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– Si elle doit porter malheur à quelqu’un, c’est au vrai coupable, et le vrai coupable c’est Fernand et non pas nous. Quel malheur veux-tu qu’il nous arrive à nous ? Nous n’avons qu’à nous tenir tranquilles, sans souffler le mot de tout cela, et l’orage passera sans que le tonnerre tombe.

– Amen ! dit Caderousse en faisant un signe d’adieu Ă  Danglars et en se dirigeant vers les allĂ©es de Meilhan, tout en secouant la tĂȘte et en se parlant Ă  lui-mĂȘme, comme ont l’habitude de faire les gens fort prĂ©occupĂ©s.

– Bon ! dit Danglars, les choses prennent la tournure que j’avais prĂ©vue : me voilĂ  capitaine par intĂ©rim, et si cet imbĂ©cile de Caderousse peut se taire, capitaine tout de bon. Il n’y a donc que le cas oĂč la justice relĂącherait DantĂšs ? Oh ! mais, ajouta-t-il avec un sourire, la justice est la justice, 114

et je m’en rapporte Ă  elle. »

Et sur ce, il sauta dans une barque en donnant l’ordre au batelier de le conduire Ă  bord du Pharaon, oĂč l’armateur, on se le rappelle, lui avait donnĂ© rendez-vous.

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Le substitut du procureur du roi

Rue du Grand-Cours, en face de la fontaine des MĂ©duses, dans une de ces vieilles maisons Ă  l’architecture aristocratique bĂąties par Puget, on cĂ©lĂ©brait aussi le mĂȘme jour, Ă  la mĂȘme heure, un repas de fiançailles.

Seulement, au lieu que les acteurs de cette autre scĂšne fussent des gens du peuple, des matelots et des soldats, ils appartenaient Ă  la tĂȘte de la sociĂ©tĂ© marseillaise. C’étaient d’anciens magistrats qui avaient donnĂ© la dĂ©mission de leur charge sous l’usurpateur ; de vieux officiers qui avaient dĂ©sertĂ© nos rangs pour passer dans ceux de l’armĂ©e de CondĂ© ; des jeunes gens Ă©levĂ©s par leur famille encore mal rassurĂ©e sur leur existence, malgrĂ© les quatre ou cinq remplaçants qu’elle avait payĂ©s, dans la haine de cet homme 116

dont cinq ans d’exil devaient faire un martyr, et quinze ans de Restauration un dieu.

On Ă©tait Ă  table, et la conversation roulait, brĂ»lante de toutes les passions, les passions de l’époque, passions d’autant plus terribles, vivantes et acharnĂ©es dans le Midi que depuis cinq cents ans les haines religieuses venaient en aide aux haines politiques.

L’Empereur, roi de l’üle d’Elbe aprĂšs avoir Ă©tĂ© souverain d’une partie du monde, rĂ©gnant sur une population de cinq Ă  six mille Ăąmes, aprĂšs avoir entendu crier : Vive NapolĂ©on ! par cent vingt millions de sujets et en dix langues diffĂ©rentes, Ă©tait traitĂ© lĂ  comme un homme perdu Ă  tout jamais pour la France et pour le trĂŽne. Les magistrats relevaient les bĂ©vues politiques ; les militaires parlaient de Moscou et de Leipsick ; les femmes, de son divorce avec JosĂ©phine. Il semblait Ă  ce monde royaliste, tout joyeux et tout triomphant non pas de la chute de l’homme, mais de l’anĂ©antissement du principe, que la vie recommençait pour lui, et qu’il sortait d’un rĂȘve pĂ©nible.

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Un vieillard, dĂ©corĂ© de la croix de Saint-Louis, se leva et proposa la santĂ© du roi Louis XVIII Ă  ses convives ; c’était le marquis de Saint-MĂ©ran.

À ce toast, qui rappelait Ă  la fois l’exilĂ© de Hartwell et le roi pacificateur de la France, la rumeur fut grande, les verres se levĂšrent Ă  la maniĂšre anglaise, les femmes dĂ©tachĂšrent leurs bouquets et en jonchĂšrent la nappe. Ce fut un enthousiasme presque poĂ©tique.

