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Toutefois, avant de rentrer au chantier de construction, Cyrus Smith eut l’idée de fabriquer certains engins qui excitèrent vivement la curiosité de ses compagnons. Il prit une douzaine de fanons de baleine qu’il coupa en six parties égales et qu’il aiguisa à leur extrémité.

« Et cela, Monsieur Cyrus, demanda Harbert, quand l’opération fut terminée, cela servira ?…

– À tuer des loups, des renards, et même des jaguars, répondit l’ingénieur.

– Maintenant ?

– Non, cet hiver, quand nous aurons de la glace à notre disposition.

– Je ne comprends pas… répondit Harbert.

– Tu vas comprendre, mon enfant, répondit l’ingénieur. Cet engin n’est pas de mon invention, et il est fréquemment employé par les chasseurs aléoutiens dans l’Amérique russe. Ces fanons que vous voyez, mes amis, eh bien ! Lorsqu’il gèlera, je les recourberai, je les arroserai d’eau jusqu’à ce qu’ils soient entièrement enduits d’une couche de glace qui maintiendra leur courbure, et je les sèmerai sur la neige, après les avoir préalablement dissimulés sous une couche de graisse. Or, qu’arrivera-t-il si un animal affamé avale un de ces appâts ? C’est que la chaleur de son estomac fera fondre la glace, et que le fanon, se détendant, le percera de ses bouts aiguisés.

– Voilà qui est ingénieux ! dit Pencroff.

– Et qui épargnera la poudre et les balles, répondit Cyrus Smith.

– Cela vaut mieux que les trappes ! ajouta Nab.

– Attendons donc l’hiver !

– Attendons l’hiver. »

Cependant la construction du bateau avançait, et, vers la fin du mois, il était à demi bordé. On pouvait déjà reconnaître que ses formes seraient excellentes pour qu’il tînt bien la mer.

Pencroff travaillait avec une ardeur sans pareille, et il fallait sa robuste nature pour résister à ces fatigues ; mais ses compagnons lui préparaient en secret une récompense pour tant de peines, et, le 31 mai, il devait éprouver une des plus grandes joies de sa vie.

Ce jour-là, à la fin du dîner, au moment où il allait quitter la table, Pencroff sentit une main s’appuyer sur son épaule.

C’était la main de Gédéon Spilett, lequel lui dit :

« Un instant, maître Pencroff, on ne s’en va pas ainsi ! Et le dessert que vous oubliez ?

– Merci, Monsieur Spilett, répondit le marin, je retourne au travail.

– Eh bien, une tasse de café, mon ami ?

– Pas davantage.

– Une pipe, alors ? »

Pencroff s’était levé soudain, et sa bonne grosse figure pâlit, quand il vit le reporter qui lui présentait une pipe toute bourrée, et Harbert, une braise ardente.

Le marin voulut articuler une parole sans pouvoir y parvenir ; mais, saisissant la pipe, il la porta à ses lèvres ; puis, y appliquant la braise, il aspira coup sur coup cinq ou six gorgées. Un nuage bleuâtre et parfumé se développa, et, des profondeurs de ce nuage, on entendit une voix délirante qui répétait :

« Du tabac ! Du vrai tabac !

– Oui, Pencroff, répondit Cyrus Smith, et même de l’excellent tabac !

– Oh ! Divine providence ! Auteur sacré de toutes choses ! s’écria le marin. Il ne manque donc plus rien à notre île ! »

Et Pencroff fumait, fumait, fumait !

« Et qui a fait cette découverte ? demanda-t-il enfin. Vous, sans doute, Harbert ?

– Non, Pencroff, c’est Monsieur Spilett.

– Monsieur Spilett ! s’écria le marin en serrant sur sa poitrine le reporter, qui n’avait jamais subi pareille étreinte.

– Ouf ! Pencroff, répondit Gédéon Spilett, en reprenant sa respiration, un instant compromise. Faites une part dans votre reconnaissance à Harbert qui a reconnu cette plante, à Cyrus qui l’a préparée, et à Nab qui a eu bien de la peine à nous garder le secret !

– Eh bien, mes amis, je vous revaudrai cela quelque jour ! répondit le marin. Maintenant, c’est à la vie, à la mort ! »


CHAPITRE XI

Cependant l’hiver arrivait avec ce mois de juin, qui est le décembre des zones boréales, et la grande occupation fut la confection de vêtements chauds et solides.

Les mouflons du corral avaient été dépouillés de leur laine, et cette précieuse matière textile, il ne s’agissait donc plus que de la transformer en étoffe.

Il va sans dire que Cyrus Smith n’ayant à sa disposition ni cardeuses, ni peigneuses, ni lisseuses, ni étireuses, ni retordeuses, ni « mule-jenny », ni « self-acting » pour filer la laine, ni métier pour la tisser, dut procéder d’une façon plus simple, de manière à économiser le filage et le tissage. Et, en effet, il se proposait tout bonnement d’utiliser la propriété qu’ont les filaments de laine, quand on les presse en tous sens, de s’enchevêtrer et de constituer, par leur simple entrecroisement, cette étoffe qu’on appelle feutre. Ce feutre pouvait donc s’obtenir par un simple foulage, opération qui, si elle diminue la souplesse de l’étoffe, augmente notamment ses propriétés conservatrices de la chaleur. Or, précisément, la laine fournie par les mouflons était faite de brins très courts, et c’est une bonne condition pour le feutrage.

