– Tu prends la seconde rue à gauche. Au bout, tu trouveras une avenue ; et, an bout de l’avenue, l’église. Le presbytère est à côté.
Je sortais ; il me cria :
– Dis-lui le menu pour lui donner faim !
Je découvris sans peine la petite maison de 165
l’ecclésiastique, à côté d’une grande vilaine église de briques. Je frappai à coups de poing dans la porte, qui n’avait ni sonnette ni marteau, et une voix forte demanda de l’intérieur :
– Qui va là ?
Je répondis :
– Maréchal des logis de hussards.
J’entendis un bruit de verrous et de clef tournée, et je me trouvai en face d’un grand prêtre à gros ventre, avec une poitrine de lutteur, des mains formidables sortant de manches retroussées, un teint rouge et un air brave homme.
Je fis le salut militaire.
– Bonjour, monsieur le curé.
Il avait craint une surprise, une embûche de rôdeurs, et il sourit en répondant :
– Bonjour, mon ami ; entrez.
Je le suivis dans une petite chambre à pavés rouges, où brûlait un maigre feu, bien différent du brasier de Marchas.
Il me montra une chaise, et puis me dit : 166
– Qu’y a-t-il pour votre service ?
– Monsieur l’abbé, permettez-moi d’abord de me présenter.
Et je lui tendis ma carte.
Il la reçut et lut à mi-voix :
« Le comte de Garens. »
Je repris :
– Nous sommes ici onze, monsieur l’abbé, cinq en grand-garde et six installés chez un habitant inconnu. Ces six-là se nomment Garens, ici présent, Pierre de Marchas, Ludovic de Ponderel, le baron d’Étreillis, Karl Massouligny, le fils du peintre, et Joseph Herbon, un jeune musicien. Je viens, en leur nom et au mien, vous prier de nous faire l’honneur de souper avec nous. C’est un souper des Rois, monsieur le curé, et nous voudrions le rendre un peu gai.
Le prêtre souriait. Il murmura :
– Il me semble que ce n’est guère l’occasion de s’amuser.
Je répondis :
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– Nous nous battons tous les jours, monsieur.
Quatorze de nos camarades sont morts depuis un mois, et trois sont restés par terre, hier encore.
C’est la guerre. Nous jouons notre vie à tout instant, n’avons-nous pas le droit de la jouer gaiement ? Nous sommes Français, nous aimons rire, nous savons rire partout. Nos pères riaient bien sur l’échafaud ! Ce soir, nous voudrions nous dégourdir un peu, en gens comme il faut et non pas en soudards, vous me comprenez.
Avons-nous tort ?
Il répondit vivement :
– Vous avez raison, mon ami, et j’accepte avec grand plaisir votre invitation.
Il cria :
– Hermance !
Une vieille paysanne, tordue, ridée, horrible, apparut et demanda :
– Qué qui a ?
– Je ne dîne pas ici, ma fille.
– Où que vous dînez donc ?
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– Avec MM. les hussards.