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point, sans eux, porter mes pas loin d’ici,

– d’autres qui seront plus grands, plus forts, plus victorieux, des hommes plus joyeux,

bâtis d’aplomb et carrés de la tête à la base : il faut qu’ils viennent, les lions rieurs !

Ô mes hôtes, hommes singuliers, – n’avez-vous pas encore entendu parler de mes

enfants ? Et dire qu’ils sont en route pour venir vers moi ?

Parlez-moi donc de mes jardins, de mes Îles Bienheureuses, de ma belle et nouvelle espèce, – pourquoi ne m’en parlez-vous pas ?

J’implore votre amour de récompenser mon hospitalité en me parlant de mes enfants.

C’est pour eux que je me suis fait riche, c’est pour eux que je me suis appauvri : que n’ai-je pas donné,

– que ne donnerais-je pour avoir une chose : ces enfants, ces plantations vivantes, ces arbres de la vie de mon plus haut espoir ! »

Ainsi parlait Zarathoustra et il s’arrêta soudain dans son discours : car il fut surpris par son désir, et il ferma les yeux et la bouche, tant était grand le mouvement de son cœur. Et tous ses hôtes, eux aussi, se turent, immobiles et accablés : si ce n’est que le vieux devin se mit à gesticuler des bras.

La cène

Car, en cet endroit, le devin interrompit la salutation de Zarathoustra et de ses hôtes : il se pressa en avant, comme quelqu’un qui n’a pas de temps à perdre, saisit la main de Zarathoustra et s’écria : « Mais, Zarathoustra !

Une chose est plus nécessaire que l’autre, c’est ainsi que tu parles toi-même : eh bien !

Il y a maintenant une chose qui m’est plus nécessaire que toutes les autres.

Je veux dire un mot au bon moment : ne m’as-tu pas invité à un repas ? Et il y en a ici

beaucoup qui ont fait de longs chemins. Tu ne veux pourtant pas nous rassasier de paroles ?

Aussi avez-vous tous déjà trop parlé de mourir de froid, de se noyer, d’étouffer et d’autres misères du corps : mais personne ne s’est souvenu de ma misère à moi : la crainte de mourir de faim – »

(Ainsi parla le devin ; mais quand les animaux de Zarathoustra entendirent ces paroles,

ils s’enfuirent de frayeur. Car ils voyaient que tout ce qu’ils avaient rapporté dans la journée ne suffirait pas à gorger le devin à lui tout seul.)

« Personne ne s’est souvenu de la crainte de mourir de soif, continua le devin. Et, bien

que j’entende ruisseler l’eau, comme les discours de la sagesse, abondamment et

infatigablement : moi, je – veux du vin !

Tout le monde n’est pas, comme Zarathoustra, buveur d’eau invétéré. L’eau n’est pas bonne non plus pour les gens fatigués et flétris : nous avons besoin de vin, – le vin seul amène une guérison subite et une santé improvisée ! »

À cette occasion, tandis que le devin demandait du vin, il arriva que le roi de gauche, le

roi silencieux, prit, lui aussi, la parole. « Nous avons pris soin du vin, dit-il, moi et mon frère, le roi de droite : nous avons assez de vin, – toute une charge, il ne manque donc plus que de pain. »

« Du pain ? répliqua Zarathoustra en riant. C’est précisément du pain que n’ont point les solitaires. Mais l’homme ne vit pas seulement de pain, mais aussi de bonne viande d’agneau et j’ai ici deux agneaux.

Qu’on les dépèce vite et qu’on les apprête, aromatisés de sauge : c’est ainsi que j’aime

la viande d’agneaux. Et nous ne manquons pas de racines et de fruits, qui suffiraient même

pour les gourmands et les délicats, nous ne manquons pas non plus de noix ou d’autres énigmes à briser.

Nous allons donc bientôt faire un bon repas. Mais celui qui veut manger avec nous doit

aussi mettre la main à la besogne et les rois tout comme les autres. Car, chez Zarathoustra, un roi même peut être cuisinier. »

Cette proposition était faite selon le cœur de chacun : seul le mendiant volontaire répugnait à la viande, au vin et aux épices.

« Écoutez-moi donc ce viveur de Zarathoustra ! dit-il en plaisantant : va-t-on dans les

cavernes et sur les hautes montagnes pour faire un pareil festin ?

Maintenant, en vérité, je comprends ce qu’il nous enseigna jadis : « Bénie soit la petite pauvreté ! » Et je comprends aussi pourquoi il veut supprimer les mendiants. »

« Sois de bonne humeur, répondit Zarathoustra, comme je suis de bonne humeur. Garde

tes habitudes, excellent homme ! mâchonne ton grain, bois ton eau, vante ta cuisine, pourvu qu’elle te rende joyeux !

Je ne suis pas une loi pour les miens, je ne suis pas une loi pour tout le monde. Mais

celui qui est des miens doit avoir des os vigoureux et des jambes légères, – joyeux pour les guerres et les festins, ni sombre ni rêveur, prêt aux choses les plus difficiles, comme à sa fête, bien portant et sain.

Ce qu’il y a de meilleur appartient aux miens et à moi, et si on ne nous le donne pas,

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