nous nous en emparons : – la meilleure nourriture, le ciel le plus clair, les pensées les plus fortes, les plus belles femmes ! » –
Ainsi parlait Zarathoustra ; mais le roi de droite répondit : « C’est singulier, a-t-on jamais entendu des choses aussi judicieuses de la bouche d’un sage ?
Et en vérité, c’est là pour un sage la chose la plus singulière, d’être avec tout cela intelligent et de ne point être un âne. »
Ainsi parla le roi de droite avec étonnement ; l’âne cependant conclut méchamment son
discours par un I-A. Mais ceci fut le commencement de ce long repas qui est appelé « la
Cène » dans les livres de l’histoire. Pendant ce repas il ne fut pas parlé d’autre chose que de l’homme supérieur.
De l’homme supérieur
1.
Lorsque je vins pour la première fois parmi les hommes, je fis la folie du solitaire, la grande folie : je me mis sur la place publique.
Et comme je parlais à tous, je ne parlais à personne. Mais le soir des danseurs de corde
et des cadavres étaient mes compagnons ; et j’étais moi-même presque un cadavre.
Mais, avec le nouveau matin, une nouvelle vérité vint vers moi : alors j’appris à dire :
« Que m’importe la place publique et la populace, le bruit de la populace et les longues oreilles de la populace ! »
Hommes supérieurs, apprenez de moi ceci : sur la place publique personne ne croit à l’homme supérieur. Et si vous voulez parler sur la place publique, à votre guise ! Mais la
populace cligne de l’œil : « Nous sommes tous égaux. »
« Hommes supérieurs, – ainsi cligne de l’œil la populace, – il n’y pas d’hommes supérieurs, nous sommes tous égaux, un homme vaut un homme, devant Dieu – nous sommes tous égaux ! »
Devant Dieu ! – Mais maintenant ce Dieu est mort. Devant la populace, cependant, nous
ne voulons pas être égaux. Hommes supérieurs, éloignez-vous de la place publique !
2.
Devant Dieu ! – Mais maintenant ce Dieu est mort ! Hommes supérieurs, ce Dieu a été
votre plus grand danger.
Vous n’êtes ressuscité que depuis qu’il gît dans la tombe. C’est maintenant seulement que revient le grand midi, maintenant l’homme supérieur devient – maître !
Avez-vous compris cette parole, ô mes frères ? Vous êtes effrayés : votre cœur est-il pris
de vertige ? L’abîme s’ouvre-t-il ici pour vous ? Le chien de l’enfer aboie-t-il contre vous ?
Eh bien ! Allons ! Hommes supérieurs ! Maintenant seulement la montagne de l’avenir
humain va enfanter. Dieu est mort : maintenant nous voulons – que le Surhomme vive.
3.
Les plus soucieux demandent aujourd’hui : Comment l’homme se conserve-t-il ? »
Mais Zarathoustra demande, ce qu’il est le seul et le premier à demander : « Comment l’homme sera-t-il surmonté ? »
Le Surhomme me tient au cœur, c’est lui qui est pour moi la chose unique, – et non point l’homme : non pas le prochain, non pas le plus pauvre, non pas le plus affligé, non pas le meilleur. –
Ô mes frères, ce que je puis aimer en l’homme, c’est qu’il est une transition et un
déclin. Et, en vous aussi, il y a beaucoup de choses qui me font aimer et espérer.
Vous avez méprisé, ô hommes supérieurs, c’est ce qui me fait espérer. Car les grands méprisants sont aussi les grands vénérateurs.
Vous avez désespéré, c’est ce qu’il y a lieu d’honorer en vous. Car vous n’avez pas appris comment vous pourriez vous rendre, vous n’avez pas appris les petites prudences.
Aujourd’hui les petites gens sont devenus les maîtres, ils prêchent tous la résignation, et la modestie, et la prudence, et l’application, et les égards et le long ainsi-de-suite des petites vertus.
Ce qui ressemble à la femme et au valet, ce qui est de leur race, et surtout le micmac
populacier : cela veut maintenant devenir maître de toutes les destinées humaines – ô dégoût ! dégoût ! dégoût !
Cela demande et redemande, et n’est pas fatigué de demander : « Comment l’homme se
conserve-t-il le mieux, le plus longtemps, le plus agréablement ? » C’est ainsi – qu’ils sont les maîtres d’aujourd’hui.
Ces maîtres d’aujourd’hui, surmontez-les-moi, ô mes frères, – ces petites gens : c’est eux qui sont le plus grand danger du Surhomme !