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Est-ce qu’il est naturel qu’une petite fille invente de petits pĂ©chĂ©s, quand on sait que, pour un enfant, ce sont les plus petits qu’on a le plus de peine Ă  dire ? Et puis, Ă  cet Ăąge-lĂ , quand une petite fille n’est pas formĂ©e, la montrer inventant de petits pĂ©chĂ©s dans l’ombre, sous le chuchotement du prĂȘtre, en se rappelant ces comparaisons de fiancĂ©, d’époux, d’amant cĂ©leste et de mariage Ă©ternel, qui lui faisaient Ă©prouver comme un frisson de voluptĂ©, n’est-ce pas faire ce que j’ai appelĂ© une peinture lascive ?

Voulez-vous madame Bovary dans ses

moindres actes, Ă  l’état libre, sans l’amant, sans la faute ? Je passe sur ce mot du lendemain, et sur cette mariĂ©e qui ne laissait rien dĂ©couvrir oĂč l’on pĂ»t deviner quelque chose ; il y a lĂ  dĂ©jĂ  un tour de phrase plus qu’équivoque, mais voulez-vous savoir comment Ă©tait le mari ?

Ce mari du lendemain « que l’on eĂ»t pris pour 728

la vierge de la veille », et cette mariĂ©e « qui ne laissait rien dĂ©couvrir oĂč l’on pĂ»t deviner quelque chose ». Ce mari (p. 291) qui se lĂšve et « part le cƓur plein des fĂ©licitĂ©s de la nuit, l’esprit tranquille, la chair contente », s’en allant

« ruminant son bonheur comme ceux qui mĂąchent encore aprĂšs dĂźner le goĂ»t des truffes qu’ils digĂšrent ».

Je tiens, messieurs, Ă  vous prĂ©ciser le cachet de l’Ɠuvre littĂ©raire de M. Flaubert et ses coups de pinceau. Il a quelquefois des traits qui veulent beaucoup dire, et ces traits ne lui coĂ»tent rien.

Et puis, au chĂąteau de la Vaubyessard, savez-vous ce qui attire les regards de cette jeune femme, ce qui la frappe le plus ? C’est toujours la mĂȘme chose, c’est le duc de LaverdiĂšre, amant,

« disait-on, de Marie-Antoinette, entre MM. de Coigny et de Lauzun », et sur lequel « les yeux d’Emma revenaient d’eux-mĂȘmes, comme sur quelque chose d’extraordinaire et d’auguste ; il avait vĂ©cu Ă  la cour et couchĂ© dans le lit des reines ! »

1 Page 50.

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Ce n’est lĂ  qu’une parenthĂšse historique, dira-t-on ? Triste et inutile parenthĂšse ! L’histoire a pu autoriser des soupçons, mais non le droit de les Ă©riger en certitude. L’histoire a parlĂ© du collier dans tous les romans, l’histoire a parlĂ© de mille choses, mais ce ne sont lĂ  que des soupçons, et, je le rĂ©pĂšte, je ne sache pas qu’elle ait autorisĂ© Ă  transformer ces soupçons en certitude. Et quand Marie-Antoinette est morte avec la dignitĂ© d’une souveraine et le calme d’une chrĂ©tienne, ce sang versĂ© pourrait effacer des fautes, Ă  plus forte raison des soupçons. Mon Dieu, M. Flaubert a eu besoin d’une image frappante pour peindre son hĂ©roĂŻne, et il a pris celle-lĂ  pour exprimer tout Ă  la fois et les instincts pervers et l’ambition de madame Bovary !

Madame Bovary doit trĂšs bien valser, et la voici valsant :

« Ils commencĂšrent lentement, puis allĂšrent plus vite. Ils tournaient ; tout tournait autour d’eux, les lampes, les meubles, les lambris et le parquet, comme un disque sur un pivot. En passant auprĂšs des portes, la robe d’Emma par le 730

bas s’ériflait au pantalon ; leurs jambes entraient l’une dans l’autre, il baissait ses regards vers elle, elle levait les siens vers lui ; une torpeur la prenait, elle s’arrĂȘta. Ils repartirent, et, d’un mouvement plus rapide, le vicomte l’entraĂźnant, disparut avec elle, jusqu’au bout de la galerie oĂč, haletante, elle faillit tomber et, un instant, s’appuya la tĂȘte sur sa poitrine. Et puis, tournant toujours, mais plus doucement, il la reconduisit Ă  sa place ; elle se renversa contre la muraille et mit la main devant ses yeux. »

Je sais bien qu’on valse un peu de cette maniùre, mais cela n’en est pas plus moral !

