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– Pour savoir ce qui se passe à l’île Tabor !

– Mais il ne s’y passe rien ! Il ne peut rien s’y passer !

– Qui sait ?

– Et si vous êtes pris par quelque tempête ?

– Cela n’est pas à craindre dans la belle saison, répondit Pencroff. Mais, Monsieur Cyrus, comme il faut tout prévoir, je vous demanderai la permission de n’emmener qu’Harbert avec moi dans ce voyage.

– Pencroff, répondit l’ingénieur en mettant la main sur l’épaule du marin, s’il vous arrivait malheur à vous et à cet enfant, dont le hasard a fait notre fils, croyez-vous que nous nous en consolerions jamais ?

– Monsieur Cyrus, répondit Pencroff avec une inébranlable confiance, nous ne vous causerons pas ce chagrin-là. D’ailleurs, nous reparlerons de ce voyage, quand le temps sera venu de le faire. Puis, j’imagine que, lorsque vous aurez vu notre bateau bien gréé, bien accastillé, quand vous aurez observé comment il se comporte à la mer, quand nous aurons fait le tour de notre île, – car nous le ferons ensemble, – j’imagine, dis-je, que vous n’hésiterez plus à me laisser partir ! Je ne vous cache pas que ce sera un chef-d’œuvre, votre bateau !

– Dites au moins : notre bateau, Pencroff ! » répondit l’ingénieur, momentanément désarmé.

La conversation finit ainsi pour recommencer plus tard, sans convaincre ni le marin ni l’ingénieur.

Les premières neiges tombèrent vers la fin du mois de juin. Préalablement, le corral avait été approvisionné largement et ne nécessita plus de visites quotidiennes, mais il fut décidé qu’on ne laisserait jamais passer une semaine sans s’y rendre.

Les trappes furent tendues de nouveau, et l’on fit l’essai des engins fabriqués par Cyrus Smith. Les fanons recourbés, emprisonnés dans un étui de glace et recouverts d’une épaisse couche de graisse, furent placés sur la lisière de la forêt, à l’endroit où passaient communément les animaux pour se rendre au lac.

À la grande satisfaction de l’ingénieur, cette invention, renouvelée des pêcheurs aléoutiens, réussit parfaitement. Une douzaine de renards, quelques sangliers et même un jaguar s’y laissèrent prendre, et on trouva ces animaux morts, l’estomac perforé par les fanons détendus.

Ici se place un essai qu’il convient de rapporter, car ce fut la première tentative faite par les colons pour communiquer avec leurs semblables.

Gédéon Spilett avait déjà songé plusieurs fois, soit à jeter à la mer une notice renfermée dans une bouteille que les courants porteraient peut-être à une côte habitée, soit à la confier à des pigeons. Mais comment sérieusement espérer que pigeons ou bouteilles pussent franchir la distance qui séparait l’île de toute terre et qui était de douze cents milles ?

C’eut été pure folie.

Mais, le 30 juin, capture fut faite, non sans peine, d’un albatros qu’un coup de fusil d’Harbert avait légèrement blessé à la patte. C’était un magnifique oiseau de la famille de ces grands voiliers, dont les ailes étendues mesurent dix pieds d’envergure, et qui peuvent traverser des mers aussi larges que le Pacifique.

Harbert aurait bien voulu garder ce superbe oiseau, dont la blessure guérit promptement et qu’il prétendait apprivoiser, mais Gédéon Spilett lui fit comprendre que l’on ne pouvait négliger cette occasion de tenter de correspondre par ce courrier avec les terres du Pacifique, et Harbert dut se rendre, car si l’albatros était venu de quelque région habitée, il ne manquerait pas d’y retourner dès qu’il serait libre.

Peut-être, au fond, Gédéon Spilett, chez qui le chroniqueur reparaissait quelquefois, n’était-il pas fâché de lancer à tout hasard un attachant article relatant les aventures des colons de l’île Lincoln ! Quel succès pour le reporter attitré du New-York Herald, et pour le numéro qui contiendrait la chronique, si jamais elle arrivait à l’adresse de son directeur, l’honorable John Benett !

Gédéon Spilett rédigea donc une notice succincte qui fut mise dans un sac de forte toile gommée, avec prière instante, à quiconque la trouverait, de la faire parvenir aux bureaux du New-York Herald.

Ce petit sac fut attaché au cou de l’albatros, et non à sa patte, car ces oiseaux ont l’habitude de se reposer à la surface de la mer ; puis, la liberté fut rendue à ce rapide courrier de l’air, et ce ne fut pas sans quelque émotion que les colons le virent disparaître au loin dans les brumes de l’ouest.

« Où va-t-il ainsi ? demanda Pencroff.

– Vers la Nouvelle-Zélande, répondit Harbert.

– Bon voyage ! » s’écria le marin, qui, lui, n’attendait pas grand résultat de ce mode de correspondance.

