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Et la Maheude dut dire leur âge, on lui adressa aussi des questions sur Estelle, par politesse.

Respectueusement, le père Bonnemort avait retiré sa pipe de la bouche ; mais il n’en restait pas moins un sujet d’inquiétude, si ravagé par ses quarante années de fond, les jambes raides, la carcasse démolie, la face terreuse ; et, comme un violent accès de toux le prenait, il préféra sortir pour cracher dehors, dans l’idée que son crachat noir allait gêner le monde.

Alzire eut tout le succès. Quelle jolie petite ménagère, avec son torchon ! On complimenta la mère d’avoir une petite fille déjà si entendue pour son âge. Et personne ne parlait de la bosse, des regards d’une compassion pleine de malaise revenaient toujours vers le pauvre être infirme.

– Maintenant, conclut madame Hennebeau, si l’on vous interroge sur nos corons, à Paris, vous 205

pourrez répondre... Jamais plus de bruit que ça, mœurs patriarcales, tous heureux et bien portants comme vous voyez, un endroit où vous devriez venir vous refaire un peu, à cause du bon air et de la tranquillité.

– C’est merveilleux, merveilleux ! cria le monsieur, dans un élan final d’enthousiasme.

Ils sortirent de l’air enchanté dont on sort d’une baraque de phénomènes, et la Maheude, qui les accompagnait, demeura sur le seuil, pendant qu’ils repartaient doucement, en causant très haut. Les rues s’étaient peuplées, ils devaient traverser des groupes de femmes, attirées par le bruit de leur visite, qu’elles colportaient de maison en maison.

Justement, devant sa porte, la Levaque avait arrêté la Pierronne, accourue en curieuse. Toutes deux affectaient une surprise mauvaise. Eh bien !

quoi donc, ces gens voulaient y coucher, chez les Maheu ? Ce n’était pourtant pas si drôle.

– Toujours sans le sou, avec ce qu’ils gagnent ! Dame ! quand on a des vices !

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– Je viens d’apprendre qu’elle est allée ce matin mendier chez les bourgeois de la Piolaine, et Maigrat, qui leur avait refusé du pain, lui en a donné... On sait comment il se paie, Maigrat.

– Sur elle, oh ! non ! faudrait du courage...

C’est sur Catherine qu’il en prend.

– Ah ! écoute donc, est-ce qu’elle n’a pas eu le toupet tout à l’heure de me dire qu’elle étranglerait Catherine, si elle y passait !...

Comme si le grand Chaval, il y a beau temps, ne l’avait pas mise à cul sur le carin !

– Chut !... Voici le monde.

Alors, la Levaque et la Pierronne, l’air paisible, sans curiosité impolie, s’étaient contentées de guetter sortir les visiteurs, du coin de l’œil. Puis, elles avaient appelé vivement d’un signe la Maheude, qui promenait encore Estelle sur ses bras. Et toutes trois, immobiles, regardaient s’éloigner les dos bien vêtus de madame Hennebeau et de ses invités. Lorsque ceux-ci furent à une trentaine de pas, les commérages reprirent, avec un redoublement de violence.

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– Elles en ont pour de l’argent sur la peau, ça vaut plus cher qu’elles, peut-être !

– Ah ! sûr !... Je ne connais pas l’autre, mais celle d’ici, je n’en donnerais pas quatre sous, si grosse qu’elle soit. On raconte des histoires...

– Hein ? quelles histoires ?

– Elle aurait des hommes donc !... D’abord, l’ingénieur...

– Ce petiot maigre !... Oh ! il est trop menu, elle le perdrait dans les draps.

– Qu’est-ce que ça fiche, si ça l’amuse ?...

Moi, je n’ai pas confiance, quand je vois une dame qui prend des mines dégoûtées et qui n’a jamais l’air de se plaire où elle est... Regarde donc comme elle tourne son derrière, avec l’air de nous mépriser toutes. Est-ce que c’est propre ?

Les promeneurs s’en allaient du même pas ralenti, causant toujours, lorsqu’une calèche vint s’arrêter sur la route, devant l’église. Un monsieur d’environ quarante-huit ans en descendit, serré dans une redingote noire, très brun de peau, le visage autoritaire et correct.

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– Le mari ! murmura la Levaque, baissant la voix comme s’il avait pu l’entendre, saisie de la crainte hiérarchique que le directeur inspirait à ses dix mille ouvriers. C’est pourtant vrai qu’il a une tête de cocu, cet homme !

Maintenant, le coron entier était dehors. La curiosité des femmes montait, les groupes se rapprochaient, se fondaient en une foule ; tandis que des bandes de marmaille mal mouchée traînaient sur les trottoirs, bouche béante. On vit un instant la tête pâle de l’instituteur qui se haussait, lui aussi, derrière la haie de l’école. Au milieu des jardins, l’homme en train de bêcher restait le pied sur sa bêche, les yeux arrondis. Et le murmure des commérages s’enflait peu à peu avec un bruit de crécelles, pareil à un coup de vent dans des feuilles sèches.

C’était surtout devant la porte de la Levaque que le rassemblement avait grossi. Deux femmes s’étaient avancées, puis dix, puis vingt.

Prudemment, la Pierronne se taisait, à présent qu’il y avait trop d’oreilles. La Maheude, une des plus raisonnables, se contentait aussi de regarder ; 209

et, pour calmer Estelle réveillée et hurlant, elle avait tranquillement sorti au grand jour sa mamelle de bonne bête nourricière, qui pendait, roulante, comme allongée par la source continue de son lait. Quand monsieur Hennebeau eut fait asseoir les dames au fond de la voiture, qui fila du côté de Marchiennes, il y eut une explosion dernière de voix bavardes, toutes les femmes gesticulaient, se parlaient dans le visage, au milieu d’un tumulte de fourmilière en révolution.

Mais trois heures sonnèrent. Les ouvriers de la coupe à terre étaient partis, Bouteloup et les autres. Brusquement, au détour de l’église, parurent les premiers charbonniers qui revenaient de la fosse, le visage noir, les vêtements trempés, croisant les bras et gonflant le dos. Alors, il se produisit une débandade parmi les femmes, toutes couraient, toutes rentraient chez elles, dans un effarement de ménagères que trop de café et trop de cancans avaient mises en faute. Et l’on n’entendait plus que ce cri inquiet, gros de querelles :

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– Ah ! mon Dieu ! et ma soupe ! et ma soupe qui n’est pas prête !

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IV

Lorsque Maheu rentra, après avoir laissé Étienne chez Rasseneur, il trouva Catherine, Zacharie et Jeanlin attablés, qui achevaient leur soupe. Au retour de la fosse, on avait si faim, qu’on mangeait dans ses vêtements humides, avant même de se débarbouiller ; et personne ne s’attendait, la table restait mise du matin au soir, toujours il y en avait un là, avalant sa portion, au hasard des exigences du travail.

Dès la porte, Maheu aperçut les provisions. Il ne dit rien, mais son visage inquiet s’éclaira.

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