ensemble le long du canal... Hein ? c’est du propre, une femme mariée !
– Dame ! dit la Maheude, Pierron avant de l’épouser donnait des lapins au porion, maintenant ça lui coûte moins cher de prêter sa femme.
Bouteloup éclata d’un rire énorme et jeta une mie de pain saucée dans la bouche d’Achille. Les deux femmes achevaient de se soulager sur le compte de la Pierronne, une coquette pas plus belle qu’une autre, mais toujours occupée à se visiter les trous de la peau, à se laver, à se mettre de la pommade. Enfin, ça regardait le mari, s’il aimait ce pain-là. Il y avait des hommes si ambitieux qu’ils auraient torché les chefs, pour les entendre seulement dire merci. Et elles ne furent interrompues que par l’arrivée d’une voisine qui rapportait une mioche de neuf mois, Désirée, la dernière de Philomène : celle-ci, déjeunant au criblage, s’entendait pour qu’on lui amenât là-bas sa petite, et elle la faisait téter, assise un instant dans le charbon.
– La mienne, je ne peux pas la quitter une 199
minute, elle gueule tout de suite, dit la Maheude en regardant Estelle, qui s’était endormie sur ses bras.
Mais elle ne réussit point à éviter la mise en demeure qu’elle lisait depuis un moment dans les yeux de la Levaque,
– Dis donc, il faudrait pourtant songer à en finir.
D’abord, les deux mères, sans avoir besoin d’en causer, étaient tombées d’accord pour ne pas conclure le mariage. Si la mère de Zacharie voulait toucher le plus longtemps possible les quinzaines de son fils, la mère de Philomène s’emportait à l’idée d’abandonner celles de sa fille. Rien ne pressait, la seconde avait même préféré garder le petit, tant qu’il y avait eu un seul enfant ; mais, depuis que celui-ci, grandissant, mangeait du pain, et qu’un autre était venu, elle se trouvait en perte, elle poussait furieusement au mariage, en femme qui n’entend pas y mettre du sien.
– Zacharie a tiré au sort, continua-t-elle, plus rien n’arrête... Voyons, à quand ?
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– Remettons ça aux beaux jours, répondit la Maheude gênée. C’est ennuyeux, ces affaires !
Comme s’ils n’auraient pas pu attendre d’être mariés, pour aller ensemble !... Parole d’honneur, tiens ! j’étranglerais Catherine, si j’apprenais qu’elle ait fait la bêtise.
La Levaque haussa les épaules.
– Laisse donc, elle y passera comme les autres !
Bouteloup, avec la tranquillité d’un homme qui est chez lui, fouilla le buffet, cherchant le pain. Des légumes pour la soupe de Levaque, des pommes de terre et des poireaux, traînaient sur un coin de la table, à moitié pelurés, repris et abandonnés dix fois, au milieu des continuels commérages. La femme venait cependant de s’y remettre, lorsqu’elle les lâcha de nouveau, pour se planter devant la fenêtre.
– Qu’est-ce que c’est que ça ?... Tiens ! c’est madame Hennebeau avec des gens. Les voilà qui entrent chez la Pierronne.
Du coup, toutes deux retombèrent sur la 201
Pierronne. Oh ! ça ne manquait jamais, dès que la Compagnie faisait visiter le coron à des gens, on les conduisait droit chez celle-là, parce que c’était propre. Sans doute qu’on ne leur racontait pas les histoires avec le maître-porion. On peut bien être propre, quand on a des amoureux qui gagnent trois mille francs, logés, chauffés, sans compter les cadeaux. Si c’était propre dessus, ce n’était guère propre dessous. Et, tout le temps que les visiteurs restèrent en face, elles en dégoisèrent.
– Les voilà qui sortent, dit enfin la Levaque.
Ils font le tour... Regarde donc, ma chère, je crois qu’ils vont chez toi.
La Maheude fut prise de peur. Qui sait si Alzire avait donné un coup d’éponge à la table ?
Et sa soupe, à elle aussi, qui n’était pas prête !
Elle balbutia un « au revoir », elle se sauva, filant, rentrant, sans un coup d’œil de côté.
Mais tout reluisait. Alzire, très sérieuse, un torchon devant elle, s’était mise à faire la soupe, en voyant que sa mère ne revenait pas. Elle avait arraché les derniers poireaux du jardin, cueilli de l’oseille, et elle nettoyait précisément les 202
légumes, pendant que, sur le feu, dans un grand chaudron, chauffait l’eau pour le bain des hommes, quand ils allaient rentrer. Henry et Lénore étaient sages par hasard, très occupés à déchirer un vieil almanach. Le père Bonnemort fumait silencieusement sa pipe.
Comme la Maheude soufflait, madame Hennebeau frappa.
– Vous permettez, n’est-ce pas ? ma brave femme.
Grande, blonde, un peu alourdie dans la maturité superbe de la quarantaine, elle souriait avec un effort d’affabilité, sans laisser trop paraître la crainte de tacher sa toilette de soie bronze, drapée d’une mante de velours noir.
– Entrez, entrez, répétait-elle à ses invités.
Nous ne gênons personne... Hein ? est-ce propre encore ? et cette brave femme a sept enfants !
Tous nos ménages sont comme ça... Je vous expliquais que la Compagnie leur loue la maison six francs par mois. Une grande salle au rez-de-chaussée, deux chambres en haut, une cave et un jardin.
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Le monsieur décoré et la dame en manteau de fourrure, débarqués le matin du train de Paris, ouvraient des yeux vagues, avaient sur la face l’ahurissement de ces choses brusques, qui les dépaysaient.
– Et un jardin, répéta la dame. Mais on y vivrait, c’est charmant !
– Nous leur donnons du charbon plus qu’ils n’en brûlent, continuait madame Hennebeau. Un médecin les visite deux fois par semaine ; et, quand ils sont vieux, ils reçoivent des pensions, bien qu’on ne fasse aucune retenue sur les salaires.
– Une Thébaïde ! un vrai pays de Cocagne !
murmura le monsieur, ravi.
La Maheude s’était précipitée pour offrir des chaises. Ces dames refusèrent. Déjà madame Hennebeau se lassait, heureuse un instant de se distraire à ce rôle de montreur de bêtes, dans l’ennui de son exil, mais tout de suite répugnée par l’odeur fade de misère, malgré la propreté choisie des maisons où elle se risquait. Du reste, elle ne répétait que des bouts de phrase entendus, 204
sans jamais s’inquiéter davantage de ce peuple d’ouvriers besognant et souffrant près d’elle.
– Les beaux enfants ! murmura la dame, qui les trouvait affreux, avec leurs têtes trop grosses, embroussaillées de cheveux couleur de paille.