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– Bête, va. Est-ce qu’on ne prend pas les hommes qu’on veut prendre, comme s’ils avaient le choix ! Et ils croient choisir encore... ces 211

imbéciles... mais c’est nous qui choisissons...

toujours... Songe donc, quand on n’est pas laide, et pas sotte, comme nous, tous les hommes sont des prétendants, tous, sans exception. Nous, nous les passons en revue du matin au soir, et quand nous en avons visé un nous l’amorçons...

– Ça ne me dit pas comment tu fais ?

– Comment je fais ?... mais je ne fais rien. Je me laisse regarder, voilà tout.

– Tu te laisses regarder ?

– Mais oui. Ça suffit. Quand on s’est laissé regarder plusieurs fois de suite, un homme vous trouve aussitôt la plus jolie et la plus séduisante de toutes les femmes. Alors il commence à vous faire la cour. Moi je lui laisse comprendre qu’il n’est pas mal, sans rien dire bien entendu ; et il tombe amoureux comme un bloc. Je le tiens. Et ça dure plus ou moins, selon ses qualités.

– Tu prends comme ça tous ceux que tu veux ?

– Presque tous.

– Alors, il y en a qui résistent ?

– Quelquefois.

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– Pourquoi ?

– Oh ! pourquoi ? On est Joseph pour trois raisons. Parce qu’on est très amoureux d’une autre. Parce qu’on est d’une timidité excessive et parce qu’on est... comment dirai-je ?... incapable de mener jusqu’au bout la conquête d’une femme...

– Oh ! ma chère ! ... Tu crois ?...

– Oui... oui... J’en suis sûre..., il y en a beaucoup de cette dernière espèce, beaucoup, beaucoup... beaucoup plus qu’on ne croit. Oh ! ils ont l’air de tout le monde... ils sont habillés comme les autres... ils font les paons... Quand je dis les paons... je me trompe, ils ne pourraient pas se déployer.

– Oh ! ma chère...

Quant aux timides, ils sont quelquefois d’une sottise imprenable. Ce sont des hommes qui ne doivent pas savoir se déshabiller, même pour se coucher tout seuls, quand ils ont une glace dans leur chambre. Avec ceux-là, il faut être énergique, user du regard et de la poignée de 213

main. C’est même quelquefois inutile. Ils ne savent jamais comment ni par où commencer.

Quand on perd connaissance devant eux, comme dernier moyen... ils vous soignent... Et pour peu qu’on tarde à reprendre ses sens... ils vont chercher du secours.

Ceux que je préfère, moi, ce sont les amoureux des autres. Ceux-là, je les enlève d’assaut, à... à... à... à la baïonnette, ma chère !

– C’est bon, tout ça, mais quand il n’y a pas d’hommes, comme ici, par exemple.

– J’en trouve.

– Tu en trouves. Où ça ?

– Partout. Tiens, ça me rappelle mon histoire.

« Voilà deux ans, cette année, que mon mari m’a fait passer l’été dans sa terre de Bougrolles.

Là, rien... mais tu entends, rien de rien, de rien, de rien ! Dans les manoirs des environs, quelques lourdauds dégoûtants, des chasseurs de poil et de plume vivant dans des châteaux sans baignoires, de ces hommes qui transpirent et se couchent par là-dessus, et qu’il serait impossible de corriger, 214

parce qu’ils ont des principes d’existence malpropres.

« Devine ce que j’ai fait ?

– Je ne devine pas !

– Ah ! ah ! ah ! Je venais de lire un tas de romans de George Sand pour l’exaltation de l’homme du peuple, des romans où les ouvriers sont sublimes et tous les hommes du monde criminels. Ajoute à cela que j’avais vu Ruy Blas l’hiver précédent et que ça m’avait beaucoup frappée. Eh bien ! un de nos fermiers avait un fils, un beau gars de vingt-deux ans, qui avait étudié pour être prêtre, puis quitté le séminaire par dégoût. Eh bien, je l’ai pris comme domestique !

– Oh !... Et après !...

– Après... après, ma chère, je l’ai traité de très haut, en lui montrant beaucoup de ma personne.

Je ne l’ai pas amorcé, celui-là, ce rustre, je l’ai allumé !...

– Oh ! Andrée !

– Oui, ça m’amusait même beaucoup. On dit 215

que les domestiques, ça ne compte pas ! Eh bien il ne comptait point. Je le sonnais pour les ordres chaque matin quand ma femme de chambre m’habillait, et aussi chaque soir quand elle me déshabillait.

– Oh ! Andrée !

– Ma chère, il a flambé comme un toit de paille. Alors, à table, pendant les repas, je n’ai plus parlé que de propreté, de soins du corps, de douches, de bains. Si bien qu’au bout de quinze jours il se trempait matin et soir dans la rivière, puis se parfumait à empoisonner le château. J’ai même été obligée de lui interdire les parfums, en lui disant, d’un air furieux, que les hommes ne devaient jamais employer que de l’eau de Cologne.

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