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Et le curé riait à se tordre, répétait à la Sœur :

– Laissez donc, pour une fois, ça ne leur fait pas de mal. Laissez donc.

Après les deux poules, on avait mangé le canard, flanqué des trois pigeons et du merle ; et l’oie parut, fumante, dorée, répandant une odeur chaude de viande rissolée et grasse.

La Paumelle, qui s’animait, battit des mains ; la Jean-Jean cessa de répondre aux questions nombreuses du baron, et la Putois poussa des grognements de joie, moitié cris et moitié soupirs, comme font les petits enfants à qui on montre des bonbons.

– Permettez-vous, dit le curé, que je me charge de cet animal. Je m’entends comme personne à 177

ces opérations-là.

– Mais certainement, monsieur l’abbé.

Et la Sœur dit :

– Si on ouvrait un peu la fenêtre ? Elles ont trop chaud. Je suis sûre qu’elles seront malades.

Je me tournai vers Marchas :

– Ouvre la fenêtre une minute.

Il l’ouvrit, et l’air froid du dehors entra, fit vaciller les flammes des bougies et tournoyer la fumée de l’oie, dont le prêtre, une serviette au cou, soulevait les ailes avec science.

Nous le regardions faire, sans parler maintenant, intéressés par le travail alléchant de ses mains, saisis d’un renouveau d’appétit à la vue de cette grosse bête dorée, dont les membres tombaient l’un après l’autre dans la sauce brune, au fond du plat.

Et tout à coup, au milieu de ce silence gourmand qui nous tenait attentifs, entra, par la fenêtre ouverte, le bruit lointain d’un coup de feu.

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Je fus debout si vite, que ma chaise roula derrière moi ; et je criai :

– Tout le monde à cheval ! Toi, Marchas, tu vas prendre deux hommes et aller aux nouvelles.

Je t’attends ici dans cinq minutes.

Et pendant que les trois cavaliers s’éloignaient au galop dans la nuit, je me mis en selle avec mes deux autres hussards, devant le perron de la villa, tandis que le curé, la Sœur et les trois bonnes femmes montraient aux fenêtres leurs têtes effarées.

On n’entendait plus rien, qu’un aboiement de chien dans la campagne. La pluie avait cessé ; il faisait froid, très froid. Et bientôt, je distinguai de nouveau le galop d’un cheval, d’un seul cheval qui revenait.

C’était Marchas. Je lui criai :

– Eh bien ?

Il répondit :

– Rien du tout, François a blessé un vieux paysan, qui refusait de répondre au

: «

Qui

vive

?

» et qui continuait d’avancer, malgré 179

l’ordre de passer au large. On l’apporte, d’ailleurs. Nous verrons ce que c’est.

J’ordonnai de remettre les chevaux à l’écurie et j’envoyai mes deux soldats au devant des autres, puis je rentrai dans la maison.

Alors le curé, Marchas et moi, nous descendîmes un matelas dans le salon pour y déposer le blessé

; la Sœur, déchirant une

serviette, se mit à faire de la charpie, tandis que les trois femmes éperdues restaient assises dans un coin.

Bientôt, je distinguai un bruit de sabres traînés sur la route ; je pris une bougie pour éclairer les hommes qui revenaient ; et ils parurent, portant cette chose inerte, molle, longue et sinistre, que devient un corps humain quand la vie ne le soutient plus.

On déposa le blessé sur le matelas préparé pour lui ; et je vis du premier coup d’œil que c’était un moribond.

Il râlait et crachait du sang qui coulait des 180

coins de ses lèvres, chassé de sa bouche à chacun de ses hoquets. L’homme en était couvert ! Ses joues, sa barbe, ses cheveux, son cou, ses vêtements, semblaient en avoir été frottés, avoir été baignés dans une cuve rouge. Et ce sang s’était figé sur lui, était devenu terne, mêlé de boue, horrible à voir.

Le vieillard, enveloppé dans une grande limousine de berger, entrouvrait par moments ses yeux mornes, éteints, sans pensée, qui paraissaient stupides d’étonnement, comme ceux des bêtes que le chasseur tue et qui le regardent, tombées à ses pieds, aux trois quarts mortes déjà, abruties par la surprise et par l’épouvante.

Le curé s’écria :

Are sens

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