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– Ce trĂ©sor vous appartient, mon ami, dit DantĂšs, il appartient Ă  vous seul, et je n’y ai aucun droit : je ne suis point votre parent.

– Vous ĂȘtes mon fils, DantĂšs ! s’écria le vieillard, vous ĂȘtes l’enfant de ma captivitĂ© ; mon Ă©tat me condamnait au cĂ©libat : Dieu vous a envoyĂ© Ă  moi pour consoler Ă  la fois l’homme qui ne pouvait ĂȘtre pĂšre et le prisonnier qui ne pouvait ĂȘtre libre. »

Et Faria tendit le bras qui lui restait au jeune homme qui se jeta Ă  son cou en pleurant.

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Le troisiĂšme accĂšs

Maintenant que ce trĂ©sor, qui avait Ă©tĂ© si longtemps l’objet des mĂ©ditations de l’abbĂ©, pouvait assurer le bonheur Ă  venir de celui que Faria aimait vĂ©ritablement comme son fils, il avait encore doublĂ© de valeur Ă  ses yeux ; tous les jours il s’appesantissait sur la quotitĂ© de ce trĂ©sor, expliquant Ă  DantĂšs tout ce qu’avec treize ou quatorze millions de fortune un homme dans nos temps modernes pouvait faire de bien Ă  ses amis ; et alors le visage de DantĂšs se rembrunissait, car le serment de vengeance qu’il avait fait se reprĂ©sentait Ă  sa pensĂ©e, et il songeait, lui, combien dans nos temps modernes aussi un homme avec treize ou quatorze millions de fortune pouvait faire de mal Ă  ses ennemis.

L’abbĂ© ne connaissait pas l’üle de Monte-454

Cristo mais DantĂšs la connaissait : il avait souvent passĂ© devant cette Ăźle, situĂ©e Ă  vingt-cinq milles de la Pianosa, entre la Corse et l’üle d’Elbe, et une fois mĂȘme il y avait relĂąchĂ©. Cette Ăźle Ă©tait, avait toujours Ă©tĂ© et est encore complĂštement dĂ©serte ; c’est un rocher de forme presque conique, qui semble avoir Ă©tĂ© poussĂ© par quelque cataclysme volcanique du fond de l’abĂźme Ă  la surface de la mer.

DantĂšs faisait le plan de l’üle Ă  Faria, et Faria donnait des conseils Ă  DantĂšs sur les moyens Ă  employer pour retrouver le trĂ©sor.

Mais DantĂšs Ă©tait loin d’ĂȘtre aussi enthousiaste et surtout aussi confiant que le vieillard. Certes, il Ă©tait bien certain maintenant que Faria n’était pas fou, et la façon dont il Ă©tait arrivĂ© Ă  la dĂ©couverte qui avait fait croire Ă  sa folie redoublait encore son admiration pour lui ; mais aussi il ne pouvait croire que ce dĂ©pĂŽt, en supposant qu’il eĂ»t existĂ©, existĂąt encore, et, quand il ne regardait pas le trĂ©sor comme chimĂ©rique, il le regardait du moins comme absent.

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Cependant, comme si le destin eĂ»t voulu ĂŽter aux prisonniers leur derniĂšre espĂ©rance et leur faire comprendre qu’ils Ă©taient condamnĂ©s Ă  une prison perpĂ©tuelle, un nouveau malheur les atteignit : la galerie du bord de la mer, qui depuis longtemps menaçait ruine, avait Ă©tĂ© reconstruite ; on avait rĂ©parĂ© les assises et bouchĂ© avec d’énormes quartiers de roc le trou dĂ©jĂ  Ă  demi comblĂ© par DantĂšs. Sans cette prĂ©caution, qui avait Ă©tĂ© suggĂ©rĂ©e, on se le rappelle, au jeune homme par l’abbĂ©, leur malheur Ă©tait bien plus grand encore, car on dĂ©couvrait leur tentative d’évasion, et on les sĂ©parait indubitablement : une nouvelle porte, plus forte, plus inexorable que les autres, s’était donc encore refermĂ©e sur eux.

