Qui feraient délirer les cerveaux et les cœurs!
Quand tu vas balayant l'air de ta jupe large Tu fais l'effet d'un beau vaisseau qui prend le large, Chargé de toile, et va roulant
Suivant un rhythme doux, et paresseux, et lent.
Tes nobles jambes, sous les volants qu'elles chassent, Tourmentent les désirs obscurs et les agacent, Comme deux sorcières qui font
Tourner un philtre noir dans un vase profond.
Tes bras, qui se joueraient des précoces hercules, Sont des boas luisants les solides émules, Faits pour serrer obstinément,
Comme pour l'imprimer dans ton cœur, ton amant.
Sur ton cou large et rond, sur tes épaules grasses, Ta tête se pavane avec d'étranges grâces; D'un air placide et triomphant
Tu passes ton chemin, majestueuse enfant.
© "https://athena.unige.ch/" Baudelaire, Les Fleurs du Mal, p. 42 / 106
LIII L'invitation au voyage Mon enfant, ma sœur,
Songe à la douceur
D'aller là-bas vivre ensemble!
Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble!
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.
Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
Des meubles luisants,
Polis par les ans,
Décoreraient notre chambre;
Les plus rares fleurs
Mêlant leurs odeurs
Aux vagues senteurs de l'ambre,
Les riches plafonds,
Les miroirs profonds,
La splendeur orientale
Tout y parlerait
A l'âme en secret
Sa douce langue natale.
Là, tout n'est qu'ordre et beauté
Luxe, calme et volupté.
Vois sur ces canaux
Dormir ces vaisseaux