C’est dans ce moment que la recluse aperçut, de la lucarne de son trou, l’égyptienne sur le pilori, et lui jeta son imprécation sinistre : — Maudite sois-tu, fille d’Égypte ! maudite ! maudite !
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CHAPITRE V
FIN DE L’HISTOIRE DE LA
GALETTE
LE,etdescenditdupilorienchancelant.Lavoix de la recluse la poursuivit encore :
― Descends ! descends ! larronnesse d’Égypte, tu y remonteras !
― La sachette est dans ses lubies, dit le peuple en murmurant ; et il n’en fut rien de plus. Car ces sortes de femmes étaient redoutées, ce qui les faisait sacrées. On ne s’attaquait pas volontiers alors à qui priait jour et nuit.
L’heure était venue de remmener Quasimodo. On le détacha, et la foule se dispersa.
Près du Grand-Pont, Mahiette, qui s’en revenait avec ses deux compagnes, s’arrêta brusquement : — A propos, Eustache ! qu’as-tu fait de la galette ?
― Mère, dit l’enfant, pendant que vous parliez avec cette dame qui 251
Notre-Dame de Paris
Chapitre V
était dans le trou, il y avait un gros chien qui a mordu dans ma galette.
Alors j’en ai mangé aussi.
― Comment, monsieur, reprit-elle, vous avez tout mangé ?
― Mère, c’est le chien. Je lui ai dit, il ne m’a pas écouté. Alors j’ai mordu aussi, tiens !
― C’est un enfant terrible, dit la mère souriant et grondant à la fois.
Voyez-vous, Oudarde, il mange déjà à lui seul tout le cerisier de notre clos de Charlerange. Aussi son grand-père dit que ce sera un capitaine. — Que je vous y reprenne, monsieur Eustache. — Va, gros lion !
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VII
LIVRE SEPTIÈME
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CHAPITRE I
DU DANGER DE CONFIER
SON SECRET A UNE CHÈVRE
P’écoulées.
On était aux premiers jours de mars. Le soleil, que Dubartas, ce classique ancêtre de la périphrase, n’avait pas encore nommé le grand-duc des chandelles, n’en était pas moins joyeux et rayonnant pour cela. C’était une de ces journées de printemps qui ont tant de douceur et de beauté que tout Paris, répandu dans les places et les promenades, les fête comme des dimanches. Dans ces jours de clarté, de chaleur et de sérénité, il y a une certaine heure surtout où il faut admirer le portail de Notre-Dame. C’est le moment où le soleil, déjà incliné vers le couchant, regarde presque en face la cathédrale. Ses rayons, de plus en plus hori-zontaux, se retirent lentement du pavé de la place, et remontent le long de la façade à pic dont ils font saillir les mille rondes-bosses sur leur ombre, tandis que la grande rose centrale flamboie comme un œil de cyclope en-254
Notre-Dame de Paris
Chapitre I
flammé des réverbérations de la forge.
On était à cette heure-là.
Vis-à-vis la haute cathédrale rougie par le couchant, sur le balcon de pierre pratiqué au-dessus du porche d’une riche maison gothique qui faisait l’angle de la place et de la rue du Parvis, quelques belles jeunes filles riaient et devisaient avec toute sorte de grâce et de folie. A la longueur du voile qui tombait, du sommet de leur coiffe pointue enroulée de perles, jusqu’à leurs talons, à la finesse de la chemisette brodée qui couvrait leurs épaules en laissant voir, selon la mode engageante d’alors, la naissance de leurs belles gorges de vierges, à l’opulence de leurs jupes de dessous, plus précieuses encore que leur surtout (recherche merveilleuse !), à la gaze, à la soie, au velours dont tout cela était étoffé, et surtout à la blancheur de leurs mains qui les attestait oisives et paresseuses, il était aisé de deviner de nobles et riches héritières. C’était en effet damoiselle Fleur-de-Lys de Gondelaurier et ses compagnes, Diane de Christeuil, Amelotte de Montmichel, Colombe de Gaillefontaine, et la petite de Champchevrier ; toutes filles de bonne maison, réunies en ce moment chez la dame veuve de Gondelaurier, à cause de monseigneur de Beaujeu et de madame sa femme, qui devaient venir au mois d’avril à Paris, et y choisir des accompagne-resses d’honneur pour madame la dauphine Marguerite, lorsqu’on l’irait recevoir en Picardie des mains des flamands. Or, tous les hobereaux de trente lieues à la ronde briguaient cette faveur pour leurs filles, et bon nombre d’entre eux les avaient déjà amenées ou envoyées à Paris. Celles-ci avaient été confiées par leurs parents à la garde discrète et vénérable de madame Aloïse de Gondelaurier, veuve d’un ancien maître des arba-létriers du roi, retirée avec sa fille unique, en sa maison de la place du parvis Notre-Dame, à Paris.
Le balcon où étaient ces jeunes filles s’ouvrait sur une chambre richement tapissée d’un cuir de Flandre de couleur fauve imprimé à rin-ceaux d’or. Les solives qui rayaient parallèlement le plafond amusaient l’œil par mille bizarres sculptures peintes et dorées. Sur des bahuts ciselés, de splendides émaux chatoyaient çà et là ; une hure de sanglier en faïence couronnait un dressoir magnifique dont les deux degrés annonçaient que la maîtresse du logis était femme ou veuve d’un chevalier ban-neret. Au fond, à côté d’une haute cheminée armoriée et blasonnée du 255
Notre-Dame de Paris
Chapitre I
haut en bas, était assise, dans un riche fauteuil de velours rouge, la dame de Gondelaurier, dont les cinquante-cinq ans n’étaient pas moins écrits sur son vêtement que sur son visage.
A côté d’elle se tenait debout un jeune homme d’assez fière mine, quoique un peu vaine et bravache, un de ces beaux garçons dont toutes les femmes tombent d’accord, bien que les hommes graves et physiono-mistes en haussent les épaules. Ce jeune cavalier portait le brillant habit de capitaine des archers de l’ordonnance du roi, lequel ressemble beaucoup trop au costume de Jupiter, qu’on a déjà pu admirer au premier livre de cette histoire, pour que nous en infligions au lecteur une seconde description.