« Ils en conviendraient s’ils Ă©taient lĂ , dit la marquise de Saint-MĂ©ran, femme Ă  l’Ɠil sec, aux lĂšvres minces, Ă  la tournure aristocratique et encore Ă©lĂ©gante, malgrĂ© ses cinquante ans, tous ces rĂ©volutionnaires qui nous ont chassĂ©s et que nous laissons Ă  notre tour bien tranquillement conspirer dans nos vieux chĂąteaux qu’ils ont achetĂ©s pour un morceau de pain, sous la Terreur : ils en conviendraient, que le vĂ©ritable dĂ©vouement Ă©tait de notre cĂŽtĂ©, puisque nous nous attachions Ă  la monarchie croulante, tandis qu’eux, au contraire, saluaient le soleil levant et faisaient leur fortune, pendant que, nous, nous perdions la nĂŽtre ; ils en conviendraient que notre 118

roi, Ă  nous, Ă©tait bien vĂ©ritablement Louis le Bien-AimĂ©, tandis que leur usurpateur, Ă  eux, n’a jamais Ă©tĂ© que NapolĂ©on le Maudit ; n’est-ce pas, de Villefort ?

– Vous dites, madame la marquise ?...

Pardonnez-moi, je n’étais pas Ă  la conversation.

– Eh ! laissez ces enfants, marquise, reprit le vieillard qui avait portĂ© le toast ; ces enfants vont s’épouser, et tout naturellement ils ont Ă  parler d’autre chose que de politique.

– Je vous demande pardon, ma mĂšre, dit une jeune et belle personne aux blonds cheveux, Ă  l’Ɠil de velours nageant dans un fluide nacrĂ© ; je vous rends M. de Villefort, que j’avais accaparĂ© pour un instant. Monsieur de Villefort, ma mĂšre vous parle.

– Je me tiens prĂȘt Ă  rĂ©pondre Ă  madame si elle veut bien renouveler sa question que j’ai mal entendue, dit M. de Villefort.

– On vous pardonne, RenĂ©e, dit la marquise avec un sourire de tendresse qu’on Ă©tait Ă©tonnĂ© de voir fleurir sur cette sĂšche figure ; mais le cƓur 119

de la femme est ainsi fait, que si aride qu’il devienne au souffle des prĂ©jugĂ©s et aux exigences de l’étiquette, il y a toujours un coin fertile et riant : c’est celui que Dieu a consacrĂ© Ă  l’amour maternel. On vous pardonne... Maintenant je disais, Villefort, que les bonapartistes n’avaient ni notre conviction, ni notre enthousiasme, ni notre dĂ©vouement.

– Oh ! madame, ils ont du moins quelque chose qui remplace tout cela : c’est le fanatisme.

NapolĂ©on est le Mahomet de l’Occident ; c’est pour tous ces hommes vulgaires, mais aux ambitions suprĂȘmes, non seulement un lĂ©gislateur et un maĂźtre, mais encore c’est un type, le type de l’égalitĂ©.

– De l’égalitĂ© ! s’écria la marquise. NapolĂ©on, le type de l’égalitĂ© ! et que ferez-vous donc de M.

de Robespierre ? Il me semble que vous lui volez sa place pour la donner au Corse ; c’est cependant bien assez d’une usurpation, ce me semble.

– Non, madame, dit Villefort, je laisse chacun sur son piĂ©destal : Robespierre, place Louis XV, 120

sur son Ă©chafaud ; NapolĂ©on, place VendĂŽme, sur sa colonne ; seulement l’un a fait de l’égalitĂ© qui abaisse, et l’autre de l’égalitĂ© qui Ă©lĂšve ; l’un a ramenĂ© les rois au niveau de la guillotine, l’autre a Ă©levĂ© le peuple au niveau du trĂŽne. Cela ne veut pas dire, ajouta Villefort en riant, que tous deux ne soient pas d’infĂąmes rĂ©volutionnaires, et que le 9 thermidor et le 4 avril 1814 ne soient pas deux jours heureux pour la France, et dignes d’ĂȘtre Ă©galement fĂȘtĂ©s par les amis de l’ordre et de la monarchie ; mais cela explique aussi comment, tout tombĂ© qu’il est pour ne se relever jamais, je l’espĂšre, NapolĂ©on a conservĂ© ses sĂ©ides. Que voulez-vous, marquise ? Cromwell, qui n’était que la moitiĂ© de tout ce qu’a Ă©tĂ© NapolĂ©on, avait bien les siens !

– Savez-vous que ce que vous dites lĂ , Villefort, sent la rĂ©volution d’une lieue ? Mais je vous pardonne : on ne peut pas ĂȘtre fils de girondin et ne pas conserver un goĂ»t de terroir. »

Une vive rougeur passa sur le front de Villefort.

