Je riais, tant je le trouvais drôle, l’animal. Il reprit :
– Dire que c’est jour des Rois ! J’ai fait mettre une fève dans l’oie ; mais pas de reine, c’est embêtant, ça !
Je répétai, comme un écho :
– C’est embêtant ; mais que veux-tu que j’y fasse, moi ?
– Que tu en trouves, parbleu !
– De quoi ?
– Des femmes.
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– Des femmes ?... Tu es fou ?
– J’ai bien trouvé l’eau-de-vie sous un poirier, moi, et le champagne sous les marches du perron ; et rien ne pouvait me guider encore. –
Tandis que, pour toi, une jupe c’est un indice certain. Cherche, mon vieux.
Il avait l’air si grave, si sérieux, si convaincu que je ne savais plus s’il plaisantait.
Je répondis :
– Voyons, Marchas, tu blagues ?
– Je ne blague jamais dans le service.
– Mais où diable veux-tu que j’en trouve, des femmes ?
– Où tu voudras. Il doit en rester deux ou trois dans le pays. Déniche et apporte.
Je me levai. Il faisait trop chaud devant ce feu.
Marchas reprit :
– Veux-tu une idée ?
– Oui.
– Va trouver le curé.
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– Le curé ? Pour quoi faire ?
– Invite-le à souper et prie-le d’amener une femme.
– Le curé ! Une femme ! Ah ! ah ! ah !
Marchas reprit avec une extraordinaire gravité :
– Je ne ris pas. Va trouver le curé, raconte-lui notre situation. Il doit s’embêter affreusement, il viendra. Mais dis-lui qu’il nous faut une femme au minimum, une femme comme il faut, bien entendu, puisque nous sommes tous des hommes du monde. Il doit connaître ses paroissiennes sur le bout du doigt. S’il y en a une possible pour nous, et si tu t’y prends bien, il te l’indiquera.
– Voyons, Marchas ? À quoi penses-tu ?
– Mon cher Garens, tu peux faire ça très bien.
Ce serait même très drôle. Nous savons vivre, parbleu, et nous serons d’une distinction parfaite, d’un chic extrême. Nomme-nous à l’abbé, fais-le rire, attendris-le, séduis-le et décide-le !
– Non, c’est impossible.
Il rapprocha son fauteuil et, comme il 164
connaissait mes côtés faibles, le gredin reprit :
– Songe donc comme ce serait crâne à faire et amusant à raconter. On en parlerait dans toute l’armée. Ça te ferait une rude réputation.
J’hésitais, tenté par l’aventure. Il insista :
– Allons, mon petit Garens. Tu es chef de détachement, toi seul peux aller trouver le chef de l’Église en ce pays. Je t’en prie, vas-y. Je raconterai la chose en vers, dans la Revue des Deux Mondes, après la guerre, je te le promets.
Tu dois bien ça à tes hommes. Tu les fais assez marcher depuis un mois.
Je me levai en demandant :
– Où est le presbytère ?