« Vous voyez bien, disait le jeune homme avec une douce tristesse Ă  Faria, que Dieu veut m’îter jusqu’au mĂ©rite de ce que vous appelez mon dĂ©vouement pour vous. Je vous ai promis de rester Ă©ternellement avec vous, et je ne suis plus libre maintenant de ne pas tenir ma promesse ; je n’aurai pas plus le trĂ©sor que vous, et nous ne sortirons d’ici ni l’un ni l’autre. Au reste, mon 456

vĂ©ritable trĂ©sor, voyez-vous, mon ami, n’est pas celui qui m’attendait sous les sombres roches de Monte-Cristo, c’est votre prĂ©sence, c’est notre cohabitation de cinq ou six heures par jour, malgrĂ© nos geĂŽliers ; ce sont ces rayons d’intelligence que vous avez versĂ©s dans mon cerveau, ces langues que vous avez implantĂ©es dans ma mĂ©moire et qui y poussent avec toutes leurs ramifications philologiques. Ces sciences diverses que vous m’avez rendues si faciles par la profondeur de la connaissance que vous en avez et la nettetĂ© des principes oĂč vous les avez rĂ©duites, voilĂ  mon trĂ©sor, ami, voilĂ  en quoi vous m’avez fait riche et heureux. Croyez-moi et consolez-vous, cela vaut mieux pour moi que des tonnes d’or et des caisses de diamants, ne fussent-elles pas problĂ©matiques, comme ces nuages que l’on voit le matin flotter sur la mer, que l’on prend pour des terres fermes, et qui s’évaporent, se volatilisent et s’évanouissent Ă  mesure qu’on s’en approche. Vous avoir prĂšs de moi le plus longtemps possible, Ă©couter votre voix Ă©loquente orner mon esprit, retremper mon Ăąme, faire toute mon organisation capable de 457

grandes et terribles choses si jamais je suis libre, les emplir si bien que le dĂ©sespoir auquel j’étais prĂȘt Ă  me laisser aller quand je vous ai connu n’y trouve plus de place, voilĂ  ma fortune, Ă  moi : celle-lĂ  n’est point chimĂ©rique ; je vous la dois bien vĂ©ritable, et tous les souverains de la terre, fussent-ils des CĂ©sar Borgia, ne viendraient pas Ă  bout de me l’enlever. »

Ainsi, ce furent pour les deux infortunĂ©s, sinon d’heureux jours, du moins des jours assez promptement Ă©coulĂ©s que les jours qui suivirent.

Faria, qui pendant de si longues annĂ©es avait gardĂ© le silence sur le trĂ©sor, en reparlait maintenant Ă  toute occasion. Comme il l’avait prĂ©vu, il Ă©tait restĂ© paralysĂ© du bras droit et de la jambe gauche, et avait Ă  peu prĂšs perdu tout espoir d’en jouir lui-mĂȘme ; mais il rĂȘvait toujours pour son jeune compagnon une dĂ©livrance ou une Ă©vasion, et il en jouissait pour lui. De peur que la lettre ne fĂ»t un jour Ă©garĂ©e ou perdue, il avait forcĂ© DantĂšs de l’apprendre par cƓur, et DantĂšs la savait depuis le premier jusqu’au dernier mot. Alors il avait dĂ©truit la seconde partie, certain qu’on pouvait retrouver et 458

saisir la premiĂšre sans en deviner le vĂ©ritable sens. Quelquefois, des heures entiĂšres se passĂšrent pour Faria Ă  donner des instructions Ă  DantĂšs, instructions qui devaient lui servir au jour de sa libertĂ©. Alors, une fois libre, du jour, de l’heure, du moment oĂč il serait libre, il ne devait plus avoir qu’une seule et unique pensĂ©e, gagner Monte-Cristo par un moyen quelconque, y rester seul sous un prĂ©texte qui ne donnĂąt point de soupçons, et, une fois lĂ , une fois seul, tĂącher de retrouver les grottes merveilleuses et fouiller l’endroit indiquĂ©. L’endroit indiquĂ©, on se le rappelle, c’est l’angle le plus Ă©loignĂ© de la seconde ouverture.

