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Son pouls était petit et irrégulier, sa peau sèche, sa soif intense. À cette période succéda bientôt une période de chaleur ; le visage s’anima, la peau rougit, le pouls s’accéléra ; puis une sueur abondante se manifesta, à la suite de laquelle la fièvre parut diminuer. L’accès avait duré cinq heures environ.

Gédéon Spilett n’avait pas quitté Harbert, qui était pris maintenant d’une fièvre intermittente, ce n’était que trop certain, et cette fièvre, il fallait à tout prix la couper avant qu’elle devînt plus grave.

« Et pour la couper, dit Gédéon Spilett à Cyrus Smith, il faut un fébrifuge.

– Un fébrifuge !… répondit l’ingénieur. Nous n’avons ni quinquina, ni sulfate de quinine !

– Non, dit Gédéon Spilett, mais il y a des saules sur le bord du lac, et l’écorce de saule peut quelquefois remplacer la quinine.

– Essayons donc sans perdre un instant ! » répondit Cyrus Smith.

L’écorce de saule, en effet, a été justement considérée comme un succédané du quinquina, aussi bien que le marronnier de l’Inde, la feuille de houx, la serpentaire, etc. Il fallait évidemment essayer de cette substance, bien qu’elle ne valût pas le quinquina, et l’employer à l’état naturel, puisque les moyens manquaient pour en extraire l’alcaloïde, c’est-à-dire la salicine.

Cyrus Smith alla lui-même couper sur le tronc d’une espèce de saule noir quelques morceaux d’écorce ; il les rapporta à Granite-House, il les réduisit en poudre, et cette poudre fut administrée le soir même à Harbert.

La nuit se passa sans incidents graves. Harbert eut quelque délire, mais la fièvre ne reparut pas dans la nuit, et elle ne revint pas davantage le jour suivant.

Pencroff reprit quelque espoir. Gédéon Spilett ne disait rien. Il pouvait se faire que les intermittences ne fussent pas quotidiennes, que la fièvre fût tierce, en un mot, et qu’elle revînt le lendemain. Aussi, ce lendemain, l’attendit-on avec la plus vive anxiété.

On pouvait remarquer, en outre, que, pendant la période apyrexique, Harbert demeurait comme brisé, ayant la tête lourde et facile aux étourdissements. Autre symptôme qui effraya au dernier point le reporter : le foie d’Harbert commençait à se congestionner, et bientôt un délire plus intense démontra que son cerveau se prenait aussi.

Gédéon Spilett fut atterré devant cette nouvelle complication. Il emmena l’ingénieur à part.

« C’est une fièvre pernicieuse ! lui dit-il.

– Une fièvre pernicieuse ! s’écria Cyrus Smith. Vous vous trompez, Spilett. Une fièvre pernicieuse ne se déclare pas spontanément. Il faut en avoir eu le germe !…

– Je ne me trompe pas, répondit le reporter. Harbert aura sans doute contracté ce germe dans les marais de l’île, et cela suffit. Il a déjà éprouvé un premier accès. Si un second accès survient, et si nous ne parvenons pas à empêcher le troisième… il est perdu !…

– Mais cette écorce de saule ?…

– Elle est insuffisante, répondit le reporter, et un troisième accès de fièvre pernicieuse qu’on ne coupe pas au moyen de la quinine est toujours mortel ! »

Heureusement, Pencroff n’avait rien entendu de cette conversation. Il fût devenu fou.

On comprend dans quelles inquiétudes furent l’ingénieur et le reporter pendant cette journée du 7 novembre et pendant la nuit qui la suivit.

Vers le milieu de la journée, le second accès se produisit. La crise fut terrible. Harbert se sentait perdu ! Il tendait ses bras vers Cyrus Smith, vers Spilett, vers Pencroff ! Il ne voulait pas mourir !… cette scène fut déchirante. Il fallut éloigner Pencroff.

L’accès dura cinq heures. Il était évident qu’Harbert n’en supporterait pas un troisième.

La nuit fut affreuse. Dans son délire, Harbert disait des choses qui fendaient le cœur de ses compagnons ! Il divaguait, il luttait contre les convicts, il appelait Ayrton ! Il suppliait cet être mystérieux, ce protecteur, disparu maintenant, et dont l’image l’obsédait… Puis il retombait dans une prostration profonde qui l’anéantissait tout entier… Plusieurs fois, Gédéon Spilett crut que le pauvre garçon était mort !

La journée du lendemain, 8 décembre, ne fut qu’une succession de faiblesses. Les mains amaigries d’Harbert se crispaient à ses draps. On lui avait administré de nouvelles doses d’écorce pilée, mais le reporter n’en attendait plus aucun résultat.

« Si avant demain matin nous ne lui avons pas donné un fébrifuge plus énergique, dit le reporter, Harbert sera mort ! »

La nuit arriva, – la dernière nuit sans doute de cet enfant courageux, bon, intelligent, si supérieur à son âge, et que tous aimaient comme leur fils ! Le seul remède qui existât contre cette terrible fièvre pernicieuse, le seul spécifique qui pût la vaincre, ne se trouvait pas dans l’île Lincoln !

