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― Grâce ! grâce !

― Rends-moi mon enfant !

― Lâchez-moi, au nom du ciel !

― Rends-moi mon enfant !

Cette fois encore, la jeune fille retomba, épuisée, rompue, ayant déjà le regard vitré de quelqu’un qui est dans la fosse.

― Hélas ! bégaya-t-elle, vous cherchez votre enfant. Moi, je cherche mes parents.

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Notre-Dame de Paris

Chapitre I

― Rends-moi ma petite Agnès ! poursuivit Gudule. ― Tu ne sais pas où elle est ? Alors, meurs ! — Je vais te dire. J’étais une fille de joie, j’avais un enfant, on m’a pris mon enfant. — Ce sont les égyptiennes. Tu vois bien qu’il faut que tu meures. Quand ta mère l’égyptienne viendra te réclamer, je lui dirai : La mère, regarde à ce gibet ! — Ou bien rends-moi mon enfant.

― Sais-tu où elle est, ma petite fille ? Tiens, que je te montre. Voilà son soulier, tout ce qui m’en reste. Sais-tu où est le pareil ? Si tu le sais, dis-le-moi, et si ce n’est qu’à l’autre bout de la terre, je l’irai chercher en marchant sur les genoux.

En parlant ainsi, de son autre bras tendu hors de la lucarne elle mon-trait à l’égyptienne le petit soulier brodé. Il faisait déjà assez jour pour en distinguer la forme et les couleurs.

― Montrez-moi ce soulier, dit l’égyptienne en tressaillant. Dieu !

Dieu !

Et en même temps, de la main qu’elle avait libre, elle ouvrait vivement le petit sachet orné de verroterie verte qu’elle portait au cou.

― Va ! va ! grommelait Gudule, fouille ton amulette du démon !

Tout à coup elle s’interrompit, trembla de tout son corps, et cria avec une voix qui venait du plus profond des entrailles : — Ma fille !

L’égyptienne venait de tirer du sachet un petit soulier absolument pareil à l’autre. A ce petit soulier était attaché un parchemin sur lequel ce carme était écrit :

Quand le pareil retrouveras,

Ta mère te tendra les bras.

En moins de temps qu’il n’en faut à l’éclair, la recluse avait confronté les deux souliers, lu l’inscription du parchemin, et collé aux barreaux de la lucarne son visage rayonnant d’une joie céleste en criant :

― Ma fille ! ma fille !

― Ma mère ! répondit l’égyptienne.

Ici nous renonçons à peindre.

Le mur et les barreaux de fer étaient entre elles deux. — Oh ! le mur !

cria la recluse. Oh ! la voir et ne pas l’embrasser ! Ta main ! ta main !

La jeune fille lui passa son bras à travers la lucarne, la recluse se jeta sur cette main, y attacha ses lèvres, et y demeura, abîmée dans ce baiser, ne 513

Notre-Dame de Paris

Chapitre I

donnant plus d’autre signe de vie qu’un sanglot qui soulevait ses hanches de temps en temps. Cependant elle pleurait à torrents, en silence, dans l’ombre, comme une pluie de nuit. La pauvre mère vidait par flots sur cette main adorée le noir et profond puits de larmes qui était au dedans d’elle, et où toute sa douleur avait filtré goutte à goutte depuis quinze années.

Tout à coup, elle se releva, écarta ses longs cheveux gris de dessus son front, et, sans dire une parole, se mit à ébranler de ses deux mains les barreaux de sa loge plus furieusement qu’une lionne. Les barreaux tinrent bon. Alors elle alla chercher dans un coin de sa cellule un gros pavé qui lui servait d’oreiller, et le lança contre eux avec tant de violence qu’un des barreaux se brisa en jetant mille étincelles. Un second coup effondra tout à fait la vieille croix de fer qui barricadait la lucarne. Alors avec ses deux mains elle acheva de rompre et d’écarter les tronçons rouillés des barreaux. Il y a des moments où les mains d’une femme ont une force surhumaine.

Le passage frayé, et il fallut moins d’une minute pour cela, elle saisit sa fille par le milieu du corps et la tira dans sa cellule. — Viens ! que je te repêche de l’abîme ! murmurait-elle.

