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Il reçut pour sa fĂȘte une belle tĂȘte phrĂ©nologique, toute marquetĂ©e de chiffres jusqu’au thorax et peinte en bleu. C’était une attention du clerc. Il en avait bien d’autres, jusqu’à lui faire, Ă  Rouen, ses commissions ; et le livre d’un romancier ayant mis Ă  la mode la manie des plantes grasses, LĂ©on en achetait pour Madame, qu’il rapportait sur ses genoux, dans l’ Hirondelle, tout en se piquant les doigts Ă  leurs poils durs.

Elle fit ajuster, contre sa croisĂ©e, une planchette Ă  balustrade pour tenir ses potiches. Le clerc eut aussi son jardinet suspendu ; ils s’apercevaient soignant leurs fleurs Ă  leur fenĂȘtre.

Parmi les fenĂȘtres du village, il y en avait une encore, plus souvent occupĂ©e. Car, le dimanche, depuis le matin jusqu’à la nuit, et chaque aprĂšs-midi, si le temps Ă©tait clair, on voyait Ă  la lucarne d’un grenier le profil maigre de M. Binet penchĂ© sur son tour, dont le ronflement monotone s’entendait jusqu’au Lion d’or.

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Un soir, en rentrant, Léon trouva dans sa chambre un tapis de velours et de laine avec des feuillages sur fond pùle, il appela madame Homais, M. Homais, Justin, les enfants, la cuisiniÚre, il en parla à son patron ; tout le monde désira connaßtre ce tapis ; pourquoi la femme du médecin faisait-elle au clerc des générosités ?

Cela parut drĂŽle, et l’on pensa dĂ©finitivement qu’elle devait ĂȘtre sa bonne amie.

Il le donnait à croire, tant il vous entretenait sans cesse de ses charmes et de son esprit, si bien que Binet lui répondit une fois fort brutalement :

– Que m’importe, Ă  moi, puisque je ne suis pas de sa sociĂ©tĂ© !

Il se torturait Ă  dĂ©couvrir par quel moyen lui faire sa dĂ©claration ; et, toujours hĂ©sitant entre la crainte de lui dĂ©plaire et la honte d’ĂȘtre si pusillanime, il en pleurait de dĂ©couragement et de dĂ©sirs. Puis il prenait des dĂ©cisions Ă©nergiques ; il Ă©crivait des lettres qu’il dĂ©chirait, s’ajournait Ă  des Ă©poques qu’il reculait. Souvent il se mettait en marche, dans le projet de tout oser ; mais cette rĂ©solution l’abandonnait bien vite en la prĂ©sence 206

d’Emma, et, quand Charles, survenant, l’invitait Ă  monter dans son boc pour aller voir ensemble quelque malade aux environs, il acceptait aussitĂŽt, saluait Madame et s’en allait. Son mari, n’était-ce pas quelque chose d’elle ?

Quant Ă  Emma, elle ne s’interrogea point pour savoir si elle l’aimait. L’amour, croyait-elle, devait arriver tout Ă  coup, avec de grands Ă©clats et des fulgurations, ouragan des cieux qui tombe sur la vie, la bouleverse, arrache les volontĂ©s comme des feuilles et emporte Ă  l’abĂźme le cƓur entier.

Elle ne savait pas que, sur la terrasse des maisons, la pluie fait des lacs quand les gouttiĂšres sont bouchĂ©es, et elle fĂ»t ainsi demeurĂ©e en sa sĂ©curitĂ©, lorsqu’elle dĂ©couvrit subitement une lĂ©zarde dans le mur.

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V

Ce fut un dimanche de fĂ©vrier, une aprĂšs-midi qu’il neigeait.

Ils Ă©taient tous, M. et madame Bovary, Homais et M. LĂ©on, partis voir, Ă  une demi-lieue d’Yonville, dans la vallĂ©e, une filature de lin que l’on Ă©tablissait. L’apothicaire avait emmenĂ© avec lui NapolĂ©on et Athalie, pour leur faire faire de l’exercice, et Justin les accompagnait, portant des parapluies sur son Ă©paule.

Rien pourtant n’était moins curieux que cette curiositĂ©. Un grand espace de terrain vide, oĂč se trouvaient pĂȘle-mĂȘle, entre des tas de sable et de cailloux, quelques roues d’engrenage dĂ©jĂ  rouillĂ©es, entourait un long bĂątiment quadrangulaire que perçaient quantitĂ© de petites fenĂȘtres. Il n’était pas achevĂ© d’ĂȘtre bĂąti, et l’on voyait le ciel Ă  travers les lambourdes de la toiture. AttachĂ© Ă  la poutrelle du pignon, un 208

bouquet de paille entremĂȘlĂ© d’épis faisait claquer au vent ses rubans tricolores.