L’ingénieur, aidé de ses compagnons, y compris Pencroff, – il dut encore une fois abandonner son bateau ! – commença les opérations préliminaires, qui eurent pour but de débarrasser la laine de cette substance huileuse et grasse dont elle est imprégnée et qu’on nomme le suint. Ce dégraissage se fit dans des cuves remplies d’eau, qui furent portées à la température de soixante-dix degrés, et dans lesquelles la laine plongea pendant vingt-quatre heures ; on en fit, ensuite, un lavage à fond au moyen de bains de soude ; puis cette laine, lorsqu’elle eut été suffisamment séchée par la pression, fut en état d’être foulée, c’est-à-dire de produire une solide étoffe, grossière sans doute et qui n’aurait eu aucune valeur dans un centre industriel d’Europe ou d’Amérique, mais dont on devait faire un extrême cas sur les « marchés de l’île Lincoln. »

On comprend que ce genre d’étoffe doit avoir été connu dès les époques les plus reculées, et, en effet, les premières étoffes de laine ont été fabriquées par ce procédé qu’allait employer Cyrus Smith.

Où sa qualité d’ingénieur le servit fort, ce fut dans la construction de la machine destinée à fouler la laine, car il sut habilement profiter de la force mécanique, inutilisée jusqu’alors, que possédait la chute d’eau de la grève, pour mouvoir un moulin à foulon.

Rien ne fut plus rudimentaire. Un arbre, muni de cames qui soulevaient et laissaient retomber tour à tour des pilons verticaux, des auges destinées à recevoir la laine, à l’intérieur desquelles retombaient ces pilons, un fort bâtis en charpente contenant et reliant tout le système : telle fut la machine en question, et telle elle avait été pendant des siècles, jusqu’au moment où l’on eut l’idée de remplacer les pilons par des cylindres compresseurs et de soumettre la matière, non plus à un battage, mais à un laminage véritable.

L’opération, bien dirigée par Cyrus Smith, réussit à souhait. La laine, préalablement imprégnée d’une dissolution savonneuse, destinée, d’une part, à en faciliter le glissement, le rapprochement, la compression et le ramollissement, de l’autre, à empêcher son altération par le battage, sortit du moulin sous forme d’une épaisse nappe de feutre. Les stries et aspérités dont le brin de laine est naturellement pourvu s’étaient si bien accrochées et enchevêtrées les unes aux autres, qu’elles formaient une étoffe également propre à faire des vêtements ou des couvertures. Ce n’était évidemment ni du mérinos, ni de la mousseline, ni du cachemire d’écosse, ni du stoff, ni du reps, ni du satin de Chine, ni de l’Orléans, ni de l’alpaga, ni du drap, ni de la flanelle ! C’était du « feutre lincolnien », et l’île Lincoln comptait une industrie de plus.

Les colons eurent donc, avec de bons vêtements, d’épaisses couvertures, et ils purent voir venir sans crainte l’hiver de 1866-67.

Les grands froids commencèrent véritablement à se faire sentir vers le 20 juin, et, à son grand regret, Pencroff dut suspendre la construction du bateau, qui, d’ailleurs, ne pouvait manquer d’être achevé pour le printemps prochain.

L’idée fixe du marin était de faire un voyage de reconnaissance à l’île Tabor, bien que Cyrus Smith n’approuvât pas ce voyage, tout de curiosité, car il n’y avait évidemment aucun secours à trouver sur ce rocher désert et à demi aride. Un voyage de cent cinquante milles, sur un bateau relativement petit, au milieu de mers inconnues, cela ne laissait pas de lui causer quelque appréhension. Que l’embarcation, une fois au large, fût mise dans l’impossibilité d’atteindre Tabor et ne pût revenir à l’île Lincoln, que deviendrait-elle au milieu de ce Pacifique, si fécond en sinistres ?

Cyrus Smith causait souvent de ce projet avec Pencroff, et il trouvait dans le marin un entêtement assez bizarre à accomplir ce voyage, entêtement dont peut-être celui-ci ne se rendait pas bien compte.

« Car enfin, lui dit un jour l’ingénieur, je vous ferai observer, mon ami, qu’après avoir dit tant de bien de l’île Lincoln, après avoir tant de fois manifesté le regret que vous éprouveriez s’il vous fallait l’abandonner, vous êtes le premier à vouloir la quitter.

– La quitter pour quelques jours seulement, répondit Pencroff, pour quelques jours seulement, Monsieur Cyrus ! Le temps d’aller et de revenir, de voir ce que c’est que cet îlot !

– Mais il ne peut valoir l’île Lincoln !

– J’en suis sûr d’avance !

– Alors pourquoi vous aventurer ?

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