Avec l’hiver, les travaux avaient été repris à l’intérieur de Granite-House, réparation de vêtements, confections diverses, et entre autres des voiles de l’embarcation, qui furent taillées dans l’inépuisable enveloppe de l’aérostat…

Pendant le mois de juillet, les froids furent intenses, mais on n’épargna ni le bois, ni le charbon.

Cyrus Smith avait installé une seconde cheminée dans la grande salle, et c’était là que se passaient les longues soirées. Causerie pendant que l’on travaillait, lecture quand les mains restaient oisives, et le temps s’écoulait avec profit pour tout le monde.

C’était une vraie jouissance pour les colons, quand, de cette salle bien éclairée de bougies, bien chauffée de houille, après un dîner réconfortant, le café de sureau fumant dans la tasse, les pipes s’empanachant d’une odorante fumée, ils entendaient la tempête mugir au dehors ! Ils eussent éprouvé un bien-être complet, si le bien-être pouvait jamais exister pour qui est loin de ses semblables et sans communication possible avec eux ! Ils causaient toujours de leur pays, des amis qu’ils avaient laissés, de cette grandeur de la république américaine, dont l’influence ne pouvait que s’accroître, et Cyrus Smith, qui avait été très mêlé aux affaires de l’Union, intéressait vivement ses auditeurs par ses récits, ses aperçus et ses pronostics.

Il arriva, un jour, que Gédéon Spilett fut amené À lui dire :

« Mais enfin, mon cher Cyrus, tout ce mouvement industriel et commercial auquel vous prédisez une progression constante, est-ce qu’il ne court pas le danger d’être absolument arrêté tôt ou tard ?

– Arrêté ! Et par quoi ?

– Mais par le manque de ce charbon, qu’on peut justement appeler le plus précieux des minéraux !

– Oui, le plus précieux, en effet, répondit l’ingénieur, et il semble que la nature ait voulu constater qu’il l’était, en faisant le diamant, qui n’est uniquement que du carbone pur cristallisé.

– Vous ne voulez pas dire, Monsieur Cyrus, repartit Pencroff, qu’on brûlera du diamant en guise de houille dans les foyers des chaudières ?

– Non, mon ami, répondit Cyrus Smith.

– Cependant j’insiste, reprit Gédéon Spilett. Vous ne niez pas qu’un jour le charbon sera entièrement consommé ?

– Oh ! Les gisements houillers sont encore considérables, et les cent mille ouvriers qui leur arrachent annuellement cent millions de quintaux métriques ne sont pas près de les avoir épuisés !

– Avec la proportion croissante de la consommation du charbon de terre, répondit Gédéon Spilett, on peut prévoir que ces cent mille ouvriers seront bientôt deux cent mille et que l’extraction sera doublée ?

– Sans doute ; mais, après les gisements d’Europe, que de nouvelles machines permettront bientôt d’exploiter plus à fond, les houillères d’Amérique et d’Australie fourniront longtemps encore à la consommation de l’industrie.

– Combien de temps ? demanda le reporter.

– Au moins deux cent cinquante ou trois cents ans.

– C’est rassurant pour nous, répondit Pencroff, mais inquiétant pour nos arrière-petits-cousins !

– On trouvera autre chose, dit Harbert.

– Il faut l’espérer, répondit Gédéon Spilett, car enfin sans charbon, plus de machines, et sans machines, plus de chemins de fer, plus de bateaux à vapeur, plus d’usines, plus rien de ce qu’exige le progrès de la vie moderne !

– Mais que trouvera-t-on ? demanda Pencroff. L’imaginez-vous, Monsieur Cyrus ?

– À peu près, mon ami.

– Et qu’est-ce qu’on brûlera à la place du charbon ?

– L’eau, répondit Cyrus Smith.

– L’eau, s’écria Pencroff, l’eau pour chauffer les bateaux à vapeur et les locomotives, l’eau pour chauffer l’eau !

– Oui, mais l’eau décomposée en ses éléments constitutifs, répondit Cyrus Smith, et décomposée, sans doute, par l’électricité, qui sera devenue alors une force puissante et maniable, car toutes les grandes découvertes, par une loi inexplicable, semblent concorder et se compléter au même moment. Oui, mes amis, je crois que l’eau sera un jour employée comme combustible, que l’hydrogène et l’oxygène, qui la constituent, utilisés isolément ou simultanément, fourniront une source de chaleur et de lumière inépuisables et d’une intensité que la houille ne saurait avoir. Un jour, les soutes des steamers et les tenders des locomotives, au lieu de charbon, seront chargés de ces deux gaz comprimés, qui brûleront dans les foyers avec une énorme puissance calorifique. Ainsi donc, rien à craindre. Tant que cette terre sera habitée, elle fournira aux besoins de ses habitants, et ils ne manqueront jamais ni de lumière ni de chaleur, pas plus qu’ils ne manqueront des productions des règnes végétal, minéral ou animal. Je crois donc que lorsque les gisements de houille seront épuisés, on chauffera et on se chauffera avec de l’eau. L’eau est le charbon de l’avenir.

– Je voudrais voir cela, dit le marin.

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