Pendant cette nuit du 8 au 9 décembre, Harbert fut repris d’un délire plus intense. Son foie était horriblement congestionné, son cerveau attaqué, et déjà il était impossible qu’il reconnût personne.

Vivrait-il jusqu’au lendemain, jusqu’à ce troisième accès qui devait immanquablement l’emporter ? Ce n’était plus probable. Ses forces étaient épuisées, et, dans l’intervalle des crises, il était comme inanimé.

Vers trois heures du matin, Harbert poussa un cri effrayant. Il sembla se tordre dans une suprême convulsion. Nab, qui était près de lui, épouvanté, se précipita dans la chambre voisine, où veillaient ses compagnons !

Top, en ce moment, aboya d’une façon étrange…

Tous rentrèrent aussitôt et parvinrent à maintenir l’enfant mourant, qui voulait se jeter hors de son lit, pendant que Gédéon Spilett, lui prenant le bras, sentait son pouls remonter peu à peu…

Il était cinq heures du matin. Les rayons du soleil levant commençaient à se glisser dans les chambres de Granite-House. Une belle journée s’annonçait, et cette journée allait être la dernière du pauvre Harbert !… un rayon se glissa jusqu’à la table qui était placée près du lit.

Soudain, Pencroff, poussant un cri, montra un objet placé sur cette table… c’était une petite boîte oblongue, dont le couvercle portait ces mots : sulfate de quinine.


CHAPITRE XI

Gédéon Spilett prit la boîte, il l’ouvrit. Elle contenait environ deux cents grains d’une poudre blanche dont il porta quelques particules à ses lèvres. L’extrême amertume de cette substance ne pouvait le tromper. C’était bien le précieux alcaloïde du quinquina, l’anti-périodique par excellence.

Il fallait sans hésiter administrer cette poudre à Harbert. Comment elle se trouvait là, on le discuterait plus tard.

« Du café », demanda Gédéon Spilett.

Quelques instants après, Nab apportait une tasse de l’infusion tiède. Gédéon Spilett y jeta environ dix-huit grains de la quinine, et on parvint à faire boire cette mixture à Harbert.

Il était temps encore, car le troisième accès de la fièvre pernicieuse ne s’était pas manifesté !

Et, qu’il soit permis d’ajouter, il ne devait pas revenir !

D’ailleurs, il faut le dire aussi, tous avaient repris espoir. L’influence mystérieuse s’était de nouveau exercée, et dans un moment suprême, quand on désespérait d’elle !… Au bout de quelques heures, Harbert reposait plus paisiblement. Les colons purent causer alors de cet incident. L’intervention de l’inconnu était plus évidente que jamais. Mais comment avait-il pu pénétrer pendant la nuit jusque dans Granite-House ?

C’était absolument inexplicable, et, en vérité, la façon dont procédait le « génie de l’île » était non moins étrange que le génie lui-même.

Durant cette journée, et de trois heures en trois heures environ, le sulfate de quinine fut administré à Harbert.

Harbert, dès le lendemain, éprouvait une certaine amélioration. Certes, il n’était pas guéri, et les fièvres intermittentes sont sujettes à de fréquentes et dangereuses récidives, mais les soins ne lui manquèrent pas. Et puis, le spécifique était là, et non loin, sans doute, celui qu’il l’avait apporté ! Enfin, un immense espoir revint au cœur de tous.

Cet espoir ne fut pas trompé. Dix jours après, le 20 décembre, Harbert entrait en convalescence. Il était faible encore, et une diète sévère lui avait été imposée, mais aucun accès n’était revenu. Et puis, le docile enfant se soumettait si volontiers à toutes les prescriptions qu’on lui imposait ! Il avait tant envie de guérir !

Pencroff était comme un homme qu’on a retiré du fond d’un abîme. Il avait des crises de joie qui tenaient du délire. Après que le moment du troisième accès eut été passé, il avait serré le reporter dans ses bras à l’étouffer. Depuis lors, il ne l’appela plus que le docteur Spilett.

Restait à découvrir le vrai docteur.

« On le découvrira ! » répétait le marin.

Et certes, cet homme, quel qu’il fût, devait s’attendre à quelque rude embrassade du digne Pencroff !

Le mois de décembre se termina, et avec lui cette année 1867, pendant laquelle les colons de l’île Lincoln venaient d’être si durement éprouvés. Ils entrèrent dans l’année 1868 avec un temps magnifique, une chaleur superbe, une température tropicale, que la brise de mer venait heureusement rafraîchir.

Harbert renaissait, et de son lit, placé près d’une des fenêtres de Granite-House, il humait cet air salubre, chargé d’émanations salines, qui lui rendait la santé. Il commençait à manger, et dieu sait quels bons petits plats, légers et savoureux, lui préparait Nab !

Are sens