Homais parlait. Il expliquait Ă  la compagnie l’importance future de cet Ă©tablissement, supputait la force des planchers, l’épaisseur des murailles, et regrettait beaucoup de n’avoir pas de canne mĂ©trique, comme M. Binet en possĂ©dait une pour son usage particulier.

Emma, qui lui donnait le bras, s’appuyait un peu sur son Ă©paule, et elle regardait le disque du soleil irradiant au loin, dans la brume, sa pĂąleur Ă©blouissante ; mais elle tourna la tĂȘte, Charles Ă©tait lĂ . Il avait sa casquette enfoncĂ©e sur ses sourcils, et ses deux grosses lĂšvres tremblotaient, ce qui ajoutait Ă  son visage quelque chose de stupide ; son dos mĂȘme, son dos tranquille Ă©tait irritant Ă  voir, et elle y trouvait Ă©talĂ©e sur la redingote toute la platitude du personnage.

Pendant qu’elle le considĂ©rait, goĂ»tant ainsi dans son irritation une sorte de voluptĂ© dĂ©pravĂ©e, LĂ©on s’avança d’un pas. Le froid qui le pĂąlissait semblait dĂ©poser sur sa figure une langueur plus douce ; entre sa cravate et son cou, le col de la 209

chemise, un peu lĂąche, laissait voir la peau ; un bout d’oreille dĂ©passait sous une mĂšche de cheveux, et son grand Ɠil bleu, levĂ© vers les nuages, parut Ă  Emma plus limpide et plus beau que ces lacs des montagnes oĂč le ciel se mire.

– Malheureux ! s’écria tout Ă  coup

l’apothicaire.

Et il courut Ă  son fils, qui venait de se prĂ©cipiter dans un tas de chaux pour peindre ses souliers en blanc. Aux reproches dont on l’accablait, NapolĂ©on se prit Ă  pousser des hurlements, tandis que Justin lui essuyait ses chaussures avec un torchis de paille. Mais il eĂ»t fallu un couteau ; Charles offrit le sien.

– Ah ! se dit-elle, il porte un couteau dans sa poche, comme un paysan !

Le givre tombait, et l’on s’en retourna vers Yonville.

Madame Bovary, le soir, n’alla pas chez ses

voisins, et, quand Charles fut parti, lorsqu’elle se sentit seule, le parallĂšle recommença dans la nettetĂ© d’une sensation presque immĂ©diate et 210

avec cet allongement de perspective que le souvenir donne aux objets. Regardant de son lit le feu clair qui brĂ»lait, elle voyait encore, comme lĂ -bas, LĂ©on debout, faisant plier d’une main sa badine et tenant de l’autre Athalie, qui suçait tranquillement un morceau de glace. Elle le trouvait charmant ; elle ne pouvait s’en dĂ©tacher ; elle se rappela ses autres attitudes en d’autres jours, des phrases qu’il avait dites, le son de sa voix, toute sa personne ; et elle rĂ©pĂ©tait, en avançant ses lĂšvres comme pour un baiser :

– Oui, charmant ! charmant !... N’aime-t-il pas ? se demanda-t-elle. Qui donc ? Mais c’est moi !

Toutes les preuves Ă  la fois s’en Ă©talĂšrent, son cƓur bondit. La flamme de la cheminĂ©e faisait trembler au plafond une clartĂ© joyeuse ; elle se tourna sur le dos en s’étirant les bras.

Alors commença l’éternelle lamentation : Oh !

si le ciel l’avait voulu ! Pourquoi n’est-ce pas ?

Qui empĂȘchait donc ?...

Quand Charles, Ă  minuit, rentra, elle eut l’air de s’éveiller, et, comme il fit du bruit en se 211

dĂ©shabillant, elle se plaignit de la migraine ; puis demanda nonchalamment ce qui s’était passĂ© dans la soirĂ©e.

– M. LĂ©on, dit-il, est remontĂ© de bonne heure.

Elle ne put s’empĂȘcher de sourire, et elle s’endormit l’ñme remplie d’un enchantement nouveau.

Le lendemain, Ă  la nuit tombante, elle reçut la visite du sieur Lheureux, marchand de nouveautĂ©s. C’était un homme habile que ce boutiquier.

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