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– Tu t’es levé trop tôt, Pencroff », répondit Nab, qui n’intervint que par ces mots dans la discussion.

Toutefois, ce ne furent pas les paroles de Nab qui terminèrent la conversation, mais bien les aboiements de Top, qui éclatèrent de nouveau avec cette intonation étrange dont s’était déjà préoccupé l’ingénieur. En même temps, Top recommençait à tourner autour de l’orifice du puits, qui s’ouvrait à l’extrémité du couloir intérieur.

« Qu’est-ce que Top a donc encore à aboyer ainsi ? demanda Pencroff.

– Et Jup à grogner de cette façon ? » ajouta Harbert.

En effet, l’orang, se joignant au chien, donnait des signes non équivoques d’agitation, et, détail singulier, ces deux animaux paraissaient être plutôt inquiets qu’irrités.

« Il est évident, dit Gédéon Spilett, que ce puits est en communication directe avec la mer, et que quelque animal marin vient de temps en temps respirer au fond.

– C’est évident, répondit le marin, et il n’y a pas d’autre explication à donner… allons, silence, Top, ajouta Pencroff en se tournant vers le chien, et toi, Jup, à ta chambre ! »

Le singe et le chien se turent. Jup retourna se coucher, mais Top resta dans le salon, et il continua à faire entendre de sourds grognements pendant toute la soirée.

Il ne fut plus question de l’incident, qui, cependant, assombrit le front de l’ingénieur.

Pendant le reste du mois de juillet, il y eut des alternatives de pluie et de froid. La température ne s’abaissa pas autant que pendant le précédent hiver, et son maximum ne dépassa pas huit degrés fahrenheit (13, 33 degrés centigrades au-dessous de zéro). Mais si cet hiver fut moins froid, du moins fut-il plus troublé par les tempêtes et les coups de vent. Il y eut encore de violents assauts de la mer qui compromirent plus d’une fois les Cheminées. C’était à croire qu’un raz de marée, provoqué par quelque commotion sous-marine, soulevait ces lames monstrueuses et les précipitait sur la muraille de Granite-House.

Lorsque les colons, penchés à leurs fenêtres, observaient ces énormes masses d’eau qui se brisaient sous leurs yeux, ils ne pouvaient qu’admirer le magnifique spectacle de cette impuissante fureur de l’océan. Les flots rebondissaient en écume éblouissante, la grève entière disparaissait sous cette rageuse inondation, et le massif semblait émerger de la mer elle-même, dont les embruns s’élevaient à une hauteur de plus de cent pieds.

Pendant ces tempêtes, il était difficile de s’aventurer sur les routes de l’île, dangereux même, car les chutes d’arbres y étaient fréquentes.

Cependant les colons ne laissèrent jamais passer une semaine sans aller visiter le corral. Heureusement, cette enceinte, abritée par le contrefort sud-est du mont Franklin, ne souffrit pas trop des violences de l’ouragan, qui épargna ses arbres, ses hangars, sa palissade. Mais la basse-cour, établie sur le plateau de Grande-vue, et, par conséquent, directement exposée aux coups du vent d’est, eut à subir des dégâts assez considérables. Le pigeonnier fut décoiffé deux fois, et la barrière s’abattit également. Tout cela demandait à être refait d’une façon plus solide, car, on le voyait clairement, l’île Lincoln était située dans les parages les plus mauvais du Pacifique. Il semblait vraiment qu’elle formât le point central de vastes cyclones, qui la fouettaient comme fait le fouet de la toupie.

Seulement, ici, c’était la toupie qui était immobile, et le fouet qui tournait.

Pendant la première semaine du mois d’août, les rafales s’apaisèrent peu à peu, et l’atmosphère recouvra un calme qu’elle semblait avoir à jamais perdu. Avec le calme, la température s’abaissa, le froid redevint très vif, et la colonne thermométrique tomba à huit degrés fahrenheit au-dessous de zéro (22 degrés centigrades au-dessous de glace).

Le 3 août, une excursion, projetée depuis quelques jours, fut faite dans le sud-est de l’île, vers le marais des tadornes. Les chasseurs étaient tentés par tout le gibier aquatique, qui établissait là ses quartiers d’hiver. Canards sauvages, bécassines, pilets, sarcelles, grèbes, y abondaient, et il fut décidé qu’un jour serait consacré à une expédition contre ces volatiles.

