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- Comment ça, vous rentrez à New York ? Mais vous êtes complètement fou, l’écrivain, on touche au but ! Donnez-moi votre passeport, que je vous le confisque.

Je souris.

- Je ne vous abandonne pas, sergent. Mais il est temps.

- Le temps de quoi ?

- D’al er voter. L’Amérique a rendez-vous avec l’Histoire.

Ce 5 novembre 2008, à midi, alors que New York fêtait toujours l’avènement d’Obama, j’avais rendez-vous avec Barnaski pour déjeuner chez Pierre. La victoire démocrate l’avait mis de bonne humeur : « J’aime les blacks ! me dit-il. J’aime les beaux blacks ! Si vous vous faites inviter à la Maison-Blanche, emmenez-moi avec vous ! Bon, alors, qu’avez-vous de si important à me dire ? »

Je lui racontai ce que j’avais découvert à propos de Nola et de son diagnostic de psychose infantile, son visage s’illumina :

- Donc les scènes où vous décrivez les maltraitances de la mère, c’est en fait Nola qui se les inflige ?

- Oui.

- C’est formidable ! hurla-t-il à travers le restaurant. Votre bouquin est d’un genre précurseur ! Le lecteur est lui-même dans un moment de démence puisque le personnage de la mère existe sans exister vraiment. Vous êtes un génie, Goldman ! Un

génie !

- Non, je me suis simplement planté. Je me suis laissé berner par Harry.

- Harry était au courant ?

- Oui. Et après il a disparu de la surface de la terre.

- Comment ça ?

- Il est introuvable. Apparemment, il a passé la frontière avec le Canada. Il m’a laissé pour seul indice un message sibyllin et un manuscrit inédit sur Nola.

- Vous avez les droits ?

- Je vous demande pardon ?

- Pour le manuscrit inédit, vous avez les droits ? Je vous les rachète !

- Mais bon sang, Roy ! Ce n’est pas la question !

- Oh, pardon. Je ne faisais que demander.

- Il y a un détail qui manque. Il y a quelque chose que je n’ai pas compris. Cette histoire de psychose infantile, Harry qui disparaît. Il manque un élément au puzzle, je le sais, mais je suis perdu.

- Vous êtes un grand angoissé, Marcus, et croyez-moi, les angoisses ça ne sert à rien. Allez chez le docteur Freud et faites-vous prescrire des pilules qui détendent. De mon côté, je vais contacter la presse, on va préparer un communiqué à propos de la maladie de la gamine, on va faire croire à tout le monde qu’on le savait depuis le début mais que c’était la surprise du chef : une façon de montrer que la vérité est parfois ailleurs et qu’il ne faut pas se limiter aux premières impressions. Ceux qui vous ont dégommés se couvriront de ridicule et il se dira que vous êtes un grand précurseur. Du coup, on reparlera de votre bouquin, et on en revendra un joli petit paquet. Parce qu’avec un coup pareil, même ceux qui n’avaient aucune intention de l’acheter ne pourront pas résister à la curiosité de savoir comment vous avez représenté la mère.

Goldman, vous êtes un génie; le déjeuner, c’est pour moi.

J’eus une moue et je lui dis :

- Je ne suis pas convaincu, Roy. J’aimerais avoir le temps de creuser encore.

- Mais vous n’êtes jamais convaincu, mon pauvre vieux ! Nous n’avons pas le temps de « creuser » comme vous dites. Vous êtes un poète, vous pensez que le temps qui passe a un sens, mais le temps qui passe, c’est soit de l’argent qu’on gagne, soit de l’argent qu’on perd. Et je suis un fervent partisan de la première solution.

Néanmoins, vous êtes peut-être au courant, mais nous avons depuis hier un nouveau Président, beau, noir et très populaire. D’après mes calculs, on va entendre parler de lui à toutes les sauces pendant une bonne semaine. Une semaine où il n’y aura de la place que pour lui. Inutile donc que nous communiquions avec les médias durant cette période, nous n’aurions droit, au mieux, qu’à un entrefilet dans la rubrique des chiens écrasés. Je ne contacterai donc la presse que dans une semaine, ce qui vous laisse un peu de temps. À moins évidemment qu’une équipe de Sudistes à chapeaux pointus ne zigouil e notre nouveau Président, ce qui nous empêcherait d’avoir la une pour un bon mois. Ça oui, un bon mois. Imaginez le désastre : dans un mois c’est la période de Noël, et là, plus personne ne prêterait attention à nos histoires. Dans une semaine donc, on diffuse l’histoire de psychose infantile. Suppléments dans les journaux, et tout le tralala. Si j’avais plus de marge, je ferais éditer en urgence un petit livre pour les parents. Du genre : Dépister la psychose infantile ou comment éviter que votre enfant soit la nouvelle Nola Kellergan et ne vous brûle vif durant votre sommeil. Ça pourrait

marcher du tonnerre. Mais bref, on n’a pas le temps.

Je n’avais qu’une semaine avant que Barnaski ne déballe tout. Une semaine pour comprendre ce qui m’échappait encore. Il s’écoula alors quatre jours; quatre jours stériles. Je téléphonais sans cesse à Gahalowood, qui ne pouvait que s’avouer vaincu.

L’enquête était dans une impasse, et il n’avançait pas. Puis, dans la nuit du cinquième jour, un événement al ait changer le cours de l’enquête. C’était le 10 novembre, peu après minuit. Au hasard d’une patrouil e, l’agent de la police de l’autoroute Dean Forsyth prit en chasse une voiture sur la route Montbury-Aurora, après avoir constaté qu’elle avait brûlé un stop et qu’el e roulait au-dessus de la vitesse autorisée. Ç’aurait pu être une banale contravention si le comportement du conducteur du véhicule, qui semblait agité et transpirait abondamment, n’avait pas intrigué le policier.

- D’où venez-vous, Monsieur ? avait demandé l’officier Forsyth.

- Montburry.

- Que faisiez-vous là-bas ?

- J’étais… j’étais chez des amis.

- Leurs noms ?

L’hésitation et la lueur de panique qu’il décela dans le regard du conducteur intriguèrent plus encore l’officier Forsyth. Il braqua sa lampe de poche sur le visage de l’homme et remarqua une griffure sur sa joue.

- Que vous est-il arrivé au visage ?

- La branche basse d’un arbre que je n’avais pas vue.

L’officier n’était pas convaincu.

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