"Unleash your creativity and unlock your potential with MsgBrains.Com - the innovative platform for nurturing your intellect." » » ,,Notre-Dame de Paris '' - Victor Hugo

Add to favorite ,,Notre-Dame de Paris '' - Victor Hugo

Select the language in which you want the text you are reading to be translated, then select the words you don't know with the cursor to get the translation above the selected word!




Go to page:
Text Size:

― Oui… blessé.

― Blessé !

La pauvre enfant était toute bouleversée.

― Oh ! ne vous effarouchez pas de cela, dit négligemment Phœbus, ce n’est rien. Une querelle, un coup d’épée ; qu’est-ce que cela vous fait ?

― Qu’est-ce que cela me fait ? s’écria Fleur-de-Lys en levant ses beaux yeux pleins de larmes. Oh ! vous ne dites pas ce que vous pensez en disant 366

Notre-Dame de Paris

Chapitre VI

cela. Qu’est-ce que ce coup d’épée ? Je veux tout savoir.

― Eh bien ! chère belle, j’ai eu noise avec Mahé Fédy, vous savez ?

le lieutenant de Saint-Germain-en-Laye, et nous nous sommes décousu chacun quelques pouces de la peau. Voilà tout.

Le menteur capitaine savait fort bien qu’une affaire d’honneur fait toujours ressortir un homme aux yeux d’une femme. En effet, Fleur-deLys le regardait en face tout émue de peur, de plaisir et d’admiration. Elle n’était cependant pas complètement rassurée.

― Pourvu que vous soyez bien tout à fait guéri, mon Phœbus ! dit-elle.

Je ne connais pas votre Mahé Fédy, mais c’est un vilain homme. Et d’où venait cette querelle ?

Ici Phœbus, dont l’imagination n’était que fort médiocrement créa-trice, commença à ne savoir plus comment se tirer de sa prouesse.

― Oh ! que sais-je ?… un rien, un cheval, un propos ! — Belle cousine, s’écria-t-il pour changer de conversation, qu’est-ce que c’est donc que ce bruit dans le Parvis ?

Il s’approcha de la fenêtre.

― Oh ! mon Dieu, belle cousine, voilà bien du monde sur la place !

― Je ne sais pas, dit Fleur-de-Lys ; il paraît qu’il y a une sorcière qui va faire amende honorable ce matin devant l’église pour être pendue après.

Le capitaine croyait si bien l’affaire de la Esmeralda terminée qu’il s’émut fort peu des paroles de Fleur-de-Lys. Il lui fit cependant une ou deux questions.

― Comment s’appelle cette sorcière ?

― Je ne sais pas, répondit-elle.

― Et que dit-on qu’elle a fait ?

Elle haussa encore cette fois ses blanches épaules.

― Je ne sais pas.

― Oh ! mon Dieu Jésus ! dit la mère, il y a tant de sorciers maintenant, qu’on les brûle, je crois, sans savoir leurs noms. Autant vaudrait chercher à savoir le nom de chaque nuée du ciel. Après tout, on peut être tranquille.

Le bon Dieu tient son registre. Ici la vénérable dame se leva et vint à la fenêtre. — Seigneur ! dit-elle, vous avez raison, Phœbus. Voilà une grande cohue de populaire. Il y en a, béni soit Dieu ! jusque sur les toits. — Savez-vous, Phœbus ? cela me rappelle mon beau temps. L’entrée du roi Charles 367

Notre-Dame de Paris

Chapitre VI

VII, où il y avait tant de monde aussi. — Je ne sais plus en quelle année. —

Quand je vous parle de cela, n’est-ce pas ? cela vous fait l’effet de quelque chose de vieux, et à moi de quelque chose de jeune. — Oh ! c’était un bien plus beau peuple qu’à présent. Il y en avait jusque sur les mâchicoulis de la porte Saint-Antoine. Le roi avait la reine en croupe, et après leurs altesses venaient toutes les dames en croupe de tous les seigneurs. Je me rappelle qu’on riait fort, parce qu’à côté d’Amanyon de Garlande, qui était fort bref de taille, il y avait le sire Matefelon, un chevalier de stature gigantale, qui avait tué des Anglais à tas. C’était bien beau. Une procession de tous les gentilshommes de France avec leurs oriflammes qui rougeoyaient à l’œil.