Non seulement Gédéon Spilett et Harbert, mais aussi Pencroff et Nab prirent part à l’expédition. Seul, Cyrus Smith, prétextant quelque travail, ne se joignit point à eux et demeura à Granite-House.

Les chasseurs prirent donc la route de port ballon pour se rendre au marais, après avoir promis d’être revenus le soir. Top et Jup les accompagnaient. Dès qu’ils eurent passé le pont de la Mercy, l’ingénieur le releva et revint, avec la pensée de mettre à exécution un projet pour lequel il voulait être seul.

Or, ce projet, c’était d’explorer minutieusement ce puits intérieur dont l’orifice s’ouvrait au niveau du couloir de Granite-House, et qui communiquait avec la mer, puisqu’autrefois il servait de passage aux eaux du lac.

Pourquoi Top tournait-il si souvent autour de cet orifice ? Pourquoi laissait-il échapper de si étranges aboiements, quand une sorte d’inquiétude le ramenait vers ce puits ? Pourquoi Jup se joignait-il à Top dans une sorte d’anxiété commune ? Ce puits avait-il d’autres branchements que la communication verticale avec la mer ? Se ramifiait-il vers d’autres portions de l’île ? Voilà ce que Cyrus Smith voulait savoir, et, d’abord, être seul à savoir. Il avait donc résolu de tenter l’exploration du puits pendant une absence de ses compagnons, et l’occasion se présentait de le faire.

Il était facile de descendre jusqu’au fond du puits, en employant l’échelle de corde qui ne servait plus depuis l’installation de l’ascenseur, et dont la longueur était suffisante. C’est ce que fit l’ingénieur. Il traîna l’échelle jusqu’à ce trou, dont le diamètre mesurait six pieds environ, et il la laissa se dérouler, après avoir solidement attaché son extrémité supérieure. Puis, ayant allumé une lanterne, pris un revolver et passé un coutelas à sa ceinture, il commença à descendre les premiers échelons.

Partout, la paroi était pleine ; mais quelques saillies du roc se dressaient de distance en distance, et, au moyen de ces saillies, il eût été réellement possible à un être agile de s’élever jusqu’à l’orifice du puits.

C’est une remarque que fit l’ingénieur ; mais, en promenant avec soin sa lanterne sur ces saillies, il ne trouva aucune empreinte, aucune cassure, qui pût donner à penser qu’elles eussent servi à une escalade ancienne ou récente.

Cyrus Smith descendit plus profondément, en éclairant tous les points de la paroi. Il n’y vit rien de suspect.

Lorsque l’ingénieur eut atteint les derniers échelons, il sentit la surface de l’eau, qui était alors parfaitement calme. Ni à son niveau, ni dans aucune autre partie du puits, ne s’ouvrait aucun couloir latéral qui pût se ramifier à l’intérieur du massif. La muraille, que Cyrus Smith frappa du manche de son coutelas, sonnait le plein. C’était un granit compact, à travers lequel nul être vivant ne pouvait se frayer un chemin. Pour arriver au fond du puits et s’élever ensuite jusqu’à son orifice, il fallait nécessairement passer par ce canal, toujours immergé, qui le mettait en communication avec la mer à travers le sous-sol rocheux de la grève, et cela n’était possible qu’à des animaux marins. Quant à la question de savoir où aboutissait ce canal, en quel point du littoral et à quelle profondeur sous les flots, on ne pouvait la résoudre.

Donc, Cyrus Smith, ayant terminé son exploration, remonta, retira l’échelle, recouvrit l’orifice du puits et revint, tout pensif, à la grande salle de Granite-House, en se disant : « Je n’ai rien vu, et pourtant il y a quelque chose ! »


CHAPITRE XII

Le soir même, les chasseurs revinrent, ayant fait bonne chasse, et, littéralement chargés de gibier, ils portaient tout ce que pouvaient porter quatre hommes.

Top avait un chapelet de pilets autour du cou, et Jup, des ceintures de bécassines autour du corps.

« Voilà, mon maître, s’écria Nab, voilà de quoi employer notre temps ! Conserves, pâtés, nous aurons là une réserve agréable ! Mais il faut que quelqu’un m’aide. Je compte sur toi, Pencroff.

