ùnes et des ùnesses chargés de fardeaux.
Quâavons-nous de commun avec le bouton de rose qui tremble puisquâune goutte de rosĂ©e lâoppresse.
Il est vrai que nous aimons la vie, mais ce nâest pas parce que nous sommes habituĂ©s Ă
la vie, mais Ă lâamour.
Il y a toujours un peu de folie dans lâamour. Mais il y a toujours un peu de raison dans
la folie.
Et pour moi aussi, pour moi qui suis porté vers la vie, les papillons et les bulles de
savon, et tout ce qui leur ressemble parmi les hommes, me semble le mieux connaĂźtre le bonheur.
Câest lorsquâil voit voltiger ces petites Ăąmes lĂ©gĂšres et folles, charmantes et mouvantes
â que Zarathoustra est tentĂ© de pleurer et de chanter.
Je ne pourrais croire quâĂ un Dieu qui saurait danser.
Et lorsque je vis mon dĂ©mon, je le trouvai sĂ©rieux, grave, profond et solennel : câĂ©tait
lâesprit de lourdeur, â câest par lui que tombent toutes choses.
Ce nâest pas par la colĂšre, mais par le rire que lâon tue. En avant, tuons lâesprit de lourdeur !
Jâai appris Ă marcher : depuis lors, je me laisse courir. Jâai appris Ă voler, depuis lors je ne veux pas ĂȘtre poussĂ© pour changer de place.
Maintenant je suis léger, maintenant je vole, maintenant je me vois au-dessous de moi,
maintenant un dieu danse en moi.
Ainsi parlait Zarathoustra.
De lâarbre sur la montagne
Zarathoustra sâĂ©tait aperçu quâun jeune homme lâĂ©vitait. Et comme il allait un soir seul par la montagne qui domine la ville appelĂ©e « la Vache multicolore », il trouva dans sa promenade ce jeune homme, appuyĂ© contre un arbre et jetant sur la vallĂ©e un regard fatiguĂ©. Zarathoustra mit son bras autour de lâarbre contre lequel le jeune homme Ă©tait assis et il parla ainsi :
« Si je voulais secouer cet arbre avec mes mains, je ne le pourrais pas.
Mais le vent que nous ne voyons pas lâagite et le courbe comme il veut. De mĂȘme nous
sommes courbés et agités par des mains invisibles.
Alors le jeune homme se leva stupĂ©fait et il dit : « Jâentends Zarathoustra et justement je pensais Ă lui. » Zarathoustra rĂ©pondit :
« Pourquoi tâeffrayes-tu ? â Il en est de lâhomme comme de lâarbre.
Puis il veut sâĂ©lever vers les hauteurs et la clartĂ©, plus profondĂ©ment aussi ses racines
sâenfoncent dans la terre, dans les tĂ©nĂšbres et lâabĂźme, â dans le mal ? »
« Oui, dans le mal ! sâĂ©cria le jeune homme. Comment est-il possible que tu aies dĂ©couvert mon Ăąme ? »
Zarathoustra se prit Ă sourire et dit : « Il y a des Ăąmes quâon ne dĂ©couvrira jamais, Ă moins que lâon ne commence par les inventer. »
« Oui, dans le mal ! sâĂ©cria derechef le jeune homme.
Tu disais la vĂ©ritĂ©, Zarathoustra. Je nâai plus confiance en moi-mĂȘme, depuis que je veux monter dans les hauteurs, et personne nâa plus confiance en moi, â dâoĂč cela peut-il
donc venir ?
Je me transforme trop vite : mon prĂ©sent rĂ©fute mon passĂ©. Je saute souvent des marches quand je monte, â câest ce que les marches ne me pardonnent pas.
Quand je suis en haut je me trouve toujours seul. Personne ne me parle, le froid de la
solitude me fait trembler. Quâest-ce que je veux donc dans les hauteurs ?
Mon mĂ©pris et mon dĂ©sir grandissent ensemble ; plus je mâĂ©lĂšve, plus je mĂ©prise celui
qui sâĂ©lĂšve. Que veut-il donc dans les hauteurs ?
Comme jâai honte de ma montĂ©e et de mes faux pas ! Comme je ris de mon souffle haletant ! Comme je hais celui qui prend son vol ! Comme je suis fatiguĂ© lorsque je suis
dans les hauteurs ! »
Alors le jeune homme se tut. Et Zarathoustra regarda lâarbre prĂšs duquel ils Ă©taient debout et il parla ainsi :
« Cet arbre sâĂ©lĂšve seul sur la montagne ; il a grandi bien au-dessus des hommes et des
bĂȘtes.
Et sâil voulait parler, personne ne pourrait le comprendre : tant il a grandi.
DĂšs lors il attend et il ne cesse dâattendre, â quoi donc ? Il habite trop prĂšs du siĂšge des
nuages : il attend peut-ĂȘtre le premier coup de foudre ? »
Quand Zarathoustra eut dit cela, le jeune homme sâĂ©cria avec des gestes vĂ©hĂ©ments :
« Oui, Zarathoustra, tu dis la vĂ©ritĂ©. Jâai dĂ©sirĂ© ma chute en voulant atteindre les hauteurs, et tu es le coup de foudre que jâattendais ! Regarde-moi, que suis-je encore depuis que tu
nous es apparu ? Câest la jalousie qui mâa tuĂ© ! » â Ainsi parlait le jeune homme et il pleurait amĂšrement. Zarathoustra, cependant, mit son bras autour de sa taille et lâemmena
avec lui.
Et lorsquâils eurent marchĂ© cĂŽte Ă cĂŽte pendant quelques minutes, Zarathoustra