Il y avait ceux à pennon et ceux à bannière. Que sais-je, moi ? le sire de Calan, à pennon ; Jean de Châteaumorant, à bannière ; le sire de Coucy, à bannière, et plus étoffément que nul des autres, excepté le duc de Bourbon.

— Hélas ! que c’est une chose triste de penser que tout cela a existé et qu’il n’en est plus rien !

Les deux amoureux n’écoutaient pas la respectable douairière. Phœbus était revenu s’accouder au dossier de la chaise de sa fiancée, poste charmant d’où son regard libertin s’enfonçait dans toutes les ouvertures de la collerette de Fleur-de-Lys. Cette gorgerette bâillait si à propos, et lui laissait voir tant de choses exquises, et lui en laissait deviner tant d’autres, que Phœbus, ébloui de cette peau à reflets de satin, se disait en lui-même :

— Comment peut-on aimer autre chose qu’une blanche ?

Tous deux gardaient le silence. La jeune fille levait de temps en temps sur lui des yeux ravis et doux, et leurs cheveux se mêlaient dans un rayon du soleil de printemps.

― Phœbus, dit tout à coup Fleur-de-Lys à voix basse, nous devons nous marier dans trois mois, jurez-moi que vous n’avez jamais aimé d’autre femme que moi.

― Je vous le jure, bel ange ! répondit Phœbus, et son regard passionné se joignait pour convaincre Fleur-de-Lys à l’accent sincère de sa voix. Il se croyait peut-être lui-même en ce moment.

Cependant la bonne mère, charmée de voir les fiancés en si parfaite intelligence, venait de sortir de l’appartement pour vaquer à quelque détail domestique. Phœbus s’en aperçut, et cette solitude enhardit tellement l’aventureux capitaine qu’il lui monta au cerveau des idées fort étranges.

368

Notre-Dame de Paris

Chapitre VI

Fleur-de-Lys l’aimait, il était son fiancé, elle était seule avec lui, son ancien goût pour elle s’était réveillé, non dans toute sa fraîcheur, mais dans toute son ardeur, après tout ce n’est pas grand crime de manger un peu son blé en herbe ; je ne sais si ces pensées lui passèrent dans l’esprit, mais ce qui est certain, c’est que Fleur-de-Lys (de Lys) fut tout à coup effrayée de l’expression de son regard. Elle regarda autour d’elle, et ne vit plus sa mère.

― Mon Dieu ! dit-elle, rouge et inquiète, j’ai bien chaud !

― Je crois, en effet, répondit Phœbus, qu’il n’est pas loin de midi. Le soleil est gênant. Il n’y a qu’à fermer les rideaux.

― Non, non, cria la pauvre petite, j’ai besoin d’air, au contraire.

Et comme une biche qui sent le souffle de la meute, elle se leva, courut à la fenêtre, l’ouvrit, et se précipita sur le balcon.

Phœbus, assez contrarié, l’y suivit.

La place du Parvis Notre-Dame, sur laquelle le balcon donnait, comme on sait, présentait en ce moment un spectacle sinistre et singulier qui fit brusquement changer de nature à l’effroi de la timide Fleur-de-Lys.

Une foule immense, qui refluait dans toutes les rues adjacentes, encombrait la place proprement dite. La petite muraille à hauteur d’appui qui entourait le Parvis n’eût pas suffi à la maintenir libre, si elle n’eût été doublée d’une haie épaisse de sergents des onze-vingts et de hacquebu-tiers, la couleuvrine au poing. Grâce à ce taillis de piques et d’arquebuses, le Parvis était vide. L’entrée en était gardée par un gros de hallebardiers aux armes de l’évêque. Les larges portes de l’église étaient fermées, ce qui contrastait avec les innombrables fenêtres de la place, lesquelles, ouvertes jusque sur les pignons, laissaient voir des milliers de têtes entassées à peu près comme les piles de boulets dans un parc d’artillerie.

La surface de cette cohue était grise, sale et terreuse. Le spectacle qu’elle attendait était évidemment de ceux qui ont le privilège d’extraire et d’appeler ce qu’il y a de plus immonde dans la population. Rien de hideux comme le bruit qui s’échappait de ce fourmillement de coiffes jaunes et de chevelures sordides. Dans cette foule, il y avait plus de rires que de cris, plus de femmes que d’hommes.

Are sens