– De vraies femmes ?
– De vraies femmes.
– Bigre ! Mes compliments !
– Je les accepte. Je les mérite.
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Il quitta son fauteuil, ouvrit la porte et j’aperçus une belle nappe blanche jetée sur une longue table autour de laquelle trois hussards en tablier bleu disposaient des assiettes et des verres.
– Il y aura des femmes ! cria Marchas.
Et les trois hommes se mirent à danser en applaudissant de toute leur force.
Tout était prêt. Nous attendions. Nous attendîmes près d’une heure. Une odeur délicieuse de volailles rôties flottait dans toute la maison.
Un coup frappé contre le volet nous souleva tous en même temps. Le gros Ponderel courut ouvrir, et, au bout d’une minute à peine, une petite bonne Sœur apparut dans l’encadrement de la porte. Elle était maigre, ridée, timide, et saluait coup sur coup les quatre hussards effarés qui la regardaient entrer. Derrière elle, un bruit de bâtons martelait le pavé du vestibule, et dès qu’elle eut pénétré dans le salon, j’aperçus, l’une suivant l’autre, trois vieilles têtes en bonnet blanc, qui s’en venaient en se balançant avec des mouvements différents, l’une chavirant à droite, 172
tandis que l’autre chavirait à gauche. Et, trois bonnes femmes se présentèrent, boitant, traînant la jambe, estropiées par les maladies et déformées par la vieillesse, trois infirmes hors de service, les trois seules pensionnaires capables de marcher encore de l’établissement hospitalier que dirigeait la Sœur Saint-Benoît.
Elle s’était retournée vers ses invalides, pleine de sollicitude pour elles ; puis, voyant mes galons de maréchal des logis, elle me dit :
– Je vous remercie bien, monsieur l’officier, d’avoir pensé à ces pauvres femmes. Elles ont bien peu de plaisir dans la vie, et c’est pour elles en même temps un grand bonheur et un grand honneur que vous leur faites.
J’aperçus le curé, resté dans l’ombre du couloir et qui riait de tout son cœur. À mon tour, je me mis à rire, en regardant surtout la tête de Marchas. Puis montrant des sièges à la religieuse :
– Asseyez-vous, ma Sœur ; nous sommes très fiers et très heureux que vous ayez accepté notre modeste invitation.
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Elle prit trois chaises contre le mur, les aligna devant le feu, y conduisit ses trois bonnes femmes, les plaça dessus, leur ôta leurs cannes et leurs châles qu’elle alla déposer dans un coin ; puis, désignant la première, une maigre à ventre énorme, une hydropique assurément :
– Celle-là est la mère Paumelle, dont le mari s’est tué en tombant d’un toit et dont le fils est mort en Afrique. Elle a soixante-deux ans.
Puis elle désigna la seconde, une grande dont la tête tremblait sans cesse :
– Celle-là est la mère Jean-Jean, âgée de soixante-sept ans. Elle n’y voit plus guère, ayant eu la figure flambée dans un incendie et la jambe droite brûlée à moitié.
Elle nous montra, enfin, la troisième, une espèce de naine, avec des yeux saillants, qui roulaient de tous les côtés, ronds et stupides.
– C’est la Putois, une innocente. Elle est âgée de quarante-quatre ans seulement.
J’avais salué les trois femmes comme si on m’eût présenté à des Altesses Royales, et, me 174
tournant vers le curé :
–
Vous êtes, monsieur l’abbé, un homme précieux, à qui nous devrons tous ici de la reconnaissance.
Tout le monde riait, en effet, hormis Marchas, qui semblait furieux.
– Notre Sœur Saint-Benoît est servie ! cria tout à coup Karl Massouligny.
Je la fis passer devant avec le curé, puis je soulevai la mère Paumelle, dont je pris le bras et que je traînai dans la pièce voisine, non sans peine, car son ventre ballonné semblait plus pesant que du fer.
Le gros Ponderel enleva la mère Jean-Jean, qui gémissait pour avoir sa béquille ; et le petit Joseph Herbon dirigea l’idiote, la Putois, vers la salle à manger, pleine d’odeur de viandes.
Dès que nous fûmes en face de nos assiettes, la Sœur tapa trois coups dans ses mains, et les femmes firent, avec la précision de soldats qui présentent les armes, un grand signe de croix rapide. Puis le prêtre prononça, lentement, les 175
paroles latines du Benedicite.
On s’assit, et les deux poules parurent, apportées par Marchas, qui voulait servir pour ne point assister en convive à ce repas ridicule.
Mais je criai : « Vite le champagne ! » Un bouchon sauta avec un bruit de pistolet qu’on décharge, et, malgré la résistance du curé, et de la bonne Sœur, les trois hussards assis à côté des trois infirmes leur versèrent de force dans la bouche leurs trois verres pleins.
Massouligny, qui avait la faculté d’être chez lui partout et à l’aise avec tout le monde, faisait la cour à la mère Paumelle de la façon la plus drôle.
L’hydropique, dont l’humeur était restée gaie, malgré ses malheurs, lui répondait en badinant avec une voix de fausset qui semblait factice, et elle riait si fort des plaisanteries de son voisin que son gros ventre semblait prêt à monter et à rouler sur la table. Le petit Herbon avait entrepris sérieusement de griser l’idiote, et le baron d’Étreillis, qui n’avait pas l’esprit alerte, interrogeait la Jean-Jean sur la vie, les habitudes et le règlement de l’hospice.
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La religieuse, effarée, criait à Massouligny :
– Oh ! oh ! vous allez la rendre malade, ne la faites pas rire comme ça, je vous en prie, monsieur. Oh ! monsieur...
Puis elle se levait et se jetait sur Herbon pour lui arracher des mains un verre plein qu’il vidait prestement, entre les lèvres de la Putois.