- Pourquoi rouliez-vous si vite ?
- Je… Je le regrette. J’étais pressé. Vous avez raison, je n’aurais pas dû.
- Avez-vous bu, Monsieur ?
- Non.
Le contrôle éthylométrique indiqua que l’homme n’avait effectivement pas consommé d’alcool. Le véhicule était en règle et, en balayant l’intérieur du faisceau de sa lampe de poche, l’agent ne vit aucune boîte de médicaments vide ou autres emballages qui jonchaient en général les banquettes arrière des voitures de toxicomanes. Pourtant, il avait une intuition : quelque chose lui faisait penser que cet homme était beaucoup trop agité et calme à la fois pour ne pas enquêter davantage. Il remarqua soudain ce qui lui avait échappé : ses mains étaient sales, ses chaussures couvertes de boue et ses pantalons trempés.
- Sortez de votre véhicule, Monsieur, intima Forsyth.
- Pourquoi ? Hein ? Hein ? balbutia le conducteur.
- Obéissez et sortez de votre véhicule.
L’homme tergiversa, et l’officier Forsyth, agacé, décida de le sortir de force et de procéder à son arrestation pour refus d’obtempérer. Il le conduisit à la station centrale de police du comté, où il se chargea lui-même de la prise des photos réglementaires, puis du relevé électronique des empreintes digitales. L’information qui s’afficha alors sur l’écran de son ordinateur le laissa perplexe un instant. Puis, bien qu’il soit une heure trente du matin, il décrocha son téléphone, considérant que la découverte qu’il venait de faire était suffisamment importante pour qu’il sorte de son lit le sergent Perry Gahalowood, de la brigade criminel e de la police d’État.
Trois heures plus tard, aux environs de quatre heures trente du matin, je fus réveillé à mon tour par un coup de téléphone.
- L’écrivain ? C’est Gahalowood à l’appareil. Où êtes-vous ?
- Sergent ? répondis-je à moitié comateux. Je suis dans mon lit, à New York, où voulez-vous que je sois ? Que se passe-t-il ?
- Nous avons notre oiseau, dit-il.
- Je vous demande pardon ?
- L’incendiaire de la maison de Harry… Nous l’avons arrêté cette nuit.
- Quoi ?
- Vous êtes assis ?
- Je suis même couché.
- Tant mieux. Parce que ça va vous faire un choc.
2. Fin de partie
“Parfois le découragement vous gagnera, Marcus. C’est normal. Je vous disais qu’écrire c’est comme boxer, mais c’est aussi comme courir. C’est pour ça que je vous envoie tout le temps battre le pavé : si vous avez la force morale d’accomplir les longues courses, sous la pluie, dans le froid, si vous avez la force de continuer jusqu’au bout, d’y mettre toutes vos forces, tout votre cœur, et d’arriver à votre but, alors vous serez capable d’écrire. Ne laissez jamais la fatigue ni la peur vous en empêcher. Au contraire, utilisez-les pour avancer.”
Je pris un vol pour Concord le matin même, complètement sonné par ce que je venais d’apprendre. J’atterris à treize heures, et une demi-heure plus tard, un taxi me déposait devant le quartier général de la police. Gahalowood vint me chercher à la réception.
- Robert Quinn ! m’exclamai-je en le voyant, comme si je n’y croyais toujours pas. Alors c’est Robert Quinn qui a mis le feu à la maison ? C’est donc lui qui m’aurait envoyé ces messages ?
- Oui, l’écrivain. C’étaient ses empreintes sur le bidon d’essence.
- Mais pourquoi ?
- Si je le savais. Il n’a pas ouvert la bouche. Il refuse de parler.
Gahalowood me conduisit dans son bureau et m’offrit du café. Il m’expliqua que la brigade criminelle avait perquisitionné la maison des Quinn aux premières heures du matin.
- Qu’avez-vous trouvé ? demandai-je.
- Rien, me répondit Gahalowood. Rien du tout.
- Et sa femme ? Qu’en a-t-elle dit ?
- Ça c’est étrange : nous avons débarqué à sept heures trente. Impossible de la réveiller. Elle dormait de tout son soûl, el e n’avait même pas remarqué l’absence de son mari.
- Il la drogue, expliquai-je.
- Comment ça, il la drogue ?
- Robert Quinn refile des somnifères à sa femme pour la faire dormir lorsqu’il veut avoir la paix. C’est très probablement ce qu’il a fait cette nuit pour qu’elle ne se doute de rien. Mais se douter de quoi ? Qu’est-il al é faire en pleine nuit ? Et pourquoi était-il couvert de boue ? Il aurait enterré quelque chose ?
- C’est bien ça le mystère… Et sans aveu de sa part, je ne pourrai pas lui col er grand-chose sur le dos.
- Il y a toujours le bidon d’essence.
- Son avocat est déjà en train de dire que Robert l’a trouvé sur la plage. Qu’il s’y est promené récemment, qu’il a vu ce bidon qui traînait par terre et qu’il l’a ramassé pour le jeter dans les buissons, hors de la vue des autres promeneurs. Nous avons besoin de plus de preuves, sans quoi son avocat n’aura aucune peine à nous dégommer.
- Qui est son avocat ?
- Vous ne me croirez pas.
- Dites toujours.