vrai que moi-même – je n’ai pas encore vu de grand homme. Pour ce qui est grand, l’œil du plus subtil est encore trop grossier aujourd’hui. C’est le règne de la populace.
J’en ai déjà tant trouvé qui s’étiraient et qui se gonflaient, tandis que le peuple criait :
« Voyez donc, voici un grand homme ! » Mais à quoi servent tous les soufflets de forge !
Le vent finit toujours par en sortir.
La grenouille finit toujours par éclater, la grenouille qui s’est trop gonflée : alors le vent en sort. Enfoncer une pointe dans le ventre d’un enflé, c’est ce que j’appelle un sage divertissement. Écoutez cela, mes enfants !
Notre aujourd’hui appartient à la populace : qui peut encore savoir ce qui est grand ou
petit ? Qui chercherait encore la grandeur avec succès ! Un fou tout au plus : et les fous
réussissent.
Tu cherches les grands hommes, singulier fou ! Qui donc t’a enseigné à les chercher ?
Est-ce aujourd’hui le temps opportun pour cela ? Ô chercheur malin, pourquoi – me tentes-tu ? » –
Ainsi parlait Zarathoustra, le cœur consolé, et, en riant, il continua son chemin.
Hors de service
Peu de temps cependant après que Zarathoustra se fut débarrassé de l’enchanteur, il vit de
nouveau quelqu’un qui était assis au bord du chemin qu’il suivait, un homme grand et noir
avec un visage maigre et pâle. L’aspect de cet homme le contraria énormément. Malheur à
moi, dit-il à son cœur, je vois de l’affliction masquée, ce visage me semble appartenir à la prêtraille ; que veulent ces gens dans mon royaume ?
Comment ! J’ai à peine échappé à cet enchanteur : et déjà un autre nécromant passe sur
mon chemin, – un magicien quelconque qui impose les mains, un sombre faiseur de miracles par la grâce de Dieu, un onctueux diffamateur du monde : que le diable l’emporte !
Mais le diable n’est jamais là quand on aurait besoin de lui : toujours il arrive trop tard, ce maudit nain, ce maudit pied-bot ! » –
Ainsi sacrait Zarathoustra, impatient dans son cœur, et il songea comment il pourrait faire pour passer devant l’homme noir, en détournant le regard : mais voici il en fut autrement. Car, au même moment, celui qui était assis en face de lui s’aperçut de sa présence ; et, semblable quelque peu à quelqu’un à qui arrive un bonheur imprévu, il sauta
sur ses jambes et se dirigea vers Zarathoustra.
« Qui que tu sois, voyageur errant, dit-il, aide à un égaré qui cherche, à un vieillard à
qui il pourrait bien arriver malheur ici !
Ce monde est étranger et lointain pour moi, j’ai aussi entendu hurler les bêtes sauvages ;
et celui qui aurait pu me donner asile a lui-même disparu.
J’ai cherché le dernier homme pieux, un saint et un ermite, qui, seul dans sa forêt, n’avait pas encore entendu dire ce que tout le monde sait aujourd’hui. »
« Qu’est-ce que tout le monde sait aujourd’hui ? Demanda Zarathoustra. Ceci, peut-être,
que le Dieu ancien ne vit plus, le Dieu en qui tout le monde croyait jadis ? » « Tu l’as dit, répondit le vieillard attristé. Et j’ai servi ce Dieu ancien jusqu’à sa dernière heure.
Mais maintenant je suis hors de service, je suis sans maître et malgré cela je ne suis pas
libre ; aussi ne suis-je plus jamais joyeux, si ce n’est en souvenir.
C’est pourquoi je suis monté dans ces montagnes pour célébrer de nouveau une fête, comme il convient à un vieux pape et à un vieux père de l’église : car sache que je suis le dernier pape ! – un fête de souvenir pieux et de culte divin.
Mais maintenant il est mort lui-même, le plus pieux des hommes, ce saint de la forêt qui
sans cesse rendait grâce à Dieu, par des chants et des murmures.
Je ne l’ai plus trouvé lui-même lorsque j’ai découvert sa chaumière – mais j’y ai vu deux loups qui hurlaient à cause de sa mort – car tous les animaux l’aimaient. Alors je me