Quand sa fille fut dans la cellule, elle la posa doucement à terre puis la reprit et, la portant dans ses bras comme si ce n’était toujours que sa petite Agnès, elle allait et venait dans l’étroite loge, ivre, forcenée, joyeuse, criant, chantant, baisant sa fille, lui parlant, éclatant de rire, fondant en larmes, le tout à la fois et avec emportement.

― Ma fille ! ma fille ! disait-elle. J’ai ma fille ! la voilà ! Le bon Dieu me l’a rendue. Eh vous ! venez tous ! Y a-t-il quelqu’un là pour voir que j’ai ma fille ? Seigneur Jésus, qu’elle est belle ! Vous me l’avez fait attendre quinze ans, mon bon Dieu, mais c’était pour me la rendre belle. — Les égyptiennes ne l’avaient donc pas mangée ! Qui avait dit cela ? Ma petite fille ! ma petite fille ! baise-moi. Ces bonnes égyptiennes ! J’aime les égyptiennes.

— C’est bien toi. C’est donc cela, que le cœur me sautait chaque fois que tu passais. Moi qui prenais cela pour de la haine ! Pardonne-moi, mon Agnès, pardonne-moi. Tu m’as trouvée bien méchante, n’est-ce pas ? Je t’aime.

— Ton petit signe au cou, l’as-tu toujours ? voyons. Elle l’a toujours. Oh !

tu es belle ! C’est moi qui vous ai fait ces grands yeux-là, mademoiselle.

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Notre-Dame de Paris

Chapitre I

Baise-moi. Je t’aime. Cela m’est bien égal que les autres mères aient des enfants, je me moque bien d’elles à présent. Elles n’ont qu’à venir. Voici la mienne. Voilà son cou, ses yeux, ses cheveux, sa main. Trouvez-moi quelque chose de beau comme cela ! Oh ! je vous en réponds qu’elle aura des amoureux, celle-là ! J’ai pleuré quinze ans. Toute ma beauté s’en est allée, et lui est venue. Baise-moi !

Elle lui tenait mille autres discours extravagants dont l’accent faisait toute la beauté, dérangeait les vêtements de la pauvre fille jusqu’à la faire rougir, lui lissait sa chevelure de soie avec la main, lui baisait le pied, le genou, le front, les yeux, s’extasiait de tout. La jeune fille se laissait faire, en répétant par intervalles très bas et avec une douceur infinie : — Ma mère !

― Vois-tu, ma petite fille, reprenait la recluse en entrecoupant tous ses mots de baisers, vois-tu, je t’aimerai bien. Nous nous en irons d’ici. Nous allons être bien heureuses. J’ai hérité quelque chose à Reims, dans notre pays. Tu sais, Reims ? Ah ! non, tu ne sais pas cela, toi, tu étais trop petite !

Si tu savais comme tu étais jolie, à quatre mois ! Des petits pieds qu’on venait voir par curiosité d’Épernay qui est à sept lieues ! Nous aurons un champ, une maison. Je te coucherai dans mon lit. Mon Dieu ! mon Dieu !

qui est-ce qui croirait cela ? j’ai ma fille !

― O ma mère ! dit la jeune fille trouvant enfin la force de parler dans son émotion, l’égyptienne me l’avait bien dit. Il y a une bonne égyptienne des nôtres qui est morte l’an passé, et qui avait toujours eu soin de moi comme une nourrice. C’est elle qui m’avait mis ce sachet au cou. Elle me disait toujours : — Petite, garde bien ce bijou. C’est un trésor. Il te fera retrouver ta mère. Tu portes ta mère à ton cou. — Elle l’avait prédit, l’égyptienne !

La sachette serra de nouveau sa fille dans ses bras.

― Viens, que je te baise ! tu dis cela gentiment. Quand nous serons au pays, nous chausserons un Enfant-Jésus d’église avec les petits souliers.

Nous devons bien cela à la bonne sainte Vierge. Mon Dieu ! que tu as une jolie voix ! Quand tu me parlais tout à l’heure, c’était une musique ! Ah !

mon Dieu Seigneur ! J’ai retrouvé mon enfant ! Mais est-ce croyable, cette histoire-là ? On ne meurt de rien, car je ne suis pas morte de joie.

Are sens