En attendant, les heures passaient, sinon rapides, du moins supportables. Faria, comme nous l’avons dit, sans avoir retrouvĂ© l’usage de sa main et de son pied, avait reconquis toute la nettetĂ© de son intelligence, et avait peu Ă  peu, outre les connaissances morales que nous avons dĂ©taillĂ©es, appris Ă  son jeune compagnon ce mĂ©tier patient et sublime du prisonnier, qui de rien sait faire quelque chose. Ils s’occupaient donc Ă©ternellement, Faria de peur de se voir 459

vieillir, DantĂšs de peur de se rappeler son passĂ© presque Ă©teint, et qui ne flottait plus au plus profond de sa mĂ©moire que comme une lumiĂšre lointaine Ă©garĂ©e dans la nuit ; tout allait ainsi, comme dans ces existences oĂč le malheur n’a rien dĂ©rangĂ© et qui s’écoulent machinales et calmes sous l’Ɠil de la Providence.

Mais, sous ce calme superficiel, il y avait dans le cƓur du jeune homme, et dans celui du vieillard peut-ĂȘtre, bien des Ă©lans retenus, bien des soupirs Ă©touffĂ©s, qui se faisaient jour lorsque Faria Ă©tait restĂ© seul et qu’Edmond Ă©tait rentrĂ© chez lui.

Une nuit, Edmond se rĂ©veilla en sursaut, croyant s’ĂȘtre entendu appeler.

Il ouvrit les yeux et essaya de percer les Ă©paisseurs de l’obscuritĂ©.

Son nom, ou plutît une voix plaintive qui essayait d’articuler son nom, arriva jusqu’à lui.

Il se leva sur son lit, la sueur de l’angoisse au front, et Ă©couta. Plus de doute, la plainte venait du cachot de son compagnon.

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« Grand Dieu ! murmura DantÚs ; serait-ce... ? »

Et il dĂ©plaça son lit, tira la pierre, s’élança dans le corridor et parvint Ă  l’extrĂ©mitĂ© opposĂ©e ; la dalle Ă©tait levĂ©e.

À la lueur de cette lampe informe et vacillante dont nous avons parlĂ©, Edmond vit le vieillard pĂąle, debout encore et se cramponnant au bois de son lit. Ses traits Ă©taient bouleversĂ©s par ces horribles symptĂŽmes qu’il connaissait dĂ©jĂ  et qui l’avaient tant Ă©pouvantĂ© lorsqu’ils Ă©taient apparus pour la premiĂšre fois.

« Eh bien, mon ami, dit Faria rĂ©signĂ©, vous comprenez, n’est-ce pas ? et je n’ai besoin de vous rien apprendre ! »

Edmond poussa un cri douloureux, et perdant complĂštement la tĂȘte, il s’élança vers la porte en criant :

« Au secours ! au secours ! »

Faria eut encore la force de l’arrĂȘter par le bras.

« Silence ! dit-il, ou vous ĂȘtes perdu. Ne 461

songeons plus qu’à vous mon ami, Ă  vous rendre votre captivitĂ© supportable ou votre fuite possible. Il vous faudrait des annĂ©es pour refaire seul tout ce que j’ai fait ici, et qui serait dĂ©truit Ă  l’instant mĂȘme par la connaissance que nos surveillants auraient de notre intelligence.

D’ailleurs, soyez tranquille, mon ami, le cachot que je vais quitter ne restera pas longtemps vide : un autre malheureux viendra prendre ma place. À

cet autre, vous apparaĂźtrez comme un ange sauveur. Celui-lĂ  sera peut-ĂȘtre jeune, fort et patient comme vous, celui-lĂ  pourra vous aider dans votre fuite, tandis que je l’empĂȘchais. Vous n’aurez plus une moitiĂ© de cadavre liĂ©e Ă  vous pour vous paralyser tous vos mouvements.

DĂ©cidĂ©ment, Dieu fait enfin quelque chose pour vous : il vous rend plus qu’il ne vous ĂŽte, et il est bien temps que je meure. »

Edmond ne put que joindre les mains et s’écrier :

Are sens

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