Elle n'a pas besoin de mots.
Non, il n'est pas d'archet qui morde Sur mon cœur, parfait instrument,
Et fasse plus royalement
Chanter sa plus vibrante corde,
Que ta voix, chat mystérieux,
Chat séraphique, chat étrange,
En qui tout est, comme en un ange,
Aussi subtil qu'harmonieux!
II
De sa fourrure blonde et brune
Sort un parfum si doux, qu'un soir
J'en fus embaumé, pour l'avoir
Caressée une fois, rien qu'une.
C'est l'esprit familier du lieu;
Il juge, il préside, il inspire
Toutes choses dans son empire;
Peut-être est-il fée, est-il dieu?
Quand mes yeux, vers ce chat que j'aime Tirés comme par un aimant,
Se retournent docilement
Et que je regarde en moi-même,
Je vois avec étonnement
Le feu de ses prunelles pâles,
Clairs fanaux, vivantes opales
Qui me contemplent fixement.
LII Le Beau Navire
Je veux te raconter, ô molle enchanteresse!
Les diverses beautés qui parent ta jeunesse; Je veux te peindre ta beauté,
Où l'enfance s'allie à la maturité.
Quand tu vas balayant l'air de ta jupe large,
© "https://athena.unige.ch/" Baudelaire, Les Fleurs du Mal, p. 41 / 106
Tu fais l'effet d'un beau vaisseau qui prend le large, Chargé de toile, et va roulant
Suivant un rhythme doux, et paresseux, et lent.
Sur ton cou large et rond, sur tes épaules grasses, Ta tête se pavane avec d'étranges grâces; D'un air placide et triomphant
Tu passes ton chemin, majestueuse enfant.
Je veux te raconter, ô molle enchanteresse!
Les diverses beautés qui parent ta jeunesse; Je veux te peindre ta beauté,
Où l'enfance s'allie à la maturité.
Ta gorge qui s'avance et qui pousse la moire, Ta gorge triomphante est une belle armoire Dont les panneaux bombés et clairs
Comme les boucliers accrochent des éclairs; Boucliers provoquants, armés de pointes roses!
Armoire à doux secrets, pleine de bonnes choses, De vins, de parfums, de liqueurs