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Peu à peu, cependant, le coron se vidait, tous les hommes s’en allaient les uns derrière les autres ; tandis que les filles, guettant sur les portes, partaient du côté opposé, au bras de leurs galants. Comme son père tournait le coin de l’église, Catherine, qui aperçut Chaval, se hâta de le rejoindre, pour prendre avec lui la route de Montsou. Et la mère demeurée seule, au milieu des enfants débandés, ne trouvait pas la force de quitter sa chaise, se versait un second verre de café brûlant, qu’elle buvait à petits coups. Dans le coron, il n’y avait plus que les femmes, s’invitant, achevant d’égoutter les cafetières, autour des tables encore chaudes et grasses du dîner.

Maheu flairait que Levaque était à l’Avantage, et il descendit chez Rasseneur, sans hâte. En effet, derrière le débit, dans le jardin étroit fermé d’une haie, Levaque faisait une partie de quilles avec des camarades. Debout, ne jouant pas, le père Bonnemort et le vieux Mouque suivaient la boule, tellement absorbés, qu’ils oubliaient même 288

de se pousser du coude. Un soleil ardent tapait d’aplomb, il n’y avait qu’une raie d’ombre, le long du cabaret ; et Étienne était là, buvant sa chope devant une table, ennuyé de ce que Souvarine venait de le lâcher pour monter dans sa chambre. Presque tous les dimanches, le machineur s’enfermait, écrivait ou lisait.

– Joues-tu ? demanda Levaque à Maheu.

Mais celui-ci refusa. Il avait trop chaud, il crevait déjà de soif.

– Rasseneur ! appela Étienne. Apporte donc une chope.

Et, se retournant vers Maheu :

– Tu sais, c’est moi qui paie.

Maintenant, tous se tutoyaient. Rasseneur ne se pressait guère, il fallut l’appeler à trois reprises ; et ce fut madame Rasseneur qui apporta de la bière tiède. Le jeune homme avait baissé la voix pour se plaindre de la maison : des braves gens sans doute, des gens dont les idées étaient bonnes ; seulement, la bière ne valait rien, et des soupes exécrables ! Dix fois déjà, il aurait changé 289

de pension, s’il n’avait pas reculé devant la course de Montsou. Un jour ou l’autre, il finirait par chercher au coron une famille.

– Bien sûr, répétait Maheu de sa voix lente, bien sûr, tu serais mieux dans une famille.

Mais des cris éclatèrent, Levaque avait abattu toutes les quilles d’un coup. Mouque et Bonnemort, le nez vers la terre, gardaient au milieu du tumulte un silence de profonde approbation. Et la joie d’un tel coup déborda en plaisanteries, surtout lorsque les joueurs aperçurent, par-dessus la haie, la face joyeuse de la Mouquette. Elle rôdait là depuis une heure, elle s’était enhardie à s’approcher, en entendant les rires.

– Comment ! tu es seule ? cria Levaque. Et tes amoureux ?

– Mes amoureux, je les ai remisés, répondit-elle avec une belle gaieté impudente. J’en cherche un.

Tous s’offrirent, la chauffèrent de gros mots.

Elle refusait de la tête, riait plus fort, faisait la 290

gentille. Son père, du reste, assistait à ce jeu, sans même quitter des yeux les quilles abattues.

– Va ! continua Levaque en jetant un regard vers Étienne, on se doute bien de celui que tu reluques, ma fille !... Faudra le prendre de force.

Étienne, alors, s’égaya. C’était en effet autour de lui que tournait la herscheuse. Et il disait non, amusé pourtant, mais sans avoir la moindre envie d’elle. Quelques minutes encore, elle resta plantée derrière la haie, le regardant de ses grands yeux fixes ; puis, elle s’en alla avec lenteur, le visage brusquement sérieux, comme accablée par le lourd soleil.

À demi-voix, Étienne avait repris de longues explications qu’il donnait à Maheu, sur la nécessité, pour les charbonniers de Montsou, de fonder une caisse de prévoyance.

– Puisque la Compagnie prétend qu’elle nous laisse libres, répétait-il, que craignons-nous ?

Nous n’avons que ses pensions, et elle les distribue à son gré, du moment où elle ne nous fait aucune retenue. Eh bien ! il serait prudent de créer, à côté de son bon plaisir, une association 291

mutuelle de secours, sur laquelle nous pourrions compter au moins, dans les cas de besoins immédiats.

Et il précisait des détails, discutait l’organisation, promettait de prendre toute la peine.

– Moi, je veux bien, dit enfin Maheu convaincu. Seulement, ce sont les autres... Tâche de décider les autres.

Levaque avait gagné, on lâcha les quilles pour vider les chopes. Mais Maheu refusa d’en boire une seconde : on verrait plus tard, la journée n’était pas finie. Il venait de songer à Pierron. Où pouvait-il être, Pierron ? sans doute à l’estaminet Lenfant. Et il décida Étienne et Levaque, tous trois partirent pour Montsou, au moment où une nouvelle bande envahissait le jeu de quilles de l’Avantage.

