"Unleash your creativity and unlock your potential with MsgBrains.Com - the innovative platform for nurturing your intellect." » » "Les Fleurs du mal" de Charles Baudelaire

Add to favorite "Les Fleurs du mal" de Charles Baudelaire

Select the language in which you want the text you are reading to be translated, then select the words you don't know with the cursor to get the translation above the selected word!




Go to page:
Text Size:

J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans.

Un gros meuble à tiroirs encombré de bilans, De vers, de billets doux, de procès, de romances, Avec de lourds cheveux roulés dans des quittances, Cache moins de secrets que mon triste cerveau.

C'est une pyramide, un immense caveau, Qui contient plus de morts que la fosse commune.

- Je suis un cimetière abhorré de la lune, Où comme des remords se traînent de longs vers Qui s'acharnent toujours sur mes morts les plus chers.

Je suis un vieux boudoir plein de roses fanées, Où gît tout un fouillis de modes surannées, Où les pastels plaintifs et les pâles Boucher Seuls, respirent l'odeur d'un flacon débouché.

Rien n'égale en longueur les boiteuses journées, Quand sous les lourds flocons des neigeuses années L'ennui, fruit de la morne incuriosité Prend les proportions de l'immortalité.

- Désormais tu n'es plus, ô matière vivante!

Qu'un granit entouré d'une vague épouvante, Assoupi dans le fond d'un Sahara brumeux Un vieux sphinx ignoré du monde insoucieux, Oublié sur la carte, et dont l'humeur farouche Ne chante qu'aux rayons du soleil qui se couche.

LXXVII Spleen

Je suis comme le roi d'un pays pluvieux, Riche, mais impuissant, jeune et pourtant très vieux, Qui, de ses précepteurs méprisant les courbettes, S'ennuie avec ses chiens comme avec d'autres bêtes.

Rien ne peut l'égayer, ni gibier, ni faucon, Ni son peuple mourant en face du balcon.

Du bouffon favori la grotesque ballade Ne distrait plus le front de ce cruel malade; Son lit fleurdelisé se transforme en tombeau, Et les dames d'atour, pour qui tout prince est beau, Ne savent plus trouver d'impudique toilette Pour tirer un souris de ce jeune squelette.

© "https://athena.unige.ch/" Baudelaire, Les Fleurs du Mal, p. 58 / 106

Le savant qui lui fait de l'or n'a jamais pu De son être extirper l'élément corrompu, Et dans ces bains de sang qui des Romains nous viennent, Et dont sur leurs vieux jours les puissants se souviennent, Il n'a su réchauffer ce cadavre hébété Où coule au lieu de sang l'eau verte du Léthé.

LXXVIII Spleen

Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis, Et que de l'horizon embrassant tout le cercle Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits; Quand la terre est changée en un cachot humide, Où l'Espérance, comme une chauve-souris, S'en va battant les murs de son aile timide Et se cognant la tête à des plafonds pourris; Quand la pluie étalant ses immenses traînées D'une vaste prison imite les barreaux, Et qu'un peuple muet d'infâmes araignées Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux, Des cloches tout à coup sautent avec furie Et lancent vers le ciel un affreux hurlement, Ainsi que des esprits errants et sans patrie Qui se mettent à geindre opiniâtrement.

- Et de longs corbillards, sans tambours ni musique, Défilent lentement dans mon âme; l'Espoir, Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique, Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.

LXXIX Obsession

Grands bois, vous m'effrayez comme des cathédrales; Vous hurlez comme l'orgue; et dans nos coeurs maudits, Chambres d'éternel deuil où vibrent de vieux râles, Répondent les échos de vos De profundis.

Je te hais, Océan! tes bonds et tes tumultes, Mon esprit les retrouve en lui; ce rire amer

© "https://athena.unige.ch/" Baudelaire, Les Fleurs du Mal, p. 59 / 106

De l'homme vaincu, plein de sanglots et d'insultes, Je l'entends dans le rire énorme de la mer Comme tu me plairais, ô nuit! sans ces étoiles Dont la lumière parle un langage connu!

Car je cherche le vide, et le noir, et le nu!

Mais les ténèbres sont elles-mêmes des toiles Où vivent, jaillissant de mon œil par milliers, Des êtres disparus aux regards familiers.

LXXX Le Goût du Néant

Morne esprit, autrefois amoureux de la lutte, L'Espoir, dont l'éperon attisait ton ardeur, Ne veut plus t'enfourcher! Couche-toi sans pudeur, Vieux cheval dont le pied à chaque obstacle butte.

Résigne-toi, mon cœur; dors ton sommeil de brute.

Esprit vaincu, fourbu! Pour toi, vieux maraudeur, L'amour n'a plus de goût, non plus que la dispute; Adieu donc, chants du cuivre et soupirs de la flûte!

Plaisirs, ne tentez plus un cœur sombre et boudeur!

Le Printemps adorable a perdu son odeur!

Et le Temps m'engloutit minute par minute, Comme la neige immense un corps pris de roideur;

- Je contemple d'en haut le globe en sa rondeur Et je n'y cherche plus l'abri d'une cahute.

Avalanche, veux-tu m'emporter dans ta chute?

LXXXI Alchimie de la Douleur

L'un t'éclaire avec son ardeur,

L'autre en toi met son deuil, Nature!

Ce qui dit à l'un: Sépulture!

Dit à l'autre: Vie et splendeur!

Hermès inconnu qui m'assistes

Et qui toujours m'intimidas,

© "https://athena.unige.ch/" Baudelaire, Les Fleurs du Mal, p. 60 / 106

Tu me rends l'égal de Midas, Le plus triste des alchimistes;

Par toi je change l'or en fer

Et le paradis en enfer;

Dans le suaire des nuages

Je découvre un cadavre cher,

Et sur les célestes rivages

Je bâtis de grands sarcophages.

LXXXII Horreur sympathique

De ce ciel bizarre et livide,

Are sens