Prenez madame Bovary dans les actes les plus simples, c’est toujours le mĂȘme coup de pinceau, il est Ă  toutes les pages. Aussi Justin, le domestique du pharmacien voisin, a-t-il des Ă©merveillements subits quand il est initiĂ© dans le secret du cabinet de toilette de cette femme. Il poursuit sa voluptueuse admiration jusqu’à la cuisine.

« Le coude sur la longue planche oĂč elle (FĂ©licitĂ©, la femme de chambre) repassait, il 731

considérait avidement toutes ces affaires de femme étalées autour de lui, les jupons, les fichus, les collerettes et les pantalons à coulisse, vastes de hanches et qui se rétrécissaient par le bas.

« – À quoi cela sert-il ? demandait le jeune garçon, en pausant la main sur la crinoline ou les agrafes.

« – Tu n’as donc jamais rien vu ? rĂ©pondait en riant FĂ©licitĂ©. »

Aussi le mari se demande-t-il, en prĂ©sence de cette femme sentant frais, si l’odeur vient de la peau ou de la chemise.

« Il trouvait tous les soirs des meubles souples et une femme en toilette fine, charmante et sentant frais, Ă  ne savoir mĂȘme d’oĂč venait cette odeur, ou si ce n’était pas la femme qui parfumait la chemise. »

Assez de citations de détail ! Vous connaissez maintenant la physionomie de madame Bovary au repos, quand elle ne provoque personne, quand elle ne pÚche pas, quand elle est encore 732

complĂštement innocente, quand, au retour d’un rendez-vous, elle n’est pas encore Ă  cĂŽtĂ© d’un mari qu’elle dĂ©teste ; vous connaissez maintenant la couleur gĂ©nĂ©rale du tableau, la physionomie gĂ©nĂ©rale de madame Bovary. L’auteur a mis le plus grand soin, employĂ© tous les prestiges de son style pour peindre cette femme. A-t-il essayĂ© de la montrer du cĂŽtĂ© de l’intelligence ? Jamais. Du cĂŽtĂ© du cƓur ? Pas davantage. Du cĂŽtĂ© de l’esprit ? Non. Du cĂŽtĂ© de la beautĂ© physique ?

Pas mĂȘme. Oh ! je sais bien qu’il y a un portrait de madame Bovary aprĂšs l’adultĂšre des plus Ă©tincelants ; mais le tableau est avant tout lascif, les poses sont voluptueuses, la beautĂ© de madame Bovary est une beautĂ© de provocation.

J’arrive maintenant aux quatre citations importantes ; je n’en ferai que quatre ; je tiens Ă  restreindre mon cadre. J’ai dit que la premiĂšre serait sur les amours de Rodolphe, la seconde sur la transition religieuse, la troisiĂšme sur les amours de LĂ©on, la quatriĂšme sur la mort.

Voyons la premiĂšre. Madame Bovary est prĂšs

de la chute, prĂšs de succomber.

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« La mĂ©diocritĂ© domestique la poussait Ă  des fantaisies luxueuses, les tendresses matrimoniales en des dĂ©sirs adultĂšres, »... « elle se maudit de n’avoir pas aimĂ© LĂ©on, elle eut soif de ses lĂšvres ».

Qu’est-ce qui a sĂ©duit Rodolphe et l’a prĂ©parĂ© ? Le gonflement de l’étoffe de la robe de madame Bovary qui s’est crevĂ©e de place en place selon les inflexions du corsage ! Rodolphe a amenĂ© son domestique chez Bovary pour le faire saigner. Le domestique va se trouver mal, madame Bovary tient la cuvette.

« Pour la mettre sous la table, dans le mouvement qu’elle fit en s’inclinant, sa robe s’évasa autour d’elle sur les carreaux de la salle et comme Emma, baissĂ©e, chancelait un peu en Ă©cartant les bras, le gonflement de l’étoffe se crevait de place en place selon les inflexions du corsage. » Aussi voici la rĂ©flexion de Rodolphe :

« Il revoyait Emma dans la salle, habillĂ©e comme il l’avait vue, et il la dĂ©shabillait. »

P. 4171. C’est le premier jour oĂč ils se parlent.

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« Ils se regardaient, un dĂ©sir suprĂȘme faisait frissonner leurs lĂšvres sĂšches, et mollement, sans effort, leurs doigts se confondirent. »

Ce sont lĂ  les prĂ©liminaires de la chute. Il faut lire la chute elle-mĂȘme.

« Quand le costume fut prĂȘt, Charles Ă©crivit Ă  M. Boulanger que sa femme Ă©tait Ă  sa disposition et qu’ils comptaient sur sa complaisance.

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