En chemin, sur le pavé, il fallut entrer au débit Casimir, puis à l’estaminet du Progrès. Des camarades les appelaient par les portes ouvertes : pas moyen de dire non. Chaque fois, c’était une chope, deux s’ils faisaient la politesse de rendre.

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Ils restaient là dix minutes, ils échangeaient quatre paroles, et ils recommençaient plus loin, très raisonnables, connaissant la bière, dont ils pouvaient s’emplir, sans autre ennui que de la pisser trop vite, au fur et à mesure, claire, comme de l’eau de roche. À l’estaminet Lenfant, ils tombèrent droit sur Pierron qui achevait sa deuxième chope, et qui, pour ne pas refuser de trinquer, en avala une troisième. Eux, burent naturellement la leur. Maintenant, ils étaient quatre, ils sortirent avec le projet de voir si Zacharie ne serait pas à l’estaminet Tison. La salle était vide, ils demandèrent une chope pour l’attendre un moment. Ensuite, ils songèrent à l’estaminet Saint-Éloi, y acceptèrent une tournée du porion Richomme, vaguèrent dès lors de débit en débit, sans prétexte, histoire uniquement de se promener.

– Faut aller au Volcan ! dit tout d’un coup Levaque, qui s’allumait.

Les autres se mirent à rire, hésitants, puis accompagnèrent le camarade, au milieu de la cohue croissante de la ducasse. Dans la salle 293

étroite et longue du Volcan, sur une estrade de planches dressée au fond, cinq chanteuses, le rebut des filles publiques de Lille, défilaient, avec des gestes et un décolletage de monstres ; et les consommateurs donnaient dix sous, lorsqu’ils en voulaient une, derrière les planches de l’estrade.

Il y avait surtout des herscheurs, des moulineurs, jusqu’à des galibots de quatorze ans, toute la jeunesse des fosses, buvant plus de genièvre que de bière. Quelques vieux mineurs se risquaient aussi, les maris paillards des corons, ceux dont les ménages tombaient à l’ordure.

Dès que leur société fut assise autour d’une petite table, Étienne s’empara de Levaque, pour lui expliquer son idée d’une caisse de prévoyance. Il avait la propagande obstinée des nouveaux convertis, qui se créent une mission.

– Chaque membre, répétait-il, pourrait bien verser vingt sous par mois. Avec ces vingt sous accumulés, on aurait, en quatre ou cinq ans, un magot ; et, quand on a de l’argent, on est fort, n’est-ce pas ? dans n’importe quelle occasion...

Hein ! qu’en dis-tu ?

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– Moi, je ne dis pas non, répondait Levaque d’un air distrait. On en causera.

Une blonde énorme l’excitait ; et il s’entêta à rester, lorsque Maheu et Pierron, après avoir bu leur chope, voulurent partir, sans attendre une seconde romance.

Dehors, Étienne, sorti avec eux, retrouva la Mouquette, qui semblait les suivre. Elle était toujours là, à le regarder de ses grands yeux fixes, riant de son rire de bonne fille, comme pour dire :

« Veux-tu ? » Le jeune homme plaisanta, haussa les épaules. Alors, elle eut un geste de colère et se perdit dans la foule.

– Où est donc Chaval ? demanda Pierron.

– C’est vrai, dit Maheu. Il est pour sûr chez Piquette... Allons chez Piquette.

Mais, comme ils arrivaient tous trois à l’estaminet Piquette, un bruit de bataille, sur la porte, les arrêta. Zacharie menaçait du poing un cloutier wallon, trapu et flegmatique ; tandis que Chaval, les mains dans les poches, regardait.

– Tiens ! le voilà, Chaval, reprit 295

tranquillement Maheu. Il est avec Catherine.

Depuis cinq grandes heures, la herscheuse et son galant se promenaient à travers la ducasse.

C’était, le long de la route de Montsou, de cette large rue aux maisons basses et peinturlurées, dévalant en lacet, un flot de peuple qui roulait sous le soleil, pareil à une traînée de fourmis, perdues dans la nudité rase de la plaine.

L’éternelle boue noire avait séché, une poussière noire montait, volait ainsi qu’une nuée d’orage.

Aux deux bords, les cabarets crevaient de monde, rallongeaient leurs tables jusqu’au pavé, où stationnait un double rang de camelots, des bazars en plein vent, des fichus et des miroirs pour les filles, des couteaux et des casquettes pour les garçons ; sans compter les douceurs, des dragées et des biscuits. Devant l’église, on tirait de l’arc. Il y avait des jeux de boules, en face des Chantiers. Au coin de la route de Joiselle, à côté de la Régie, dans un enclos de planches, on se ruait à un combat de coqs, deux grands coqs rouges, armés d’éperons de fer, dont la gorge ouverte saignait. Plus loin, chez Maigrat, on gagnait des tabliers et des culottes, au billard. Et 296

Are sens