Quel est le plus doux."- O mon âme!
Tu répondis à l'Abhorré:
"Puisqu'en Elle tout est dictame Rien ne peut être préféré.
Lorsque tout me ravit, j'ignore
Si quelque chose me séduit.
Elle éblouit comme l'Aurore
Et console comme la Nuit;
Et l'harmonie est trop exquise,
Qui gouverne tout son beau corps,
Pour que l'impuissante analyse
En note les nombreux accords.
O métamorphose mystique
De tous mes sens fondus en un!
Son haleine fait la musique,
Comme sa voix fait le parfum!"
XLII
Que diras-tu ce soir, pauvre âme solitaire, Que diras-tu, mon cœur, cœur autrefois flétri, A la très belle, à la très bonne, à la très chère, Dont le regard divin t'a soudain refleuri?
- Nous mettrons notre orgueil à chanter ses louanges: Rien ne vaut la douceur de son autorité Sa chair spirituelle a le parfum des Anges
© "https://athena.unige.ch/" Baudelaire, Les Fleurs du Mal, p. 34 / 106
Et son œil nous revêt d'un habit de clarté.
Que ce soit dans la nuit et dans la solitude Que ce soit dans la rue et dans la multitude Son fantôme dans l'air danse comme un flambeau.
Parfois il parle et dit: "Je suis belle, et j'ordonne Que pour l'amour de moi vous n'aimiez que le Beau; Je suis l'Ange gardien, la Muse et la Madone."
XLIII Le Flambeau vivant
Ils marchent devant moi, ces Yeux pleins de lumières, Qu'un Ange très savant a sans doute aimantés Ils marchent, ces divins frères qui sont mes frères, Secouant dans mes yeux leurs feux diamantés.
Me sauvant de tout piège et de tout péché grave, Ils conduisent mes pas dans la route du Beau Ils sont mes serviteurs et je suis leur esclave Tout mon être obéit à ce vivant flambeau.
Charmants Yeux, vous brillez de la clarté mystique Qu'ont les cierges brûlant en plein jour; le soleil Rougit, mais n'éteint pas leur flamme fantastique; Ils célèbrent la Mort, vous chantez le Réveil Vous marchez en chantant le réveil de mon âme, Astres dont nul soleil ne peut flétrir la flamme!
XLIV Réversibilité
Ange plein de gaieté, connaissez-vous l'angoisse, La honte, les remords, les sanglots, les ennuis, Et les vagues terreurs de ces affreuses nuits Qui compriment le cœur comme un papier qu'on froisse?
Ange plein de gaieté, connaissez-vous l'angoisse?
Ange plein de bonté, connaissez-vous la haine, Les poings crispés dans l'ombre et les larmes de fiel, Quand la Vengeance bat son infernal rappel, Et de nos facultés se fait le capitaine?
Ange plein de bonté connaissez-vous la haine?
© "https://athena.unige.ch/" Baudelaire, Les Fleurs du Mal, p. 35 / 106
Ange plein de santé, connaissez-vous les Fièvres, Qui, le long des grands murs de l'hospice blafard, Comme des exilés, s'en vont d'un pied traînard, Cherchant le soleil rare et remuant les lèvres?
Ange plein de santé, connaissez-vous les Fièvres?
Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides, Et la peur de vieillir, et ce hideux tourment De lire la secrète horreur du dévouement Dans des yeux où longtemps burent nos yeux avides!
Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides?
Ange plein de bonheur, de joie et de lumières, David mourant aurait demandé la santé Aux émanations de ton corps enchanté; Mais de toi je n'implore, ange, que tes prières, Ange plein de bonheur, de joie et de lumières!
XLV Confession
Une fois, une seule, aimable et douce femme, A mon bras votre bras poli
S'appuya (sur le fond ténébreux de mon âme Ce souvenir n'est point pâli);