– Non, Nab, répondit le marin. Le gréement du bateau me réclame, et tu voudras bien te passer de moi.

– Et vous, Monsieur Harbert ?

– Moi, Nab, il faut que j’aille demain au corral, répondit le jeune garçon.

– Ce sera donc vous, Monsieur Spilett, qui m’aiderez ?

– Pour t’obliger, Nab, répondit le reporter, mais je te préviens que si tu me dévoiles tes recettes, je les publierai.

– À votre convenance, Monsieur Spilett, répondit Nab, à votre convenance ! »

Et voilà comment, le lendemain, Gédéon Spilett, devenu l’aide de Nab, fut installé dans son laboratoire culinaire. Mais auparavant, l’ingénieur lui avait fait connaître le résultat de l’exploration qu’il avait faite la veille, et, à cet égard, le reporter partagea l’opinion de Cyrus Smith, que, bien qu’il n’eût rien trouvé, il restait toujours un secret à découvrir !

Les froids persévérèrent pendant une semaine encore, et les colons ne quittèrent pas Granite-House, si ce n’est pour les soins à donner à la basse-cour. La demeure était parfumée des bonnes odeurs qu’émettaient les manipulations savantes de Nab et du reporter ; mais tout le produit de la chasse aux marais ne fut pas transformé en conserves, et comme le gibier, par ce froid intense, se gardait parfaitement, canards sauvages et autres furent mangés frais et déclarés supérieurs à toutes autres bêtes aquatiques du monde connu.

Pendant cette semaine, Pencroff, aidé par Harbert, qui maniait habilement l’aiguille du voilier, travailla avec tant d’ardeur, que les voiles de l’embarcation furent terminées. Le cordage de chanvre ne manquait pas, grâce au gréement qui avait été retrouvé avec l’enveloppe du ballon. Les câbles, les cordages du filet, tout cela était fait d’un filin excellent, dont le marin tira bon parti. Les voiles furent bordées de fortes ralingues, et il restait encore de quoi fabriquer les drisses, les haubans, les écoutes, etc. Quant au pouliage, sur les conseils de Pencroff et au moyen du tour qu’il avait installé, Cyrus Smith fabriqua les poulies nécessaires. Il arriva donc que le gréement était entièrement paré bien avant que le bateau fût fini. Pencroff dressa même un pavillon bleu, rouge et blanc, dont les couleurs avaient été fournies par certaines plantes tinctoriales, très abondantes dans l’île. Seulement, aux trente-sept étoiles représentant les trente-sept états de l’union qui resplendissent sur le yacht des pavillons américains, le marin en avait ajouté une trente-huitième, l’étoile de « l’état de Lincoln », car il considérait son île comme déjà rattachée à la grande république.

« Et, disait-il, elle l’est de cœur, si elle ne l’est pas encore de fait ! » en attendant, ce pavillon fut arboré à la fenêtre centrale de Granite-House, et les colons le saluèrent de trois hurrahs.

Cependant on touchait au terme de la saison froide, et il semblait que ce second hiver allait se passer sans incident grave, quand, dans la nuit du 11 août, le plateau de Grande-vue fut menacé d’une dévastation complète.

Après une journée bien remplie, les colons dormaient profondément, lorsque, vers quatre heures du matin, ils furent subitement réveillés par les aboiements de Top.

Le chien n’aboyait pas, cette fois, près de l’orifice du puits, mais au seuil de la porte, et il se jetait dessus comme s’il eût voulu l’enfoncer. Jup, de son côté, poussait des cris aigus.

« Eh bien, Top ! » cria Nab, qui fut le premier éveillé.

Mais le chien continua d’aboyer avec plus de fureur.

« Qu’est-ce donc ? » demanda Cyrus Smith.

Et tous, vêtus à la hâte, se précipitèrent vers les fenêtres de la chambre, qu’ils ouvrirent.

Sous leurs yeux se développait une couche de neige qui paraissait à peine blanche dans cette nuit très obscure. Les colons ne virent rien, mais ils entendirent de singuliers aboiements qui éclataient dans l’ombre. Il était évident que la grève avait été envahie par un certain nombre d’animaux que l’on ne pouvait distinguer.

« Qu’est-ce ? s’écria Pencroff.

– Des loups, des jaguars ou des singes ! répondit Nab.

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