« Mon pÚre était girondin, madame, dit-il, 121

c’est vrai ; mais mon pĂšre n’a pas votĂ© la mort du roi ; mon pĂšre a Ă©tĂ© proscrit par cette mĂȘme Terreur qui vous proscrivait, et peu s’en est fallu qu’il ne portĂąt sa tĂȘte sur le mĂȘme Ă©chafaud qui avait vu tomber la tĂȘte de votre pĂšre.

– Oui, dit la marquise, sans que ce souvenir sanglant amenĂąt la moindre altĂ©ration sur ses traits ; seulement c’était pour des principes diamĂ©tralement opposĂ©s qu’ils y fussent montĂ©s tous deux, et la preuve c’est que toute ma famille est restĂ©e attachĂ©e aux princes exilĂ©s, tandis que votre pĂšre a eu hĂąte de se rallier au nouveau gouvernement, et qu’aprĂšs que le citoyen Noirtier a Ă©tĂ© girondin, le comte Noirtier est devenu sĂ©nateur.

– Ma mĂšre, ma mĂšre, dit RenĂ©e, vous savez qu’il Ă©tait convenu qu’on ne parlerait plus de ces mauvais souvenirs.

– Madame, rĂ©pondit Villefort, je me joindrai Ă  Mlle de Saint-MĂ©ran pour vous demander bien humblement l’oubli du passĂ©. À quoi bon rĂ©criminer sur des choses dans lesquelles la volontĂ© de Dieu mĂȘme est impuissante ? Dieu 122

peut changer l’avenir ; il ne peut pas mĂȘme modifier le passĂ©. Ce que nous pouvons, nous autres hommes, c’est sinon le renier, du moins jeter un voile dessus. Eh bien, moi, je me suis sĂ©parĂ© non seulement de l’opinion, mais encore du nom de mon pĂšre. Mon pĂšre a Ă©tĂ© ou est mĂȘme peut-ĂȘtre encore bonapartiste et s’appelle Noirtier ; moi, je suis royaliste et m’appelle de Villefort. Laissez mourir dans le vieux tronc un reste de sĂšve rĂ©volutionnaire, et ne voyez, madame, que le rejeton qui s’écarte de ce tronc, sans pouvoir, et je dirai presque sans vouloir s’en dĂ©tacher tout Ă  fait.

– Bravo, Villefort, dit le marquis, bravo, bien rĂ©pondu ! Moi aussi, j’ai toujours prĂȘchĂ© Ă  la marquise l’oubli du passĂ©, sans jamais avoir pu l’obtenir d’elle, vous serez plus heureux, je l’espĂšre.

– Oui, c’est bien, dit la marquise, oublions le passĂ©, je ne demande pas mieux, et c’est convenu ; mais qu’au moins Villefort soit inflexible pour l’avenir. N’oubliez pas, Villefort, que nous avons rĂ©pondu de vous Ă  Sa MajestĂ© : 123

que Sa MajestĂ©, elle aussi, a bien voulu oublier, Ă  notre recommandation (elle tendit la main), comme j’oublie Ă  votre priĂšre. Seulement s’il vous tombe quelque conspirateur entre les mains, songez qu’on a d’autant plus les yeux sur vous que l’on sait que vous ĂȘtes d’une famille qui peut-ĂȘtre est en rapport avec ces conspirateurs.

– HĂ©las ! madame, dit Villefort, ma profession et surtout le temps dans lequel nous vivons m’ordonnent d’ĂȘtre sĂ©vĂšre. Je le serai. J’ai dĂ©jĂ  eu quelques accusations politiques Ă  soutenir, et, sous ce rapport, j’ai fait mes preuves.

Malheureusement, nous ne sommes pas au bout.

– Vous croyez ? dit la marquise.

– J’en ai peur. NapolĂ©on Ă  l’üle d’Elbe est bien prĂšs de la France ; sa prĂ©sence presque en vue de nos cĂŽtes entretient l’espĂ©rance de ses partisans.

Marseille est pleine d’officiers Ă  demi-solde, qui, tous les jours, sous un prĂ©texte frivole, cherchent querelle aux royalistes ; de lĂ  des duels parmi les gens de classe Ă©levĂ©e, de lĂ  des assassinats dans le peuple.

– Oui, dit le comte de Salvieux, vieil ami de 124

M. de Saint-MĂ©ran et chambellan de M. le comte d’Artois, oui, mais vous savez que la Sainte-Alliance le dĂ©loge.

– Oui, il Ă©tait question de cela lors de notre dĂ©part de Paris, dit M. de Saint-MĂ©ran. Et oĂč l’envoie-t-on ?

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