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– Oh ! Andrée !

Alors, j’ai eu l’idée d’organiser une bibliothèque de campagne. J’ai fait venir quelques centaines de romans moraux que je prêtais à tous nos paysans et à mes domestiques.

Il s’était glissé dans ma collection quelques livres... quelques livres... poétiques... de ceux qui 216

troublent les âmes... des pensionnaires et des collégiens... Je les ai donnés à mon valet de chambre. Ça lui a appris la vie... une drôle de vie.

– Oh... Andrée !

– Alors je suis devenue familière avec lui, je me suis mise à le tutoyer. Je l’avais nommé Joseph. Ma chère, il était dans un état... dans un état effrayant... Il devenait maigre comme...

comme un coq... et il roulait des yeux de fou. Moi je m’amusais énormément. C’est un de mes meilleurs étés...

– Et après ?...

– Après... oui... Eh bien, un jour que mon mari était absent, je lui ai dit d’atteler le panier pour me conduire dans les bois. Il faisait très chaud, très chaud... Voilà !

– Oh ! Andrée, dis-moi tout... Ça m’amuse tant.

– Tiens, bois un verre de chartreuse, sans ça je finirais le carafon toute seule. Eh bien après, je me suis trouvée mal en route.

– Comment ça ?

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– Que tu es bête. Je lui ai dit que j’allais me trouver mal et qu’il fallait me porter sur l’herbe.

Et puis quand j’ai été sur l’herbe j’ai suffoqué et je lui ai dit de me délacer. Et puis, quand j’ai été délacée, j’ai perdu connaissance.

– Tout à fait ?

– Oh non, pas du tout.

– Eh bien ?

– Eh bien ! j’ai été obligée de rester près d’une heure sans connaissance. Il ne trouvait pas de remède. Mais j’ai été patiente, et je n’ai rouvert les yeux qu’après sa chute.

– Oh ! Andrée !... Et qu’est-ce que tu lui as dit ?

– Moi rien ! Est-ce que je savais quelque chose, puisque j’étais sans connaissance ? Je l’ai remercié. Je lui ai dit de me remettre en voiture ; et il m’a ramenée au château. Mais il a failli verser en tournant la barrière !

– Oh ! Andrée ! Et c’est tout ?...

– C’est tout...

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– Tu n’as perdu connaissance qu’une fois ?

– Rien qu’une fois, parbleu ! Je ne voulais pas faire mon amant de ce goujat.

– L’as-tu gardé longtemps, après ça ?

– Mais oui. Je l’ai encore. Pourquoi est-ce que je l’aurais renvoyé. Je n’avais pas à m’en plaindre.

– Oh ! Andrée ! Et il t’aime toujours ?

– Parbleu.

– Où est-il ?

La petite baronne étendit la main vers la muraille et poussa le timbre électrique. La porte s’ouvrit aussitôt, et un grand valet entra qui répandait autour de lui une forte senteur d’eau de Cologne.

La baronne lui dit : « Joseph, mon garçon, j’ai peur de me trouver mal, va me chercher ma femme de chambre. »

L’homme demeurait immobile comme un soldat devant un officier, et fixait un regard ardent sur sa maîtresse, qui reprit : « Mais va 219

donc vite, grand sot, nous ne sommes pas dans le bois aujourd’hui, et Rosalie me soignera mieux que toi. »

Il tourna sur ses talons et sortit.

La petite comtesse, effarée, demanda :

– Et qu’est-ce que tu diras à ta femme de chambre ?

– Je lui dirai que c’est passé ! Non, je me ferai tout de même délacer. Ça me soulagera la poitrine, car je ne peux plus respirer. Je suis grise... ma chère... mais grise à tomber si je me levais.

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